Le projet d'une "grande Sécu" : un scénario à 22 milliards d'Euros
Si l'assurance-maladie obligatoire étendue était instaurée, elle devrait prendre en charge près de 19 milliards d'euros de remboursements santé supplémentaires par an, selon le rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie. Les économies de gestion atteindraient 5,4 milliards. Les complémentaires santé perdraient 70 % de leur chiffre d'affaires.
Une paille ! La mise en place de la « grande Sécu », c'est-à-dire l'extension du champ d'intervention de l'assurance-maladie dans la prise en charge des frais de santé, coûterait 22,4 milliards d'euros par an aux finances publiques. C'est le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie (HCAAM) qui l'écrit, dans un rapport provisoire qui doit être examiné le 18 novembre par ses membres, et que « Les Echos » ont pu lire.
Il s'agit d' une commande du ministre de la Santé, Olivier Véran . Ce dernier ne cache pas son intérêt pour ce scénario « de rupture ». Il a demandé au HCAAM d'approfondir des réflexions antérieures pour examiner, avec l'aide de l'administration, la faisabilité de quatre pistes de réforme . Elles ne seront pas mises en oeuvre en fin de quinquennat, mais font déjà trembler les complémentaires santé .
La « grande Sécu » vise à combler plusieurs failles du système actuel de « co-paiement » de chaque risque : l'incapacité à réguler la dépense de soins, les inégalités d'accès aux soins, notamment pour les plus âgés, et des reste à charge parfois extrêmes.
Schématiquement, cette réforme revient à étendre le champ de la prise en charge des affections longue durée (prise en charge à 100 % par l'assurance-maladie obligatoire) à la quasi-totalité des dépenses de santé remboursées : l'hôpital, la ville, les produits de santé, les lunettes et prothèses dentaires et auditives du panier « 100 % santé ».
En se substituant aux assureurs privés qui acquittent aujourd'hui le ticket modérateur, l'assurance-maladie obligatoire devrait débourser 18,8 milliards d'euros supplémentaires, a calculé le HCAAM. Ce serait 17,1 milliards si l'on décidait de conserver les franchises et participations forfaitaires imposées aux patients en ville.
Le principal poste de dépense proviendrait, justement, des soins de ville (8,9 milliards), aujourd'hui largement désinvestis par le payeur public. La suppression du reste à charge hospitalier coûterait 3,3 milliards, et celui des médicaments, 4,6 milliards. Le panier « 100 % santé » intégralement financé par la Sécurité sociale (plus la revalorisation des soins dentaires conservateurs négociée en contrepartie) coûterait 2 milliards.
A cela s'ajouteraient d'autres frais cachés, tels que la chute drastique (3,5 milliards) du rendement de la taxe de solidarité additionnelle (TSA), acquittée par les complémentaires santé sur la base des contrats signés. En effet, le HCAAM prévoit que le chiffre d'affaires des complémentaires hors TSA va se contracter de 70 %, soit 27 milliards, dont 19,7 milliards dus à l'extension du champ de l'assurance obligatoire, et 7,3 milliards du fait de la désaffiliation d'un grand nombre d'assurés mal couverts.
Le HCAAM fait l'hypothèse que la sur-dépense publique atteindrait ainsi 22,4 milliards, et qu'elle serait financée par une hausse des prélèvements obligatoires, via les cotisations patronales ou la CSG notamment. Cela n'obérerait pas le pouvoir d'achat des ménages, délestés de leurs primes d'assurance. La réforme permettrait au contraire de dégager un « gain » de 5,4 milliards d'euros, économisés sur les frais de gestion actuels des complémentaires santé (7,6 milliards).
Que faire de ce gain ? Il pourrait être redistribué à l'ensemble des assurés en proportion des économies réalisées dans chaque catégorie, sans faire de perdants, à part pour les deux derniers déciles de niveaux de vie. Le salarié gagnerait ainsi 100 euros par an en moyenne, et le retraité 170 euros.
Mais comme la hausse des prélèvements obligatoires pèsera plus lourd sur les seniors, qui ont le plus de frais de santé, il pourrait être préférable de leur rendre une plus grande partie des économies. Le salarié gagnerait alors 30 euros par an, et le retraité 260 euros. Dans ce scénario, les septuagénaires récupéreraient 250 euros, et les plus de 80 ans, 450 euros.
Même s'il est très élevé, le coût budgétaire de la « grande Sécu » serait en fin de compte nettement moins lourd que les 39 milliards d'euros évoqués par la Fédération française de l'assurance, dans sa réponse à la consultation du HCAAM.
L'autre scénario de « rupture », celui du décroisement des financements public et privé, chacun assumant pleinement certains risques, ne transférerait que 2,7 milliards de remboursements vers l'assurance-maladie obligatoire. Mais il aggraverait les reste à charge les plus lourds.