Toujours plus de pesticides dans les fruits et légumes vendus au sein de l’UE
Une étude, publiée par l’ONG Pesticide Action Network, démontre que la quantité de pesticides au sein des fruits et légumes augmente «spectaculairement» depuis dix ans. Ce qui contrevient aux ambitions formulées par l’Union.
Avoir un objectif, c’est bien, mais l’atteindre c’est mieux. L’Union européenne clame haut et fort sa volonté de réduire de moitié d’ici à 2030 le recours aux pesticides les plus dangereux – herbicides, fongicides, insecticides en tête. Depuis 2011, les Etats membres doivent même éliminer les 55 pesticides les plus nocifs. Problème, un rapport de l’ONG Pesticide Action Network Europe (PAN) révèle ce mardi que leur présence dans les légumes et surtout les fruits vendus au sein de l’UE a considérablement augmenté au cours des dix dernières années, entre 2011 et 2019.
Pour preuve : la PAN assure, à partir de 97 000 échantillons, que 29% des fruits frais contiennent des traces de pesticides, contre 18% en 2011. Les fruits les plus contaminés en Europe sont les mûres (51%), les pêches (45%), les fraises (38%) et les abricots (35%). Plus du tiers (34% contre 16%) des pommes, le fruit le plus cultivé sur le continent, est exposé. De même, alors que les kiwis étaient quasiment exempts de ces substances toxiques (4%) il y a dix ans, près d’un tiers (32%) est aujourd’hui contaminé.
La moitié des cerises serait contaminée par des traces de pesticides (contre 22% en 2011). D’autant qu’elles contiennent «fréquemment» – notamment celles produites en Espagne – des traces du fongicide Tebuconazole, jugé très toxique par les autorités sanitaires européennes. L’ONG note, sans préciser plus, qu’un nombre croissant de pesticides sont retrouvés à l’intérieur d’un unique fruit. Pourtant, les scientifiques mettent «de plus en plus» en garde contre ces «cocktails chimiques», qui «amplifient les effets sur la santé humaine», affirme l’étude.
De leur côté, les légumes, moins sujets aux insectes et aux maladies, sont moins exposés aux pesticides. Selon l’étude, 13% des échantillons étaient concernés en 2019 (contre 11% en 2011). Les légumes les plus concernés étant le céleri, le céleri-rave et le chou kale (31%). Mais pour Luc Multigner, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), contacté par Libération, l’étude ne précise à aucun moment la quantité de pesticides retrouvée au sein des fruits et légumes, et si elle augmente ou non depuis dix ans. «C’est comme si on disait que tout le monde est alcoolique parce qu’il y a quelques traces d’alcool dans un éthylotest», soupire-t-il.
Constat sans appel : «Les gouvernements manquent à leurs obligations légales», pour l’ONG PAN. Car l’UE a pour ambition, depuis 2011, de réduire autant que possible l’utilisation des pesticides de synthèse – herbicides, fongicides, insecticides… -, considérés comme les plus à risque. Leur autorisation est déjà réglementée dans les pays européens. Leur période d’approbation est notamment limitée à sept ans par l’UE, contre quinze ans pour les autres pesticides. Surtout, les Etats membres sont censés encourager les alternatives chimiques et non chimiques moins nocives. Pour conduire in fine à l’élimination pure et simple de tout pesticide.
Les conclusions de l’étude «révèlent un échec des Etats membres à faire appliquer les lois au détriment de la protection des consommateurs». L’ONG appelle à une «interdiction directe des douze pesticides les plus toxiques» et à «une élimination totale des 55 pesticides très nocifs d’ici à 2030». «S’il n’y a pas de mesures fortes, on ne voit pas comment l’objectif de l’UE de réduire de moitié le recours aux pesticides les plus nocifs pourrait être respecté», tonne la chargée de la campagne antipesticides de PAN, Salomé Roynel, qui rappelle que la Commission a le pouvoir de rappeler à l’ordre les pays «défaillants sur ce sujet».
Concrètement, les pesticides, ces substances destinées à détruire des organismes vivants jugés nuisibles, sont susceptibles d’avoir des effets sur la santé humaine en augmentant les problèmes de fertilité, voire le déclenchement de certaines maladies chroniques – Parkinson, cancers, diabète, problèmes cardiovasculaires en tête. En 2021, une expertise de l’INSERM a conclu à «une présomption forte de lien entre l’exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse ou de l’enfant et le risque de certains cancers (leucémies, tumeurs du système nerveux central)». Par ailleurs, 20% des agriculteurs exposés aux produits phytosanitaires ont des soucis de santé, selon une étude de la Mutualité agricole.
Les pesticides sont également très toxiques pour l’environnement, empoisonnant les sols, les cours d’eau et les invertébrés, amphibiens et oiseaux. Et ce parfois pour de longues durées, comme le révélait une enquête inédite de l’Institut national de recherches pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER).