Un laboratoire volant pour l'avion à hydrogène

Publié le par Sciences & Avenir via M.E.

Airbus, associé à Safran et à General Electric, va développer un avion à propulsion à hydrogène qui permettrait de ne plus émettre aucun gaz à effet de serre. Ce laboratoire volant testera le stockage de ce carburant inédit mais aussi l'alimentation du réacteur.

Un A380 modifié pour tester grandeur nature un moteur à hydrogène. AIRBUS SAS 2022

Avec ce drôle de réacteur qui lui fait comme une excroissance sur le fuselage, nul doute que cet Airbus A380 attirera les regards. D'autant qu'il ne transportera pas des touristes, mais des ingénieurs chargés de tester grandeur nature l'avion à hydrogène. Le 22 février, Airbus a en effet annoncé la signature d'un partenariat avec deux motoristes, le français Safran et l'américain General Electric, associés au sein de la structure CFM International, afin de mettre au point un avion "démonstrateur" doté d'un réacteur à hydrogène, en plus de ses quatre réacteurs classiques au kérosène.

"Remplacer 400 millions de tonnes de kérosène en 2050"

L'engin devrait prendre son envol fin 2026 au plus tard. Pour Airbus, il s'agit d'accélérer la cadence vers une limitation des émissions de gaz à effet de serre, dans le sillage d'un rapport du Groupe d'action du transport aérien (ATAG), qui a fixé l'année dernière comme objectif la neutralité carbone de l'aviation en 2050. "C'est un défi considérable car cela veut dire remplacer 400 millions de tonnes de kérosène en 2050, explique Nicolas Jeuland, expert "carburant du futur" chez Safran. Heureusement, nous disposons de plusieurs voies pour y parvenir, à commencer par les économies d'énergie avec la mise au point de moteurs plus performants et plus sobres, des avions plus légers, l'optimisation des routes aériennes, la diminution des temps d'attente au-dessus des aéroports. Nous aurons aussi recours aux carburants neutres en carbone… La solution globale viendra d'une combinaison de tous ces leviers (lire encadré ci-dessous). L'hydrogène aura sa place, reste à préciser laquelle et c'est notamment l'objectif des tests qui seront effectués sur l'A380."

Mais le kérosène sera bien difficile à détrôner, comme le rappelle Nicolas Jeuland, passé par l'Institut français du pétrole : "Les avions consomment en réalité du 'jet fuel', du kérosène avec différents additifs qui en font un produit optimisé pour l'aviation et surtout standardisé. C'est comme le Coca-Cola : il doit être identique partout dans le monde de sorte qu'un appareil faisant le plein par 40 °C à Bali ou par -30 °C à Vancouver ne rencontre pas de difficulté, ni d'approvisionnement au sol, ni d'utilisation en vol. "

Les carburants synthétiques, l'autre voie pour décarboner l'aérien

D'un côté, de l'hydrogène produit par électrolyse de l'eau à partir de courant électrique issu d'énergies renouvelables. De l'autre, du dioxyde de carbone prélevé dans l'atmosphère ou à la sortie des cheminées d'usine. La combinaison des deux donne un carburant synthétique "bas carbone" pouvant se substituer aux combustibles fossiles. Sa combustion rejette certes du CO2, mais c'est celui capté pour sa fabrication. Le bilan est donc neutre.

Ce secteur est en pleine ébullition. En janvier, Engie, le fournisseur français de gaz naturel, et Safran ont investi dans Ineratec, une start-up allemande spécialisée dans ce type de production. La jeune pousse a le projet de construire une usine pilote à Francfort capable de produire 3500 tonnes de carburant par an, dont du carburant aérien de synthèse. En février, Engie, allié cette fois à l'entreprise américaine Infinium, a annoncé la construction d'une usine près de Dunkerque (Nord) en 2026. Objectif : fabriquer des carburants synthétiques grâce aux 300.000 tonnes de CO2 captées sur les installations de production d'acier par ArcelorMittal, et de l'hydrogène vert produit par un électrolyseur de 400 millions de watts construit à proximité.

Résoudre le problème de l'encombrement du carburant

L'hydrogène est-il un bon candidat de substitution ? En tous les cas, il possède assez de qualités pour que les avionneurs s'y intéressent de près. D'abord, il n'émet pas de CO2 : sa combustion dans l'air produit surtout de l'eau, et des oxydes d'azote. Il n'engendre pas non plus de suies. Il peut être produit à "bas carbone", si on l'obtient à partir d'une électrolyse de l'eau réalisée avec de l'électricité d'origine renouvelable. Côté énergie, un kilogramme d'hydrogène liquide en libère trois fois plus qu'un kilogramme de kérosène. En revanche, ce kilogramme d'hydrogène prend quatre fois plus de place. Finalement, pour une même quantité d'énergie délivrée, l'hydrogène liquide est donc plus encombrant. Les ingénieurs d'Airbus vont devoir composer avec tous ces éléments pour concevoir un avion à hydrogène d'ici à 2035, objectif fixé par l'avionneur.

"D'où la conception de ce laboratoire volant, détaille Mathias Andriamisaina, responsable des activités de démonstrations et de tests des technologies hydrogène chez Airbus. Nous utilisons un avion d'essai A380 que nous connaissons déjà bien car il a notamment servi à tester les moteurs de l'A350, l'autre gros-porteur de notre gamme. Notre objectif est de tester en vol le plus rapidement possible les différentes composantes d'une propulsion à l'hydrogène : le stockage, l'acheminement jusqu'à la chambre de combustion, la turbine. Dans un premier temps, nous allons tester les technologies, l'optimisation viendra ensuite. " Basé à Toulouse (Haute-Garonne), l'A380 servira d'abord à expérimenter l'approvisionnement de l'appareil en hydrogène. Une gageure, car le combustible est stocké sous forme liquide par -253 °C, contrairement au "jet fuel" qui se trouve à température ambiante. Si d'aventure l'hydrogène venait à s'imposer, il faudrait revoir toute l'infrastructure aéroportuaire destinée au remplissage des avions.

C'est également sous la forme d'un liquide cryogénique qu'il sera stocké à bord. "Cela constitue l'une des difficultés majeures, estime Mathias Andriamisaina. Nous devons mettre au point un système de réservoir avec une isolation très poussée car il n'y aura pas de système frigorifique actif. " L'autre impératif sera de limiter le risque de fuite : le dihydrogène (H) étant la plus petite molécule de la chimie, il peut se faufiler très facilement. "Le combustible sera stocké dans un conteneur isolé, parfaitement étanche. Pour l'acheminer, nous envisageons d'utiliser des tuyauteries 'double peau' qui conservent la température et assurent une barrière de protection supplémentaire. Enfin, nous devrons considérer le cas où toutes les barrières mises en place pour contenir les fuites auraient cédé. Cela veut dire concevoir un système de ventilation très efficace pour éviter l'accumulation de dihydrogène, et le risque d'explosion. "

Le moteur proprement dit sera fourni par Safran et General Electric. Ils bénéficieront de l'expérience d'Ariane, la fusée embarquant un système de stockage cryogénique pour refroidir l'hydrogène liquide, l'un des ergols consommés par Ariane 5. Mais il ne s'agit pas de transformer l'Airbus en fusée… La problématique diffère entre un moteur qui ne sert qu'une fois, et un réacteur destiné à fonctionner durant des milliers d'heures. "Nous allons nous concentrer sur le développement du moteur hydrogène complet, reprend Nicolas Jeuland. Il faut concevoir le système d'injection de l'hydrogène, avec un challenge de taille : mettre au point le circuit permettant de passer de l'hydrogène liquide du réservoir à l'hydrogène gazeux sous pression injecté dans la chambre de propulsion. Les températures de combustion de l'hydrogène sont différentes de celles du kérosène, ce qui nécessite d'optimiser la combustion et de vérifier que les matériaux sont compatibles. Par ailleurs, la combustion produit de l'eau : faut-il craindre la corrosion ? Enfin, dans l'hypothèse où nous ne serions pas en mesure de garantir la qualité de l'hydrogène partout sur le globe, quelles seraient les conséquences de la présence d'impuretés sur les performances du moteur ?"

Objectif : commercialiser un moyen-courrier en 2035

La feuille de route, ou plutôt le plan de vol de l'Airbus A380 est donc bien rempli. L'objectif est de parvenir à mettre au point un modèle commercialisable en 2035. Mais ce ne sera pas tout de suite un gros-porteur de type A380. Pour les vols long-courriers, la quantité d'hydrogène à emporter serait trop importante. La stratégie d'Airbus s'oriente vers des moyen-courriers, d'une capacité maximale de 200 passagers. Même son de cloche du côté du concurrent américain Boeing, qui ne croit pas non plus dans les gros-porteurs à hydrogène. Après l'ère du carburant unique, l'aérien se dirige donc vers les solutions multiples afin de concilier les voyages et l'écologie.

La pile à combustible adaptée à l'aéronautique ?

Il existe une autre manière d'utiliser l'hydrogène que de le brûler. Une pile à combustible (PAC) permet de fabriquer de l'électricité à partir d'hydrogène et d'oxygène, ne rejetant que de l'eau. Pourrait-on imaginer des gros-porteurs équipés de moteur électrique alimenté avec des PAC ? Difficile, car selon Mathias Andriamisaina de chez Airbus, "la masse du système propulsif avec une PAC serait trop importante. En revanche, nous pourrions les utiliser comme source auxiliaire de puissance afin de fournir l'électricité dont l'avion a besoin pour ses équipements. Ou bien utiliser des moteurs électriques, plutôt que les réacteurs, pour faire rouler les avions sur le tarmac."

Source : https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/transports/un-laboratoire-volant-pour-l-avion-a-hydrogene_163113

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