Livraison de courses en dix minutes : l’économie de la flemme à son apogée
Le "quick commerce" connaît un succès fulgurant en France. Les startups promettant de livrer nos courses en 15 voire 10 minutes se multiplient à vitesse grand V et prennent de l'ampleur, à l'instar de l'Allemand Gorillas qui s'apprête à avaler le Français Frichti. Ce "business de la flemme", reposant sur une hyper-consommation frénétique de consommateurs de plus en plus pressés, pose notamment la question de la défiguration des centres-villes, dans lesquels des mini-entrepôts fleurissent pour plus de rapidité.
L’appétit de Gorillas grandit. La startup allemande a annoncé, dans un communiqué, avoir entamé des "discussions exclusives" avec son concurrent, le Français Frichti. L’enjeu est de percer le marché parisien avec une recette qui a fait le succès de Gorillas : la livraison ultra-rapide de courses, en dix minutes chrono. "Je crois que nous construisons le prochain modèle de commerce qui pourrait s'avérer être la plus grande révolution du siècle dans la façon dont nous faisons nos courses et je suis heureux que nous puissions le faire avec le meilleur partenaire et les meilleures équipes", a réagi le cofondateur de Frichti, Quentin Vacher.
Le marché de la livraison de courses à domicile est en pleine effervescence, suivant les pas de la livraison de repas, devenue aujourd’hui incontournable. En peu de temps, une vingtaine de startups se sont positionnées sur le marché. Il faut dire que la success story de Gorillas, devenue une licorne en moins d’un an, a de quoi susciter l’enthousiasme. Flink, Dija, Cajoo, Picnic… les jeunes pousses ne cessent de lever des millions de dollars et leurs promesses de livraison express tapissent désormais les murs des métros, s’installant sur un marché jusqu’ici réservé aux distributeurs historiques.
Leur technique est bien rodée. Il s’agit, pour ne pas perdre une seconde, d’installer des dark stores, des mini-entrepôts, en plein cœur des villes, où les commandes sont assemblées et d’où partent les livraisons. "Plus le maillage de dark stores est important, plus les enseignes sont à même de proposer des délais de livraisons ultra-rapides", explique L’Observatoire société et consommation (Obsoco). Mais ces magasins-entrepôts sont accusés de défigurer les villes et de remplacer les commerces de proximité.
Fin décembre, le premier adjoint de la maire de Paris en charge de l’urbanisme, Emmanuel Grégoire, fustigeait dans une tribune "les attroupements de centaines de livreurs" aux abords de ces dark stores à "toute heure du jour et de la nuit". Ce dernier annonçait que des mesures allaient être prises. "Dans le contexte actuel de la crise sanitaire, les commerces de proximité, qui ont été largement impactés, ne sont absolument pas en mesure de faire face à la concurrence engendrée par ces plateformes aux modèles économiques surestimés", ajoutait-il.
En attendant, le marché est florissant, reposant en grande partie sur notre flemme. "Nous démocratisons le droit à la paresse", affirme même au Guardian le directeur général de Getir UK, Turancan Salur, une autre startup de livraison rapide. Les ultra-urbains plutôt jeunes semblent être la cible idéale. Difficile de saisir une photographie de ces citadins qui aspirent à la fois à un ralentissement des modes vies et en même temps à une accélération permanente.
Une économie de la flemme qui s'illustre déjà via notre addiction à des applications de livraisons de repas. Boosté par la pandémie, ce marché a connu une croissance de 47 % en seulement deux ans. La pizza et les burgers représentent les deux repas les plus commandés. Si les restaurateurs ont pu profiter de cette aubaine, l'ascension des "dark kitchens", ces restaurants virtuels, sans salle ni services, composés d'une cuisine entièrement tournée vers la livraison leur fait de l'ombre et génèrent des craintes similaires au boom des dark stores.
"Ces nouvelles offres interrogent un rapport au temps, très contemporain et paradoxal", note l’Obsoco. Reste à questionner la rentabilité du quick commerce. Frichti, la plus rodée, est la première à avoir atteint la rentabilité. Mais les experts restent sceptiques alors que la livraison est facturée environ deux euros au client. Gare donc à l’éclatement de la bulle.