Marées, courants, houle : les promesses de l’énergie marine
Transformer courants et marées en électricité : les candidats à la présidentielle Jean Lassalle et Jean-Luc Mélenchon parient sur les énergies océaniques. Prometteuses, elles restent néanmoins coûteuses.
La puissance extraordinaire de l’océan nous permettra-t-elle d’atteindre la neutralité carbone en 2050 ? C’est en tout cas la conviction de deux candidats à la présidentielle, Jean Lassalle et Jean-Luc Mélenchon. Lors de son meeting du 16 janvier, l’Insoumis a longuement vanté la force de la mer, dont il souhaite exploiter le vent (via l’éolien en mer), ainsi que les marées, les courants et les écarts de température. Jean Lassalle explique quant à lui vouloir remplacer les projets éoliens par « l’énergie de la mer », qualifiée « d’atout précieux ». L’océan, qui recouvre 70 % de la planète, représente un gisement énorme d’énergie renouvelable. Selon le professeur émérite à l’université de Nantes Jacques Guillaume, 8 000 milliards de kilowattheures pourraient être produits à travers le monde grâce à la houle, aux courants et à l’énergie thermique des mers. Mais, contrairement au photovoltaïque et à l’éolien, les techniques d’exploitation de ces énergies n’en sont encore qu’à leurs balbutiements.
On distingue cinq énergies marines renouvelables : la plus ancienne (et mature technologiquement) est l’énergie marémotrice, qui utilise la variation du niveau de la mer lors des marées. Une usine marémotrice fonctionne depuis 1966 dans le nord de la Bretagne, dans l’estuaire de la Rance, avec une capacité installée de 240 mégawatts (MW). Les hydroliennes exploitent la vitesse des courants, en général grâce à des turbines immergées. Deux fermes pilotes sont déjà installées au Royaume-Uni, et plusieurs projets sont en cours de développement au Canada et au large de la Normandie. L’énergie houlomotrice utilise quant à elle l’énergie des vagues, en pleine mer ou à proximité d’une digue. Des démonstrateurs sont déjà à l’eau en Norvège, en Écosse, aux Pays-Bas, en Espagne et en France. Un projet de ferme pilote a également été lancé dans la baie d’Audierne, en Bretagne. L’énergie osmotique et l’énergie thermique des mers sont les systèmes les moins avancés. La première exploite la différence de salinité entre l’eau douce et l’eau de mer, et la seconde la différence de température entre les eaux profondes et les eaux de surface. Cette dernière peut être très importante dans les zones intertropicales. Elle ne peut en revanche être exploitée en métropole, où les écarts thermiques sont moins prononcés.
Amandine Volard, ingénieure éolien et énergies marines à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) voit plusieurs avantages à ces énergies : « Globalement, elles ont peu ou pas d’impact paysager, et modifient assez peu notre environnement. Beaucoup sont sous l’eau, ce qui pourrait être un atout important quand on voit les débats que peut générer l’éolien », dit-elle à Reporterre. Quoique intermittente, l’énergie tirée de la houle et des courants de marée est également prédictible. « On peut connaître les courants de marée plusieurs siècles en avance », précise Yann-Hervé De Roeck, directeur général de France énergies marines, un institut chargé de développer la filière. Un atout de taille : « Cela permet aux gestionnaires de réseau d’avoir une vision claire de la quantité d’énergie qui va être disponible », note Amandine Volard, de l’ADEME.
Avec 11 millions de kilomètres carrés d’eau de mer sous sa juridiction, la France est par ailleurs fort bien dotée en ressources océaniques. Ces techniques pourraient également être une solution intéressantes pour les îles non connectées au réseau continental, comme la Corse, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte, ou encore les îles du Ponant, selon Yann-Hervé De Roeck.
Ces techniques étant encore jeunes, leurs conséquences environnementales sont peu connues. Le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) y avait consacré en 2014 une note. Elle évoquait notamment la dégradation des fonds (sur une surface réduite dans la majorité des cas) et l’introduction dans le milieu marin de produits chimiques destinés à limiter le « bio-encrassement » (c’est-à-dire l’installation d’êtres vivants sur les surfaces immergées). Certains systèmes d’exploitation de l’énergie thermique des mers ont par ailleurs recours à de l’ammoniac : « Une fuite importante de ce fluide dans le milieu marin serait certainement très grave, au vu des quantités, pour les organismes », notait l’organisation.
« L’impact environnemental des systèmes déjà mis en place est a priori assez faible, même s’il doit être confirmé, indique Amandine Volard. Pour l’hydrolien, les turbines tournent à faible vitesse. Elles ne font pas de sushis de poissons. On n’a pas observé de collisions, et l’effet sur les dynamiques sédimentaires est faible. »
Avec une exception : l’énergie marémotrice, dont les conséquences sont mieux documentées. Lors de la construction de l’usine de la Rance, l’estuaire avait dû être fermé pendant trois ans. L’absence d’échanges entre eaux douces et eaux salées a profondément modifié le milieu, et notamment sa concentration en sel, à laquelle les organismes locaux sont très sensibles. Selon l’UICN, cette installation industrielle a détruit les nourriceries et les frayères de l’estuaire. L’écosystème de la Rance s’est également envasé. Certaines espèces, comme le lançon et la plie, ont disparu.
Globalement, les énergies marines ne seraient pas la panacée, assure le porte-parole de Négawatt Marc Jedliczka. Dans la dernière version de son scénario de transition énergétique pour la France, l’association table sur un essor très limité de ces sources d’énergie. Elles devraient selon ses estimations représenter à peine 0,5 % du total de la production française d’énergies renouvelables en 2050, loin derrière l’éolien terrestre et maritime, la biomasse et le solaire photovoltaïque. « Ce sont des technologies très séduisantes sur le papier mais très, très compliquées à mettre en place d’un point de vue industriel. On n’y arrive pas », explique Marc Jedliczka. Le milieu marin, rappelle-t-il, est extrêmement corrosif et violent. Un prototype houlomoteur installé dans les eaux de La Réunion avait par exemple été emporté par un cyclone en 2014. Il est pour le moment difficile de créer des installations suffisamment robustes à des coûts acceptables.
Réseau de transport d’électricité (RTE) se montre tout aussi frileux. Le potentiel de l’hydrolien, explique-t-il dans son rapport « Futurs énergétiques », reste « très limité comparé aux autres énergies renouvelables en France ». La filière est également « à un niveau de maturité technologique et de coûts qui ne permettent pas d’envisager son déploiement à grande ampleur à court terme ». La croissance des autres énergies marines renouvelables devrait selon lui rester « limitée à court terme » en raison des conséquences environnementales de l’énergie marémotrice, de l’immaturité de la filière houlomotrice et du gisement « limité » d’énergie thermique des mers en France métropolitaine.
Même dans son scénario « 100 % renouvelables », qui mise sur un développement extrêmement ambitieux des sources disponibles, le gestionnaire de réseau estime que la production d’électricité des énergies marines n’atteindra que 9 térawattheures par an en 2050. À titre de comparaison, RTE estime que le solaire photovoltaïque produira 28 fois plus d’électricité, l’éolien en mer 25 fois plus, et l’éolien terrestre 16 fois plus. « Les énergies marines ne sont pas la solution pour 2030 [1] », admet Yann-Hervé De Roeck, de France énergies marines.
Selon Marc Jedliczka, il serait plus judicieux, étant donné l’urgence climatique, de se concentrer sur des techniques éprouvées plutôt que d’investir des millions dans des énergies qui ont encore leurs preuves à faire à grande échelle, contrairement à ce que souhaitent Jean Lassalle et Jean-Luc Mélenchon. « Si les énergies marines finissent par marcher, tant mieux, mais cela arrivera trop tard. Ce dont on a besoin, c’est de réduire notre consommation d’énergie et de produire du renouvelable immédiatement. Il faut que l’on crache du térawattheure. » La vraie innovation, selon lui, serait de « généraliser ce qui fonctionne déjà bien », comme l’éolien et le solaire photovoltaïque.
Amandine Volard, de l’Ademe, est moins catégorique : « On demande aujourd’hui aux énergies de la mer d’être au même niveau de maturité que le photovoltaïque ou l’éolien, qui se développent depuis plusieurs dizaines d’années. C’est évidemment impossible », estime-t-elle. L’ingénieure assure que les filières ont « déjà abordé une courbe de réduction des prix intéressantes, en particulier pour l’hydrolien ». Ils restent cependant supérieurs à ceux des autres énergies renouvelables. Le coût de production de l’hydrolien marin oscille entre 250 et 350 euros par mégawattheure, indique l’ingénieure. Selon une étude de 2020 de l’ADEME, celui de l’éolien marin posé serait compris entre 110 et 120 euros par mégawattheure, et celui de l’éolien terrestre entre 50 et 71 euros par mégawattheure.
Certaines entreprises, comme SBM Offshore, Hydroquest ou CEPS Techno, tentent cependant d’améliorer la résistance des systèmes et de limiter les coûts de maintenance, explique Amandine Volard. « L’histoire nous a démontré que si l’on dépendait majoritairement d’une ou deux sources d’énergie, cela pouvait engendrer des difficultés importantes. Si l’on a des sources d’énergie disponibles sur le territoire national qui démontrent leur fiabilité, même un peu plus chères, il serait dommageable de s’en passer. » « Chaque énergie apporte un service au réseau », observe pour sa part Yann-Hervé De Roeck.
Tous deux s’accordent cependant à dire, comme Marc Jedliczka, que les énergies marines ne pourront à elles seules remplacer les énergies fossiles d’ici 2050. Développer les autres énergies renouvelables, et notamment l’éolien, est indispensable. Jean-Luc Mélenchon le prévoit. Jean Lassalle, non.