Ecologie, une disparition politique
Pourtant considérée comme une priorité par les Français, l’écologie a été presque absente des débats de la campagne présidentielle qui s’achève. La réticence médiatique à considérer l’urgence climatique comme un sujet politique majeur est l’une des explications à ce paradoxe, estime Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».
Chronique. Il suffisait de consacrer quelques minutes quotidiennes à l’écoute de la radio ou de la télévision au cours de la campagne présidentielle pour entendre cette question : « Comment expliquez-vous que l’environnement et le climat n’aient pas percé dans le débat ? »
Dans la bouche des intervieweurs politiques, la question n’est pas sans évoquer une fausse candeur de pyromane s’étonnant de la recrudescence des incendies. Comme l’ont relevé à plusieurs reprises les organisations non gouvernementales (ONG) réunies dans « L’affaire du siècle », les questions posées aux différents candidats ou à leurs représentants n’ont que très peu abordé l’enjeu climatique. La question de l’effondrement de la biodiversité a, elle, été complètement ignorée.
Selon les estimations de « L’affaire du siècle », le climat n’aura occupé qu’environ 5 % du temps des débats animés par les grands médias audiovisuels, au cours de la campagne qui s’achève. Cette quasi-absence a des effets majeurs sur notre perception collective des risques réels du dérèglement climatique en cours.
L’interview politique est de fait performative : les questions qui ne sont pas posées disparaissent de la conversation publique, et perdent leur importance dans toutes les strates de la société. Ce dont on ne parle pas ne saurait être important.
L’habitabilité de la planète, à échéance de quelques décennies ? Une question de second ordre. Organiser l’adaptation et la résilience de la société et des économies face à ce qui est déjà inéluctable ? Un non-sujet. En termes de tactique politique, il y a peu d’intérêt pour les candidats à travailler une matière réduite à la portion congrue lors des débats. Peu suspect de menées écologistes, le think tank The Shift Project n’a ainsi classé que deux des douze projets initialement en lice comme « proches » des objectifs climatiques de la France, ceux de Jean-Luc Mélenchon et de Yannick Jadot.
D’où ce paradoxe : alors que les enquêtes d’opinion consacrent l’environnement comme une préoccupation majeure des Français – souvent en deuxième ou troisième position –, les trois quarts des suffrages sont allés, le 10 avril, à des programmes dépourvus de toute ambition en la matière.
Ce n’est pas si étonnant. La formation intellectuelle et la culture professionnelle du journalisme politique conduisent depuis des décennies à privilégier les questions économiques, l’immigration, l’insécurité, sans oublier les stratégies discursives des uns et des autres, les affrontements d’ego et les tactiques d’appareil. Les questions environnementales, techniques et rébarbatives, ne sont jamais qu’effleurées.
Au reste, la ligne éditoriale des grands médias audiovisuels a rendu presque impossible l’affirmation d’un débat politique sur l’environnement.
Selon les chiffres de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique colligés par les Décodeurs du Monde, les candidats de droite et d’extrême droite ont bénéficié d’environ 593 heures de temps de parole sur les principales stations de radio et chaînes de télévision entre le 1er janvier et le 7 mars. Dont 276 heures pour Eric Zemmour, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan. En regard, les candidats de gauche et d’extrême gauche ont eu droit qu’à 281 heures, dont moins de 175 heures pour les deux candidats distingués par The Shift Project. Les thématiques de l’insécurité, de l’immigration, du « wokisme » ou de la prétendue grandeur perdue de la France se sont ainsi mécaniquement imposées face aux sujets environnementaux.
Ce déséquilibre pose évidemment, bien au-delà de la place de l’écologie, une question démocratique majeure qui est un peu l’« éléphant dans la pièce » – nul ne peut en ignorer l’existence mais chacun fait comme s’il n’était pas là.
Ce n’est sans doute pas tout. La popularisation des travaux d’organes d’expertise, comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), n’est peut-être pas non plus étrangère à la disparition de la question climatique du débat politique. En particulier, dans son dernier opus publié début avril, où le GIEC présente des scénarios de développement susceptibles d’atténuer le réchauffement en cours.
Ce travail est souvent présenté et compris comme un catalogue de mesures techniques (agrémenté d’économies d’énergie) susceptibles d’être déployées dans le cadre de tout programme, indépendamment de son orientation politique ou de celui qui le porte. Certains journaux en ont d’ailleurs donné à lire les grandes lignes dans leur section « Sciences », comme si l’affaire n’avait rien à voir avec des choix profondément politiques sur les inégalités, la répartition des efforts, la distinction entre l’essentiel et le superflu, la solidarité entre pays du Nord et du Sud, etc.
La question climatique est aussi, le plus souvent, abordée dans l’espace public sous le seul angle des technologies susceptibles de « décarboner » l’économie. Bien que nécessaire, cet objectif occupe la totalité de la petite niche médiatique dévolue au climat. Mais, plus le temps passe, plus il devient démobilisant, car trop facilement désamorcé par le fait que la France est loin de pouvoir infléchir, à elle seule, la trajectoire climatique de la planète.
C’est peut-être là l’une des explications à ce hiatus, relevé par nombre de commentateurs : marginalisés sur la scène politique nationale, le climat et l’environnement tendent au contraire à s’enraciner à l’échelle locale, comme en témoigne le succès des écologistes aux dernières élections municipales. Comme si la perspective de voir l’Etat s’emparer sérieusement de ces questions était illusoire, comme si toute marge de manœuvre consistait désormais à tenter de s’adapter à l’inexorable, au plus près de chez soi.