Climatisation: «En voulant s’adapter à la hausse des températures, on aggrave le problème»

Publié le par Libération via M.E.

Voraces en électricité et susceptibles de réchauffer encore plus l’air extérieur, les climatiseurs doivent être utilisés en cas d’extrême chaleur et en respectant certaines consignes.

Alors que la France suffoque sous une vague de chaleur qui pourrait faire grimper le mercure jusqu’à 40°C dans le sud du pays, le recours aux systèmes de climatisation semble inévitable. Si la clim est un très bon moyen de limiter les impacts sanitaires des canicules, elle pose plusieurs problèmes environnementaux. «En voulant s’adapter à l’impact du réchauffement et à la hausse des températures, on est amené à mettre en place des choses qui aggravent le problème. La climatisation en est l’exemple archétypal», explique Vincent Viguié, chercheur en économie et sciences de l’environnement au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement.

Un climatiseur dans le XXe arrondissement de Paris, le 16 juin. (Stéphane Lagoutte/Myop pour Libération)

Au Qatar ou en Indeil a fait près de 50°C en avril à la frontière indo-pakistanaise –, les climatiseurs, qui consomment énormément d’énergie, tournent à plein régime… même à l’extérieur pour refroidir les rues brûlantes. Une «aberration environnementale», pour Cécile de Munck, climatologue urbaine à Météo France. «Dans ces pays, mais aussi aux Etats-Unis par exemple, la température de consigne [c’est-à-dire la température à atteindre dans une pièce, ndlr] est souvent trop basse.» Lorsqu’il fait 35°C dehors et que l’on veut une pièce à 19°C, la puissance demandée par les climatiseurs est très forte, et la consommation d’électricité décuplée. En France, où un quart des foyers français sont équipés, il est conseillé de rafraîchir à 26°C au plus bas et qu’il n’y ait pas plus de 5 à 7°C de différence entre intérieur et extérieur. Jeudi, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a d’ailleurs évoqué la possible interdiction de la climatisation en dessous de 25°C dans les lieux accueillant du public.

Réchauffer l’air extérieur

A l’échelle de la planète, l’utilisation de ces appareils représente 10 % de la consommation d’électricité. Et, selon l’Agence internationale de l’énergie, il y aura d’ici 2050 environ 5,6 milliards de climatiseurs dans le monde, contre 1,6 milliard actuellement, consommant à eux seuls la même quantité d’électricité que la Chine aujourd’hui. Avec dix nouveaux climatiseurs vendus chaque seconde au cours des trente prochaines années, cette technologie sera l’un des principaux moteurs de la demande mondiale d’électricité, encore largement produite à l’aide d’énergie fossile. Augmentant de fait l’empreinte carbone des climatiseurs.

Autre problème : certains fluides frigorigènes utilisés dans les systèmes de climatisation, comme les CFC et HCFC, ont une action nocive sur la couche d’ozone. En France, les premiers ont été interdits en 1995, les seconds en 2015. Les fluides HFC, moins nocifs pour la couche d’ozone, remplacent les CFC et HCFC et seront normalement interdits en 2030. Ils n’en restent pas moins un puissant gaz à effet de serre : les HFC ont un pouvoir réchauffant estimé entre 1 300 et 3 260 fois plus élevé que le CO2, selon l’Agence de la transition écologique (ADEME). Ils peuvent s’échapper du climatiseur lors de sa fabrication, de sa maintenance, de sa fin de vie ou si celui-ci a une fuite.

La climatisation a aussi le désavantage de réchauffer l’air extérieur. Comme une pompe à chaleur, le climatiseur prélève la chaleur de la pièce et l’évacue vers l’extérieur. «L’augmentation de la température des rues est proportionnelle à la puissance de climatisation», note Cécile de Munck. Par des simulations, les chercheurs du Centre national de recherches météorologiques ont établi que, si la chaleur émise par les climatiseurs parisiens venait à être doublée d’ici 2030, l’augmentation de la température serait de 2°C dans la capitale.

«Mesure d’adaptation d’urgence»

Pour Cécile de Munck, «la climatisation est une mesure d’adaptation d’urgence à laquelle on risque d’avoir de plus en plus recours à l’avenir». Si l’utilisation de la clim devient indispensable, son usage doit être le plus vertueux possible. D’abord, ne l’allumer qu’en cas de températures extrêmes et ne pas la régler trop bas : «La variation de consommation d’énergie est très importante entre 25 ou 27°C», détaille Vincent Viguié. Eviter aussi de laisser le climatiseur allumé quand on sort, une pièce pouvant être rafraîchie rapidement. L'ADEME recommande aussi de bien choisir son équipement, «l’écart de consommation entre les différentes solutions étant très significatif».

A défaut de climatiseur, quelques astuces peuvent faire l’affaire en cas de fortes chaleurs. Fermer ses volets, mettre des linges fins imbibés d’eau près des portes et fenêtres, ce qui permet le transport d’air frais et une température ressentie plus agréable. Aérer pendant les heures fraîches, s’humidifier soi-même ou dormir avec des vêtements humides, des mesures d’appoint suffisantes pour les personnes les moins vulnérables.

Des leviers d’actions existent aussi à l’échelle des quartiers et des villes, comme l’isolation des habitations ou la végétalisation. «Il faut se mettre à répertorier les collectivités qui mettent en place des solutions efficaces et les généraliser», plaide Cécile de Munck. Si les brumisateurs peuvent être une bonne idée, car moins gourmands en électricité, ils consomment de l’eau, une ressource de plus en plus précieuse. «On doit essayer d’avoir les meilleures pratiques, rendre inacceptable de climatiser un magasin aux portes grandes ouvertes, anticipe Vincent Viguié. Les changements de mentalité arrivent petit à petit.»

Source : https://www.liberation.fr/environnement/climat/climatisation-en-voulant-sadapter-a-la-hausse-des-temperatures-on-aggrave-le-probleme-20220616_5BM7D5CYQBD2JK7PQVQAP37P6Y/

Publié dans Climat, Energie

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