Comment l’Europe prévoit de se passer des énergies fossiles russes

Publié le par Reporterre via M.E.

La Commission européenne a publié son plan pour diminuer sa dépendance aux hydrocarbures russes. Au programme : sobriété, renouvelables... et développement du gaz naturel liquéfié, critiqué par les écologistes.

Yann Schreiber / AFP

Réduire la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Russie, tout en accélérant la transition énergétique : telle est l’ambition du plan « REPowerEU », rendu public par la Commission européenne mercredi 18 mai. Au menu : sobriété, renouvelables et changements de fournisseurs. La Commission espère ainsi réduire de deux tiers sa dépendance aux hydrocarbures russes d’ici fin 2022, et s’en extraire totalement « dès que possible ».

Premier axe de sa stratégie : les économies d’énergie. La Commission semble avoir évolué sur ce sujet au cours des derniers mois. Lorsqu’elle avait présenté les grandes lignes de son plan, en mars, la Commission n’avait pipé mot sur la sobriété et l’efficacité énergétique. Elle les qualifie désormais d’« éléments vitaux » de la transition, pouvant aider l’Europe à faire face à la crise de l’énergie de la manière « la plus rapide et la moins chère ».

En s’appuyant sur des estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la Commission estime que les économies d’énergie pourraient réduire de 5 % la demande en gaz et en pétrole. Elle promet de « soutenir » des campagnes d’information sur le sujet, et propose aux États membres de mettre en place des mesures fiscales encourageant les économies d’énergie. Elle invite également les législateurs européens à relever les objectifs de l’Union en la matière. Alors que la dernière directive sur l’efficacité énergétique prévoyait une diminution de 9 % de la consommation d’énergie d’ici à 2030, la Commission propose désormais de viser une réduction de 13 %.

La Commission mise sur le solaire

Autre chantier : le développement des énergies renouvelables. La Commission souhaite porter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique de l’Union à 45 % d’ici à 2030 (et non plus 40 %, comme cela était prévu dans la dernière directive sur les renouvelables). D’ici huit ans, le parc renouvelable installé devrait atteindre 1 236 gigawatts (GW), contre 511 aujourd’hui.

L’institution mise particulièrement sur le solaire. D’ici à 2030, elle envisage d’installer plus de 600 GW d’énergie solaire photovoltaïque sur le continent, en utilisant l’espace disponible sur les toits des bâtiments résidentiels, publics et commerciaux. La Commission recommande également aux États membres de développer les pompes à chaleur, la géothermie, l’énergie éolienne, l’énergie solaire thermique et le biométhane. Les Vingt-sept devraient, selon l’exécutif communautaire, exploiter « toutes les possibilités qui existent au sein de leurs cadres législatifs » pour accélérer le déploiement de ces infrastructures.

Pour remplacer le gaz russe, notamment dans le secteur du chauffage, la Commission prône le recours à la biomasse, sourcée, précise-t-elle, de manière « responsable ». Ces promesses ne convainquent pas les écologistes. « Augmenter la biomasse est impossible sans augmenter de manière significative l’exploitation forestière en Europe et à l’étranger », avertit une dizaine d’associations dans un communiqué. Dans une étude, l’Institut allemand pour l’énergie et la recherche environnementale (Ifeu) se montre également circonspect quant à l’objectif de la Commission de doubler la production de biométhane d’ici à 2030 (pour atteindre 35 milliards de mètres cubes par an). Selon ses calculs, cela impliquerait de convertir 5 % des terres agricoles européennes à la production de biomasse (en particulier du maïs), diminuant de manière « significative » la capacité de production alimentaire du continent.

Du gaz naturel liquéfié venu du Qatar, des États-Unis ou d’Algérie

Pour s’affranchir du pétrole, du gaz et du charbon russes dans les secteurs de l’industrie et du transport, le plan « REPowerEU » suggère d’avoir recours à l’hydrogène. D’ici à 2030, elle espère produire dix millions de tonnes d’hydrogène renouvelable sur le territoire européen, et en importer dix millions supplémentaires. Un objectif ambitieux : l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable représente pour le moment moins de 0,1 % de la production européenne. Sa production est également extrêmement énergivore.

Le dernier axe du plan de la Commission est le plus contesté par les écologistes. Il s’agit de « diversifier » les fournisseurs de l’Europe, notamment en développant le gaz naturel liquéfié (GNL). Ce gaz d’origine fossile peut être acheminé par bateau depuis d’autres pays que la Russie, comme le Qatar, les États-Unis ou l’Algérie. Un processus très énergivore : selon une analyse comparative du cabinet Carbone 4, le GNL émettrait 2,5 fois plus d’équivalent CO2 que le gaz transporté par gazoduc.

La Commission défend malgré tout le recours à ce gaz, et la création d’un mécanisme d’achat groupé. Elle recommande d’investir 10 milliards d’euros d’ici 2030 pour construire des terminaux méthaniers dans les ports européens. « Ce sont des investissements de long terme », a dénoncé au cours d’une conférence de presse Svitlana Romanko, coordinatrice de la campagne « Stand with Ukraine ». Ces nouvelles infrastructures, avertit-elle, risquent d’enfermer l’Europe dans son addiction aux combustibles fossiles. « Ils ne font que remplacer un problème par un autre. Ce que nous devrions faire, c’est mettre fin à tous les investissements dans les énergies fossiles. »

Grâce à l’efficacité énergétique et aux renouvelables, l’UE pourrait s’affranchir du gaz russe

D’autres écologistes ukrainiens partagent son analyse. « Ce n’est pas le moment de renforcer notre dépendance énergétique au Qatar et à d’autres pays », pense Kostiantyn Krynytskyi, en charge de l’énergie au sein de l’association ukrainienne Ecoaction. L’activiste recommande à l’Union de se focaliser sur la sobriété, l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Il défend également la mise en place d’un embargo sur l’ensemble des produits fossiles russes. « C’est la seule manière pour l’Europe d’atteindre la sécurité énergétique qu’elle mérite », affirme-t-il.

Ces recommandations se fondent sur plusieurs études récentes. Fin mars, la fondation Bellona, le Regulatory Assistance Project (RAP) et les groupes de réflexion Ember et E3G ont montré que, grâce à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables, l’Union pourrait s’affranchir du gaz russe d’ici 2025 sans construire de nouvelles infrastructures gazières ni se tourner vers le charbon.

Des résultats corroborés par les recherches du Climate Action Network (CAN) : selon l’organisation non gouvernementale, l’Union européenne pourrait se passer du gaz russe d’ici quatre ans sans augmenter ses importations de gaz. Les solutions proposées : réduire la demande en énergie, rénover les bâtiments, développer le solaire photovoltaïque et les pompes à chaleur… Le recette permettrait non seulement de couper les vivres du régime de Vladimir Poutine et de réduire les factures des Européens, selon le CAN, mais aussi de respecter l’accord de Paris. Et donc de prévenir de prochains conflits, a suggéré Ilyess El Kortbi, de Fridays for Future Ukraine, au cours d’une conférence de presse. L’activiste, qui a fui son pays en guerre pour l’Allemagne, l’a exprimé avec beaucoup d’émotions : la sobriété et les renouvelables, dit-il, «  sont les meilleurs ambassadeurs pour la paix et la justice ».

Source : https://reporterre.net/Comment-l-Europe-prevoit-de-se-passer-des-energies-fossiles-russes

Publié dans Energie, Gouvernance

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