La question du climat doit enfin dépasser le clivage gauche-droite
Il est plus que temps que les partis politiques aillent au-delà de leurs divergences, et qu'ils consentent à quelques concessions et compromis.
Tout le monde déplore le haut niveau de l'abstention, notamment chez les jeunes, lors des dernières élections législatives. Mais si, au lieu de leur parler de la retraite à 60 ans, on leur parlait du changement climatique, ils se passionneraient peut-être un peu plus pour la vie politique.
La France vient de connaître un épisode de canicule qui inquiète les spécialistes par sa précocité: d'ordinaire, les périodes de forte chaleur surviennent plutôt en juillet ou en août. Partout dans le monde, au cours des dernières semaines, on a enregistré des phénomènes météorologiques qui confirment les prévisions des experts sur l'importance et la rapidité des changements en cours. La majorité présidentielle n'a fait campagne sur rien. Quant à ses opposants, sur quoi ont-ils fait porter l'essentiel de leurs critiques? Sur le pouvoir d'achat, le niveau du SMIC, l'âge légal de départ à la retraite...
Tous ces sujets sont importants. Mais ils sont surtout bien commodes parce qu'ils permettent de faire revivre le bon vieux clivage droite-gauche et de mobiliser ses troupes. Une mobilisation qui n'est d'ailleurs guère réussie, si l'on en juge par le taux d'abstention record de 53,77%. Qui peut se déclarer vainqueur de quoi que ce soit quand le total des suffrages exprimés ne représente que 42,7% des électeurs inscrits?
Les analyses par tranche d'âge sont encore plus consternantes: selon l'institut IPSOS, 70% des moins de 35 ans n'ont pas voté au premier tour. Les jeunes, qui font savoir quand on les interroge que l'environnement est leur première préoccupation devant l'immigration et le chômage, ne se sont pas vraiment sentis concernés par ce scrutin. Mais est-ce vraiment étonnant?
Pour ces élections législatives, EELV a choisi de se placer sous la bannière NUPES derrière Jean-Luc Mélenchon. Et comme c'est l'étiquette NUPES qui était mise en avant, tout s'est passé comme s'il n'y avait en fait pas de candidats écologistes à ces élections. De surcroît, on peut être sensible aux questions environnementales et leur accorder une importance décisive sans être pour cela un électeur potentiel de Jean-Luc Mélenchon.
C'est malheureusement ce que ne semblent pas avoir compris les dirigeants d'EELV: un vrai parti écologiste ne devrait pas faire campagne avec d'autres partis représentant une partie de l'électorat, de droite ou de gauche; il devrait faire campagne seul, quitte à s'allier ensuite avec ceux qui seraient prêts à travailler avec lui.
Les Verts allemands, pourtant capables de faire parfois preuve d'une très grande intransigeance, voire de dogmatisme, ont d'abord participé à une coalition rouge-vert avec le Parti social-démocrate, puis, après les élections de septembre 2021, ils se sont déclarés prêts à ouvrir des discussions avec tout le monde, y compris avec les chrétiens-démocrates de la CDU-CSU; finalement, ils ont négocié un accord-cadre de gouvernement avec les sociaux-démocrates et le Parti libéral-démocrate pour former une coalition rouge-jaune-vert. Allez proposer à des Verts français de s'allier à un parti se réclamant du libéralisme…
On ne peut donc s'étonner que, pour une partie de l'électorat, l'écologie ne soit qu'un faux nez que se mettraient des gens de gauche pour s'attaquer au capitalisme. Il est vrai que le système politique allemand se prête mieux que le nôtre à des coalitions où chacun accepte des compromis en échange d'avancées sur les sujets qu'il juge importants.
En France, la droite ne s'est jamais montrée très active sur l'environnement –ne parlons pas de l'extrême droite: là, c'est le zéro absolu. Il y a eu le grand discours de Chirac de 2002, «notre maison brûle et nous regardons ailleurs», mais peu d'actions ont suivi. L'on a vu encore cette année Xavier Bertrand, candidat à la primaire de la droite pour l'élection présidentielle, accorder dans sa région des subventions aux opposants aux éoliennes.
Que l'écologie penche à gauche est d'autant moins étonnant que les réflexions sur l'environnement conduisent à une remise en cause radicale des bases sur lesquelles fonctionne notre système économique et social. Mais l'ancien membre de l'OCI (Organisation communiste internationaliste) Jean-Luc Mélenchon n'est pas seul à le dire.
«Notre modèle de développement reposant sur une alliance entre croissance économique et progrès social semble avoir atteint ses limites. La croissance se heurte aujourd'hui à la multiplication des crises et aux limites physiques d'épuisement des ressources», peut-on lire dans un document publié par le très officiel organisme France Stratégie, placé auprès du Premier ministre. «Cette imbrication des enjeux économiques, sociaux et environnementaux rend vaine l'idée de politiques publiques conçues du seul point de vue environnemental comme du seul point de vue économique et social.»
Cette approche semble désormais s'imposer à tous les gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche: leur politique économique et sociale doit tenir compte du changement climatique et de l'érosion de la diversité. Mais, à moins d'accepter une nouvelle forme de pensée unique, on doit admettre que des approches différentes des problèmes peuvent et doivent coexister, avec des limites: il ne saurait être question, par exemple, d'accepter une remise en cause de la baisse des émissions de gaz à effet de serre.
L'alternance politique nous a habitués à des allers et retours sur différents sujets, la nouvelle majorité s'employant à détricoter ce que la précédente avait fait. On l'a vu en France au cours des dernières décennies avec l'impôt sur la fortune ou les nationalisations, pour ne reprendre que quelques-uns des dossiers les plus emblématiques. Ces mesures et contre-mesures créent un climat d'instabilité contre-productif, mais peuvent être tolérées.
Si l'on aborde une question aussi centrale que la réduction des gaz à effet de serre, ces petits jeux politiques ne sont plus concevables. Que ce soit au niveau mondial, avec l'accord de Paris, ou au niveau européen, la France a pris des engagements et doit les tenir (la question est posée d'ailleurs de savoir si, actuellement, elle les tient vraiment). Il faudra arriver à la neutralité carbone en 2050: cela n'est plus discutable.
Mais, pour cela, il est impératif que l'écologie sorte de son positionnement à la gauche de la gauche et qu'elle occupe une place centrale dans la vie politique. Il faut qu'un consensus se dégage dans le pays sur les principales mesures à prendre et leur calendrier de mise en œuvre. Si l'on en croit les engagements qu'il a pris entre les deux tours de l'élection présidentielle, Emmanuel Macron s'est rallié à l'idée de planification écologique préconisée par tous les experts un peu sérieux. Le passage à une économie décarbonée doit être organisé de façon concertée entre le public et le privé, l'État central et les collectivités territoriales.
En 2017, Emmanuel Macron avait lancé le projet d'une réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE) pour en faire une «chambre du futur». Deux projets de loi constitutionnelle en ce sens n'ont pas abouti, et une loi organique de janvier 2021 a juste permis de moderniser le CESE. À l'orée de son second mandat, le président a lancé l'idée d'un Conseil national de la refondation, qui ne semble pas susciter un enthousiasme débordant.
Mais, quel que soit le lieu où s'effectuera la consultation sur les réformes à venir, il est important qu'elle soit la plus large possible et que l'ensemble de la population comprenne bien où on veut aller, pourquoi et comment. Ensuite, au cours des prochaines années, chaque gouvernement pourra placer le curseur un peu plus à gauche ou à droite, mais sans remettre en cause l'essentiel.
Cela serait, évidemment, le schéma idéal. Regardons ce qui se passe dans le reste du monde. Poutine se moque complètement du problème climatique; Xi Jinping, plus intelligent et subtil que lui, fait mine de vouloir collaborer avec la communauté internationale sur le dossier, mais sa principale préoccupation est ailleurs: doubler les États-Unis et faire de la Chine la première puissance mondiale, dans tous les domaines.
Quoi qu'on en pense, ce sont encore les puissances du monde «libéral», au sein du G7, de l'OCDE ou de l'Union européenne, qui sont les plus disposées à aborder le problème de front. Ainsi que l'a rappelé la dernière réunion du conseil de l'OCDE au niveau des ministres, les 9 et 10 juin à Paris, «la crise climatique est une crise existentielle».
Et ce ne sont pas que des mots. On voit bien dans chacun de ces pays les organisations économiques travailler à la mise en place des politiques nécessaires à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les progrès sont plus lents et modestes qu'il le faudrait. À l'évidence, le vieux monde se porte toujours bien et l'appât du gain continue d'être une motivation puissante qui l'emporte sur toutes les autres considérations. Les grands groupes pétroliers américains ont bien du mal à prendre des engagements sur le climat et certains s'y opposent toujours, mais les investisseurs se montrent plus exigeants sur ce point.
Certes, on a entendu récemment un directeur mondial de l'investissement «responsable» de la banque HSBC déclarer publiquement: «Le changement climatique n'est pas un risque financier dont nous devons nous inquiéter [...] Qu'est-ce que ça peut faire si Miami est sous six mètres d'eau dans cent ans? Amsterdam est sous l'eau depuis des lustres et c'est un endroit très agréable. Nous nous adapterons.» Mais il a été suspendu.
Ce genre de discours ne passe plus. Il y a quelques années, beaucoup de ses collègues auraient rigolé doucement en l'entendant dire tout haut ce qu'ils pensaient secrètement; aujourd'hui, cette façon de voir et d'agir existe toujours, mais elle est minoritaire.
Dans les milieux économiques, on a bien compris qu'il y avait un double effort à faire: réduire les émissions de gaz à effet de serre et s'adapter au changement climatique qui, de toute façon, est déjà en cours. On voit par exemple l'institut Rexecode, «proche du patronat» selon la formule employée habituellement dans les médias pour le désigner, mettre la question climatique au premier rang de ses préoccupations et affirmer qu'une «planification écologique intégrant politiques climatiques et macroéconomiques sera indispensable»; et c'est un élément à ne pas négliger.
On peut penser que les milieux patronaux ne sont guère intéressés par les discours de Jean-Luc Mélenchon sur le climat, mais qu'ils seront sensibles aux arguments d'économistes en qui ils ont confiance.
Il est clair que l'engagement des entreprises dans la lutte contre le changement climatique sera l'objet de négociations serrées avec le gouvernement, sur le thème: nous sommes prêts à engager le supplément d'investissement nécessaire, mais la transition énergétique a un coût élevé qu'il faut nous aider à supporter. Les «cadeaux aux entreprises» qui seront alors décidés devront être suffisamment bien étudiés pour ne pas risquer d'être remis en question par une autre majorité dans quelques années. La politique climatique doit s'inscrire dans la durée et ne pas dépendre de l'humeur de la majorité en place.
De ce point de vue, on ne peut qu'approuver l'initiative prise par des scientifiques de proposer une formation express sur le climat aux nouveaux députés. À partir de cette semaine, ces derniers seront formés à la transition écologique. Le geste est sans doute symbolique, et l'on peut penser que certains élus ignorent la question non pas parce qu'ils n'ont pas eu l'occasion d'être formés, mais parce qu'ils ont choisi délibérément de l'ignorer.
Ces initiatives transpartisanes sont cependant indispensables. De même que l'on doit se réjouir de voir des dirigeants d'entreprise se réunir en convention pour le climat. Les propositions qu'ils soumettront au gouvernement à la rentrée, et l'accueil que leur réservera celui-ci, ne seront peut-être pas jugées à la hauteur du problème. Mais plus nombreux seront les responsables politiques et économiques à avoir pris conscience de la nécessité d'une action forte et durable en ce domaine, plus les chances d'avancer seront importantes.
Face au changement climatique, il est urgent de faire travailler tout le monde. Les gens de droite seront peut-être tentés de continuer comme avant et de n'apporter que des réponses techniques et scientifiques, du genre remplacer toutes les voitures à moteur thermique par des voitures électriques, ce qui ne serait pas vraiment satisfaisant.
Les gens de gauche seront peut-être tentés de mettre surtout l'accent sur les changements de comportement et de se méfier des innovations venant du secteur privé. Mais, avec un peu d'intelligence collective, on peut espérer progresser quelle que soit la majorité du moment. Ce n'est pas gagné.