La sobriété écologique exige un effort majeur de recherche
Crise climatique : « Une politique de sobriété doit aussi être éclairée par un effort majeur de recherche » : Il est nécessaire de suivre une double stratégie face au réchauffement climatique et alors que nos modes de vies les plus prisés ont été principalement obtenus à l’aide de sources d’énergie et de systèmes techniques trop émetteurs de CO₂, défend dans sa chronique le professeur en sciences de gestion Armand Hatchuel.
En avril, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a annoncé qu’il restait peu de temps pour éviter un réchauffement climatique à plus de 1,5 °C. L’alerte a mis la planification écologique à l’agenda gouvernemental. Elle a aussi exacerbé les antagonismes entre les tenants d’une sobriété consentie – voire émancipatrice – et les partisans d’un effort résolu de recherche scientifique et technique.
Or ces deux stratégies sont indispensables l’une à l’autre, et une politique de sobriété doit aussi être éclairée par un effort majeur de recherche, notamment sur les principes de justice qui la guident.
La sobriété semble ne dépendre que de la décision collective. La voie technologique apparaît lente et incertaine et pourrait dangereusement retarder cette décision. La sobriété devrait donc s’imposer au plus vite, même si elle force à rompre avec nos pratiques les plus désirées. Mais un changement aussi violent n’a pu être obtenu qu’en temps de guerre ou de pandémie, et de façon provisoire.
En outre, d’un pays à l’autre, les émissions par habitant (Banque mondiale, 2018) varient en valeur relative de 1 (Rwanda) à 320 (Qatar), en passant par 150 (Etats-Unis) et 88 (moyenne des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques ) (OCDE-OECD).
Comment répartir efficacement et équitablement les efforts de sobriété ? Comment gérer les conséquences non prévisibles de cet effort ? La recherche nécessaire pour réussir une telle transformation, au niveau national et mondial, est immense. Car, outre la conception partagée de critères de justice, il faut réussir les nouveaux modèles techniques indispensables à la sobriété : la généralisation sans carences d’une alimentation moins carnée, la réduction drastique des déplacements non verts, la pleine recyclabilité des matériaux, la viabilité des circuits courts, etc.
Serait-elle un horizon indépassable, la voie de la sobriété n’en est pas moins inconnue. Or c’est l’imprévisibilité de ses effets qui pousse simultanément à la recherche de technologies alternatives. Car même si celles-ci n’émergent que dans quelques années, nul ne sait où nous auront alors conduits les politiques de sobriété, tant sur le plan climatique que sociétal.
En outre, les délais de maturation des technologies de rupture sont incertains et dépendent des efforts consentis : on a pu voir comment la vaccination anti-Covid est passée en quelques mois du statut d’option incertaine et à long terme à celui d’une technique de masse éprouvée.
Un programme de recherche massif et continu est donc indispensable à toutes les voies écologiques. Face à l’inconnu, les voies que dictent l’urgence et la raison pourraient être plus difficiles que prévu ou ne pas suffire. Et celles qui semblent utopiques pourraient être moins inaccessibles qu’on ne le pense. Sobriété et recherche technologique ne sont ni antagoniques ni substituables. Une politique responsable consiste précisément à les conduire ensemble, comme les deux piliers d’une même planification.
L'auteur : Armand Hatchuel, est professeur à l'Ecole des Mines de Paris en sciences des organisations et management. Il est membre de l'Académie des Technologies.