Pourquoi la France est, parmi les pays à haut revenu, celui où on meurt le plus du COVID-19

Publié le par The Conversation via M.E. (traduction)

Au 8 février 2022, le nombre cumulé de décès liés au COVID-19 dans le monde était proche de 5,8 millions. Avec plus de 2 300 décès de COVID-19 par million d'habitants, les États-Unis, la Belgique, l'Italie et le Royaume-Uni ont enregistré le plus grand nombre de décès, suivis de l'Espagne et de la France (avec environ 2 000).

Lionel Bonaventure/AFP

À cette époque, le nombre total de décès par million de COVID-19 en France était supérieur de 14 % à la moyenne des pays à revenu élevé (1 740) – mais cela n'a pas toujours été le cas. La différence a culminé à 113 % le 1er mai 2020 et s'est progressivement réduite par la suite (80 % en juin 2020 ; 50 % en décembre 2020). Une fois la première vague de l'épidémie passée, cela semblerait indiquer que la France a mieux géré la crise sanitaire que d'autres pays à revenu élevé, mais sans combler ses lacunes initiales.

La France a en effet fait des efforts, augmentant son budget de la santé de 8% en 2020 (par rapport à 2019) produisant un déficit de 30 milliards d'euros pour le secteur de la santé (20 fois plus qu'en 2019).

La performance de la France semble donc discutable compte tenu de la qualité du système de santé français et de la part relativement élevée du PIB qu'il consacre aux dépenses de santé. En 2019, cela s'élevait à 11,1 %, un taux similaire à la Suède, au Canada ou au Japon, mais derrière les États-Unis, la Suisse et l'Allemagne avec respectivement 16,8 %, 11,7 % et 11,3 %.

Alors qu'est-il arrivé à un pays qui, selon l'Organisation Mondiale de la Santé en 2000, offrait les « meilleurs soins de santé globaux » au monde ?

Il y a trois explications possibles : la santé de la population générale, la performance du système de santé et les réponses spécifiques pour lutter contre la pandémie.

Une population plus vulnérable au COVID-19 ?

L'âge et les comorbidités sont les principaux déterminants des décès liés au COVID-19. Les résidents de France seraient-ils en moyenne plus susceptibles de développer des formes graves ou létales après une infection au COVID-19 que les personnes infectées dans les autres pays de l'OCDE ?

Tout d'abord, la France se classe au 9e rang mondial des pays ayant la plus forte proportion de +65 ans (20 % de la population). Ensuite, 38 % de la population française âgée de 18 ans et plus vit avec au moins une maladie chronique contre 35,2 % dans les pays de l'OCDE.

Le tabagisme étant associé à une plus grande vulnérabilité aux maladies infectieuses, le taux élevé de fumeurs quotidiens français (24 % contre 16 % dans les pays de l'OCDE) pourrait également être un facteur contributif. Enfin, à 65 ans, les Français peuvent espérer vivre une année de vie en bonne santé de moins que les Allemands, et cinq années de moins que les Suédois (OCDE).

Un système de soins public-hospitalier universel, généreux mais… centralisé

Une autre explication des chiffres de mortalité français plus élevés peut provenir du système de santé lui-même. Datant de 1945, le système de santé français est basé sur une approche dite "bismarckienne" (un modèle d'assurance santé lié au salaire), combinée à des objectifs d'universalité similaires au modèle Beveridge du NHS britannique développé au cours des 20 dernières années. Elle est très réglementée en termes de prix, de quantité et de qualité des soins.

L'assurance maladie statutaire (AMS) est obligatoire et uniforme pour tous les résidents français. En 2000, l'assurance maladie a été étendu à tous les résidents légaux par le biais de l'assurance maladie universelle. Les prestations couvertes par l'AMS et les dépenses de soins de santé sont définies au niveau national. Par ailleurs, l'assurance maladie complémentaire (AMC) complète l'AMS pour 96 % de la population française. Après tous remboursements, le reste à charge moyen en France est l'un des plus faibles des pays de l'OCDE (9 % des dépenses courantes de santé, derrière l'Afrique du Sud avec 7,7 %). Cependant, de nettes disparités sociales existent, notamment en termes d'accès aux spécialistes, aux médicaments, aux soins dentaires et optiques.

En matière de soins primaires, la politique française d'offre de soins n'est pas fondée sur les soins de santé primaires ou la santé publique. A cet égard, la part des dépenses de santé consacrée aux soins ambulatoires est faible par rapport aux pays de l'OCDE (environ 22 % des dépenses de santé, et en moyenne six visites chez le médecin, principalement chez le généraliste). De plus, le nombre de médecins par habitant est inférieur en France à la moyenne de l'OCDE, avec respectivement 3,2 et 3,6 médecins en exercice pour 1 000 habitants.

Depuis le milieu des années 2000, la France mène une politique de renforcement des soins primaires. Elle a mis en place un système d'inscription des patients (le médecin traitant fait office de référent depuis 2004) et de référence et des modes de paiement diversifiés (médecins et spécialistes sont majoritairement rémunérés à l'acte). La France a promu et développé la coopération et la pluri-professionnalité, notamment dans les centres de santé et cliniques, et plus récemment la coordination territoriale.

Enfin, le système de santé français est un système de soins public-hospitalier centralisé construit autour de la prise en charge des maladies chroniques. Même si les soins ambulatoires augmentent, les dépenses hospitalières représentent encore près de la moitié de toutes les dépenses de santé.

La réponse initiale du système de santé au flot de cas positifs au COVID s'est donc concentrée sur l'hôpital public, laissant de côté les acteurs privés (comme les cliniques et les médecins libéraux).

Le nombre de lits d'hôpitaux et la flexibilité d'utilisation sont des facteurs-clés pour répondre à toute demande supplémentaire imprévue en soins intensifs. En 2019, le nombre de lits de réanimation adulte pour 100 000 habitants en France est très légèrement supérieur à la moyenne des pays de l'OCDE (16,4 vs 14,1) mais loin derrière l'Allemagne (28,2) ou les USA (21,6). En conséquence, le système hospitalier public français est devenu extrêmement congestionné.

Sous-investissement dans la prévention santé et la recherche médicale

La crise sanitaire a mis à nu les faiblesses du système de santé français qui ont accru la pression sur les hôpitaux.

Premièrement, le modèle français se caractérise par un sous-investissement global en santé publique et dans la stratégie de santé à long terme. En 2015, les dépenses institutionnelles de prévention représentaient 1,8 % des dépenses courantes de santé, contre 2,8 % dans les pays de l'OCDE.

Cependant, en 2007, la France a développé un système de protection contre les pandémies très ambitieux en créant une agence appelée EPRUS. Au départ, des stocks importants de masques FFP2 et chirurgicaux, de respirateurs et de bouteilles d'oxygène, d'équipements pour laboratoire d'analyse et d'accessoires étaient disponibles. Pour des raisons financières et par choix politique, cependant, son budget a été drastiquement réduit de 281 millions d'euros en 2007 - avant la crise H1N1 - à 25,8 millions d'euros en 2015, ce qui signifie qu'au début de 2020, les stocks stratégiques de masques et d'équipements étaient très faibles.

Ensuite, la pandémie a mis en évidence les limites d'un décideur centralisé et d'une forte bureaucratie dans les relations entre le Ministère de la santé, les agences régionales de santé (ARS) et les professionnels de santé, qui ne permettent pas une réponse rapide et différenciée selon les différents besoins hétérogènes des territoires ou des populations. Les mesures adoptées pour limiter les épidémies peuvent être plus efficaces lorsqu'elles sont définies à un niveau plus petit et plus localisé, comme en Allemagne avec les régions (Länder).

Une autre raison tient au manque de coordination entre les soins primaires et les hôpitaux, les acteurs publics et privés et les services de soins (pris en charge au niveau régional) et d'EHPAD (dépendant d'une plus petite entité administrative, le département). En 2020, les décès dans les maisons de retraite représentaient 43 % de tous les décès liés au COVID-19, la plupart survenant au début de la crise.

De plus, le faible niveau d'investissement dans l'innovation et la recherche médicale a entravé la capacité du système français à faire face à la pandémie. Par exemple, en 2020, la part des adultes traités par un médecin via un service à distance depuis le début de la pandémie est la plus faible en France parmi les pays de l'OCDE (23 % contre 45 %).

Enfin, les échecs de l'Institut Pasteur et de Sanofi à développer leur propre vaccin ont rendu la France totalement dépendante du marché international.

Faire reculer l'épidémie dans un climat de suspicion
À partir du 17 mars 2020 et pendant huit semaines, la France a imposé un confinement national strict similaire à celui en Italie pour contrer la vague initiale de l'épidémie.
 
Cette année-là, la stratégie du « tester,  tracer, isoler » prônée par le gouvernement n'a été que partiellement efficace. Premièrement, même si les tests de dépistage étaient délivrés gratuitement (jusqu'au 15 octobre 2021), il y avait une forte pénurie due aux difficultés d'approvisionnement en machines et kits de détection et à la rigidité du système français.
 
Des programmes de dépistage de masse ont été menés dans plusieurs pays en raison des nombreuses formes asymptomatiques du virus. Au 31 mai 2020, alors qu'en France il y avait 10 tests cumulés au COVID-19 pour 1 000 habitants, il y en avait déjà 25 au Royaume-Uni, 51 en Allemagne et 58 aux États-Unis.
 
Il y a également eu des retards dans la mise en œuvre du suivi des patients par tracking. L'isolement, très dépendant de la densité de population et du rôle de la liberté individuelle dans le système politique existant, n'a pas non plus été mis en œuvre. Ces carences dans l'identification, le suivi et l'orientation des malades du COVID-19 ont lourdement affecté le système hospitalier.
 
Le manque de masques disponibles et les erreurs de communication, combinés à une baisse de confiance dans les gouvernements et à des comportements de défi qui se sont propagés au cours des premières semaines de la pandémie, notamment en ce qui concerne le respect des règles sanitaires et, à moyen terme, l'adhésion à la vaccination.
 
En conclusion, la qualité du système de santé français et l'implication, l'innovation et la coopération exceptionnelles des personnels de santé ont permis de compenser une part importante de la mortalité française élevée enregistrée au début de la crise sanitaire, qui découlait principalement du déficit du système de santé du pays, de la centralisation et du manque de flexibilité du système de santé français.
 
L'auteur : Thomas Barney est Professeur titulaire en économie, ERUDITE, UPEC (en congé) et Professeur invité au Health Care Policy Department, Harvard Medical School et French Harkness Fellow in Health Care Policy and Practice (The Commonwealth Fund) (2021-2022), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
 
Why France is among the high-income countries where the most people died of Covid-19
Thomas Barnay, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

As of February 8, 2022, the cumulative number of Covid-19-related deaths globally is close to 5.8 million. With more than 2,300 Covid-19 deaths per million people, the United States, Belgium, Italy and UK have recorded the highest number of fatalities, followed by Spain and France (with about 2,000).

At that time, France’s per-million total of Covid-19 deaths was 14% higher than the average for high-income countries (1,740) – but this was not always the case. The difference peaked at 113% on May 1, 2020 and gradually narrowed thereafter (80% in June, 2020; 50% in December, 2020). Once the first wave of the epidemic had passed, that would seem to indicate that France managed the health crisis better than other high-income countries, but without making up for its initial shortcomings.

France did indeed try hard, increasing its health budget by 8% in 2020 (compared to 2019) producing a 30 billion euro deficit for the health sector (20 times higher than 2019).

France’s performance therefore looks debatable given the quality of the French health care system and the relatively high share of GDP it dedicates to health care expenditure. In 2019, this amounted to 11.1%, a similar rate to Sweden, Canada or Japan, but behind the US, Switzerland and Germany with 16.8%, 11.7% and 11.3% respectively.

So what happened to a country which, according to the World Health Organisation in 2000, provided the “best overall health care” in the world? There are three possible explanations: the health of the general population, health care system performance and specific responses to tackle the pandemic.

A population more vulnerable to Covid-19?

Age and comorbidities are the main determinants of Covid-19-related deaths. Could residents of France be on average more likely to develop severe or lethal forms after infection with Covid-19 than people infected in other OECD countries?

First, France ranks 9th worldwide among countries with the largest proportion of +65 years old (20% of the population). Next, 38% of the French population aged 18 and over are living with at least one chronic condition versus 35.2% in OECD countries.

Because smoking is associated with a higher vulnerability to infectious diseases, the high rate of French daily smokers (24% versus 16% in OECD countries) could also be a contributing factor. Finally, at 65 years old, the French may expect to live one healthy life year (HLY) less than the Germans, and five HLY less than the Swedes (OECD).

Universal, generous but… centralised public-hospital care system

Another explanation for the higher French mortality figures may come from the health care system itself. Dating to 1945, the French health care system is based on a so-called Bismarckian approach (an insurance model related to salary), combined with goals of universality similar to the Beveridge model of Britain’s NHS developed over the past 20 years. It is highly regulated in terms of the price, quantity and quality of care.

Statutory health insurance (SHI) is compulsory and uniform for all French residents. In 2000, SHI was extended to all legal residents through universal health insurance. Benefits covered under SHI and health care expenditure are defined at the national level. Moreover, complementary health insurance (CHI) supplements SHI for 96% of the French population. After all reimbursements, the average out-of-pocket payment in France is one of the lowest among OECD Countries (9% of current health care expenditure, behind South Africa with 7.7%). However, clear social disparities exist, especially in terms of access to specialists, medication, dental and optical care.

As far as primary care is concerned, the French healthcare delivery policy is not based on primary health care or public health. In this respect, the proportion of health expenditure devoted to ambulatory care is low compared to OECD countries (about 22% of health expenditure, and on average six physician visits, mainly to GPs). In addition, the number of doctors per head of the population is lower in France than the OECD average, with respectively 3.2 and 3.6 practising doctors per 1,000 people.

Since the mid-2000s, France has pursued a policy of reinforcing primary care. It implemented a patient enrolment system (the attending physician has acted as gatekeeper since 2004) and referral and diversified payment methods (physicians and specialists are mainly paid via a fee-for-service system). France has promoted and developed cooperation and multi-professional practice, in particular in health centres and clinics, and more recently, territorial coordination.

Finally, the French health care system is a centralised public-hospital care system built around the management of chronic diseases. Even if ambulatory care is increasing, hospital expenditure still accounts for almost half of all health care expenditure.

The initial health system response to the flood of positive Covid cases was therefore focused on the public hospital, leaving out private actors (such as clinics and self-employed physicians).

The number of hospital beds and flexibility of use are key factors in addressing any unexpected additional demand for intensive care. In 2019, the number of adult intensive care beds per 100,000 people in France was very slightly higher than the average for OECD countries (16.4 vs 14.1) but far behind Germany (28.2) or the USA (21.6). As a result, the French public hospital system became extremely congested.

Underinvestment in health prevention and medical research

The health crisis has laid bare weaknesses in the French health care system which have increased pressure on hospitals.

First, the French model is characterised by an underinvestment overall public health and long-term health strategy. In 2015, institutional spending on prevention represented 1.8% of current health spending, compared to 2.8% in OECD countries.

However, in 2007 France developed a very ambitious protection system against pandemics by building an agency called Eprus. Initially, substantial stocks of FFP2 and surgical masks, respirators and oxygen cylinders, equipment for analysis laboratory and accessories were available. For financial reasons and political choice, however, its budget was drastically reduced from 281 million euros in 2007 – before the H1N1 crisis – to 25.8 million euros in 2015, meaning that by early 2020 strategic stocks of masks and equipment were very low.

Then the pandemic exposed the limits of a centralised decision-maker and high level of bureaucracy in relationships between the Health Ministry, the regional health agencies and health professionals, which do not allow a fast and differentiated response according to different heterogeneous territories or populations needs. Measures adopted to limit epidemics may be more effective when defined at a smaller, more localised level, as in Germany (Länder).

Another reason stems from the lack of coordination between primary care and hospitals, public and private stakeholders and health care (handled at regional level) and nursing homes services (depending on a smaller administrative entity, the département). In 2020, care-home deaths amounted to 43% of all Covid-19 deaths, most of them occurring at the beginning of the crisis.

In addition, the low level of investment in innovation and medical research has hampered the French system’s ability to cope with the pandemic. For instance, in 2020 the share of adults treated by a doctor via a remote service since the start of the pandemic is the weakest in France among OECD Countries (23% vs 45%).

Finally, the failures of the Pasteur Institute and Sanofi to develop their own vaccine have made France totally dependent on the international market.

Rolling back the epidemic in a climate of suspicion

Starting on March 17, 2020, and continuing for eight weeks, France imposed a strict national lockdown similar to the one in Italy to counter the initial wave of the epidemic.

That year, the “test track isolate” strategy advocated by the government was only partially effective. First, even though screening tests were delivered free of charge (by October 15, 2021), there was a severe shortage due to difficulties in supplying machines and detection kits and to the rigidity of the French system.

Mass screening programmes were conducted in several countries due to the many asymptomatic forms of the virus. On May 31, 2020, when in France there were 10 cumulative Covid-19 tests per 1,000 people, there were already 25 in the UK, 51 in Germany and 58 in the United States.

There were also delays in implementing patient follow-up through tracking. Isolation, which is highly dependent on population density and the role of individual freedom in the existing political system, was not implemented either. These shortcomings in the identification, follow-up and referral of Covid-19 patients heavily affected the hospital system.

The lack of available masks and communication mistakes, combined with declining trust in governments and defiant behaviour that spread during the first weeks of the pandemic, especially when it came to complying with sanitary rules and, in the medium term, vaccination adherence.

To conclude, the quality of France’s healthcare system and the exceptional involvement, innovation and cooperation of health workers were able to offset a significant part of the high French death rate recorded at the beginning of the health crisis, which stemmed mainly from the country’s public health deficit and the centralisation and lack of flexibility of the French health system.The Conversation

Thomas Barnay, Full Professor in Economics, ERUDITE, UPEC (on leave) / Visiting Professor, Health Care Policy Department, Harvard Medical School and French Harkness Fellow in Health Care Policy and Practice (The Commonwealth Fund) (2021-2022), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

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