Le COVID long, nouvelle maladie chronique
Des milliers de personnes atteintes d’une forme parfois légère de COVID-19 se plaignent de symptômes qui persistent. Que savons-nous aujourd’hui de cette affection ?
Les témoignages des personnes touchées par le COVID long se suivent et se ressemblent. En mars 2020, Martine a perdu l’odorat et souffert de maux de tête et diarrhées :
«Après cet épisode qui a duré quelques jours, mes migraines ont persisté. Puis j’ai eu des diarrhées intempestives. Ensuite, cela a été des problèmes dermatologiques avec des épisodes de rosacée et des piqûres d’insectes qui ont gonflé monstrueusement. Et bien sûr la fatigue qui arrive sans prévenir. L’été dernier, je me promenais sur la plage et j’ai dû m’arrêter pour m’allonger et dormir une heure, j’étais épuisée», raconte cette cinquantenaire parisienne, très sportive.
Alex a 25 ans, et après un COVID en mars 2020, il a commencé à se plaindre de palpitations cardiaques, puis de problèmes digestifs avec l’apparition d’une intolérance au gluten, et de douleurs musculaires : «Mais surtout une fatigue chronique majeure. Je peux aller bien le matin et avoir un énorme coup de pompe dans l’après-midi ou encore aller à peu près bien deux semaines puis être épuisé les trois suivantes… Ce qui a eu des conséquences sur ma scolarité, je n’ai pas pu faire mon mémoire de recherche.»
Maud, infirmière de 23 ans, travaillait dans un service de chirurgie. Depuis son COVID en février 2021, elle a d’abord été en arrêt maladie, puis licenciée : «J’ai tout de suite eu des problèmes cardiaques, avec le cœur qui battait à 160 rien que lorsque j’allais me doucher. Quand la fièvre est tombée, la tachycardie, l’essoufflement et la fatigue sont restés. Comme je suis jeune, mon médecin traitant me disait “ça va passer”. Au bout de cinq mois j’ai vu un infectiologue, un pneumologue et un cardiologue. On m’a diagnostiqué une péricardite avec épanchement et un asthme. Aujourd’hui, j’arrive à marcher sans faire de pause, mais je suis toujours essoufflée, je ne peux pas faire mes courses seule parce que soulever les sacs me fait "tachycarder" et m’essouffle. Impossible pour moi de reprendre un travail à temps plein», raconte la jeune femme.
Très vite, l’association #AprèsJ20 s’est faite le porte-parole de ces malades que les médecins avaient tendance à ne pas prendre au sérieux. «Le plus difficile, insiste Maud, c’est de devoir se battre non seulement contre la maladie mais aussi contre les médecins, l’administration et parfois notre entourage, pour faire entendre que ce qu’on vit est réel.»
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’un quart des personnes infectées par le Sars-CoV-2 présentent des symptômes persistant plus d’un mois, et qu’au moins une sur dix est toujours malade après trois mois. Parmi elles, 10 % se trouvent dans une situation dite complexe. En mars, le ministère de la Santé évaluait à 700 000 le nombre de Français présentant des symptômes au-delà de trois mois, et à 70 000 celles nécessitant une prise en charge dans des structures spécifiques. «Ces cas complexes représentent environ 1 ou 2 patients par cabinet de médecine générale», souligne le Pr Olivier Saint-Lary, président du Collège national des généralistes enseignants. Mais ces projections ont été réalisées sur le nombre de personnes infectées à fin octobre 2021. Depuis, de nouveaux variants sont venus augmenter la cohorte des malades atteints de COVID long, même si la vaccination et la nature des derniers variants laissent espérer un taux moins important de personnes touchées.
Quel que soit le nombre exact de personnes concernées, le COVID long est aujourd’hui considéré comme un problème de santé publique. De quoi parle-t-on exactement? Il existe encore beaucoup d’inconnues et d’incertitudes autour de cette maladie protéiforme. Certains parlent même de «COVIDs longs», au pluriel, tant les symptômes sont divers (on en a recensé plus de 200) et les mécanismes en jeu sans doute multiples. «Tous les organes peuvent être touchés. Mais les signes les plus fréquents sont la fatigue écrasante, les essoufflements et le brouillard cérébral : difficulté à trouver ses mots, à faire deux choses en même temps, à supporter le bruit», explique le Pr Dominique Salmon-Ceron, infectiologue à l’Hôtel-Dieu à Paris.
Les symptômes post-COVID ressemblent fortement aux syndromes post-infectieux rencontrés dans d’autres maladies virales ou bactériennes comme la mononucléose, la dengue, la maladie de Lyme ou encore le syndrome de fatigue chronique, ou encéphalomyélite myalgique. «Il est vrai qu’une partie des patients COVID long présentent des signes qui correspondent à ceux de l’encéphalomyélite myalgique, et notamment l’intolérance à l’effort. Mais d’autres symptômes comme la perte d’odorat, de goût, les manifestations digestives avec grosse intolérance alimentaire, etc., n’en font pas partie», explique le Pr Jean-Dominique de Korwin, spécialiste du syndrome de fatigue chronique.
La bonne nouvelle, c’est que des équipes de recherche du monde entier tentent de comprendre les mécanismes en jeu. «L’une des pistes est celle de la persistance du virus soit sous forme entière, soit sous forme de fragments qui créent une inflammation chronique, notamment au niveau des vaisseaux. Cette inflammation est responsable de la formation de petits caillots qui vont entraîner une moins bonne oxygénation des organes», décrit le Pr Salmon-Ceron. Ce qui pourrait être une cause du brouillard cérébral.
Autres pistes évoquées, celle d’une dérégulation de la réponse immunitaire avec notamment la production d’auto-anticorps, ou celle d’une intolérance à l’histamine liée au syndrome d’activation mastocytaire. «Il peut aussi y avoir chez une partie des patients des phénomènes de conditionnement décrits de longue date en médecine. C’est ce qui explique par exemple que chez certaines personnes des nausées persistent après une chimiothérapie. Si vous êtes épuisé au moindre effort lors d’une infection, votre cerveau peut associer durablement effort et fatigue», explique le Pr Cédric Lemogne, psychiatre à l’Hôtel-Dieu. Le chercheur va tester cette hypothèse controversée en évaluant un programme de rééducation pluridisciplinaire.
En attendant, il faut prendre en charge les personnes qui souffrent de COVID long. «Le premier interlocuteur, c’est le médecin traitant. Il connaît bien son patient», souligne le Pr Salmon-Ceron. Pour les accompagner, la Haute Autorité de santé a émis des recommandations et, depuis fin mai, l’Assurance-maladie propose le questionnaire en ligne de l’association Tous partenaires COVID pour que les patients préparent leur consultation avec leur médecin. Première étape, poser le diagnostic. «Nous devons vérifier si ces symptômes ne sont pas causés par d’autres maladies mais aussi exclure certaines séquelles liées au COVID», insiste le Pr Éric Guedj, responsable du service de médecine nucléaire à l’hôpital de la Timone, à Marseille.
Par exemple, une personne qui a fait un accident vasculaire cérébral dû au COVID peut avoir des séquelles de cet AVC. Une fois le diagnostic posé, la prise en charge repose sur des traitements symptomatiques, de la rééducation et sur une autogestion des symptômes. «Par exemple lorsque la fatigue est accentuée par l’effort, les patients doivent apprendre à mener des activités modérées et fractionnées. S’ils vont au-delà de leur capacité, ils auront plus de mal à récupérer», illustre le P Salmon-Ceron. Encore faut-il que les médecins entendent la souffrance exprimée par leurs patients.
«J’ai fait un COVID en mars 2020 sans trop de symptômes, la perte de goût et d’odorat, mais confirmé par un test sérologique en mai. En décembre 2020, j’avais déjà consulté plusieurs spécialistes pour divers symptômes cardiaques et digestifs, sans résultat. J’ai alors appris l’existence d’une consultation spécialisée à l’Hôtel-Dieu et j’ai pris rendez-vous. Par chance, un créneau s’était libéré», raconte Alex.
À cette époque, la consultation spécifique mise en place sous la houlette du Pr Dominique Salmon-Ceron, infectiologue, fait figure d’exception. Les personnes qui souffrent de symptômes post-COVID errent alors de spécialiste en spécialiste. Et encore aujourd’hui le parcours de soins des malades reste souvent compliqué. «Nous avons des patients qui attendent neuf mois pour un rendez-vous et qui viennent de loin. Encore cette semaine j’ai reçu une avocate qui venait d’Ardèche. Elle devrait pouvoir consulter près de chez elle», déplore le Pr Dominique Salmon-Ceron.
Pourtant, les agences régionales de santé (ARS) ont toutes mis en place des cellules de coordination pour aider les médecins généralistes et les patients (que l’on trouve sur les sites des ARS ou de l’Assurance-maladie).
Mais, malgré une volonté de bien-faire, l’organisation des soins varie fortement d’une région à l’autre. L’ARS Occitanie fait figure de pionnière en la matière. «Lorsque le médecin généraliste est face à un patient qui a une forme complexe, il peut l’orienter soit vers des professionnels de son territoire formés à leur prise en charge, soit vers l’un des six établissements labellisés qui va les recevoir en hospitalisation de jour», explique le Dr Jérôme Larché, référent régional pour le COVID long. Depuis janvier, les cellules de coordination de la région Occitanie ont reçu 700 appels et les établissements labellisés plus de 400 nouveaux patients.
Source : https://www.lefigaro.fr/sciences/le-covid-long-nouvelle-maladie-chronique-20220626