Changement climatique : le jour d'après a déjà commencé
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À partir de six exemples d'événements météorologiques extrêmes que les scientifiques ont reliés avec certitude au réchauffement, voici ce qui nous attend dans les décennies à venir.
Le phénomène météorologique extrême qui causé la pire vague de chaleur de l'histoire récente du Canada à l'été 2021 est le même que celui dont fut victime la France en 2003 : un dôme de chaleur. Un événement dû à une remontée de chaleur (ici depuis le Mexique) qui a été bloquée par un anticyclone puissant. Conséquence : la formation d'une bulle d'air chaud qui est montée très haut en altitude. Ce dôme de chaleur a détourné pendant plusieurs jours vers le pôle Nord les dépressions en provenance du Pacifique. Le 29 juin 2021, un record de 49,6 °C a été enregistré au pied de la chaîne des Rocheuses dans le village de Lytton, détruit juste après par un incendie... C'est près de 5 °C de plus que le précédent record canadien de 45 °C enregistré en 1937. C'est également un record absolu pour une station située au-dessus de 50 degrés de latitude nord, selon Météo France.
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En à peine quelques semaines les meilleures universités américaines et canadiennes ont publié sur le site du programme World Weather Attribution une "analyse rapide " sur les liens entre cet événement météorologique extrême et le changement climatique en cours. Et ils sont affirmatifs : un tel événement n'aurait pas eu cette intensité sans l'augmentation des températures mondiales depuis le début de l'ère industrielle. En soi, la situation météo n'était pas exceptionnelle : c'est l'intensité qui l'était. Selon les estimations statistiques les plus réalistes, de telles températures pourraient n'arriver qu'une fois tous les 1000 ans dans le climat de ce début de 21ème siècle. Aussi peut-être ne s'agissait-il que d'un épisode isolé même s'il a été aggravé par le réchauffement climatique.
Mais les scientifiques n'excluent pas que des interactions au sein du système climatique font que nous aurions franchi des seuils irréversibles augmentant la probabilité de la survenue de tels événements, auxquels l'Europe est également soumise.
45,9 °C constatés le 28 juin 2019 dans le Gard. Le nouveau record national pourrait devenir une température fréquente à la fin du siècle. C'est ce qu'affirment les chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE, Saclay) et de Météo France. Ils ont épluché les statistiques météo jusqu'au début du 20e siècle pour retrouver des vagues de chaleur similaires. Afin de faciliter les comparaisons, les chercheurs n'ont pas pris les pics extrêmes mais la moyenne quotidienne des températures. Et ils ont choisi deux territoires d'étude : la France entière et la ville de Toulouse. Ces observations montrent que les vagues de chaleur de 2019 s'accompagnaient de températures plus élevées de 4 °C par rapport à 1900. Les chercheurs ont ensuite fait tourner leurs modèles pour mieux appréhender ce qui attend la France dans les prochaines décennies.
"La fréquence et l'intensité de ces événements vont continuer à augmenter, au fur et à mesure que les concentrations atmosphériques en gaz à effet de serre montent, assure Aurélien Ribes, chercheur au centre national de recherche météorologique de Météo France. En 2040, les événements de même intensité qu'en 2019 seront environ quatre fois plus fréquents. Quant à ceux de même probabilité qu'en 2019, ils s'accompagneront de températures supérieures d'encore 1,2 °C. " Les modèles anticipent par ailleurs que les vagues de chaleur ne seront plus cantonnées aux mois les plus chauds mais se dérouleront entre mai et septembre. C'est-à-dire quand les écoles et la majorité des activités économiques de plein air sont ouvertes.
1,15 million d'hectares partis en fumée soit l'équivalent d'un vingtième de la surface agricole de la France ! Cet incendie d'une ampleur inimaginable s'est déroulé en juin 2020 dans la taïga sibérienne. Une conséquence directe de six mois consécutifs de températures élevées et de sécheresse. Entre janvier et juin 2020, jamais la Sibérie n'avait en effet connu une aussi longue période sans pluie. Le 20 juin, la ville de Krasnoïarsk enregistrait 38 °C sous abri, la plus haute température jamais observée dans l'Arctique. Les chercheurs du World Weather Attribution ont fait tourner leurs modèles. Ils ont ainsi montré qu'un tel phénomène n'arriverait que tous les 80.000 ans dans un climat non perturbé par l'activité humaine. Sauf que le changement climatique a multiplié par 600 les risques qu'une telle période sèche intervienne.
Aussi, la fréquence de ces "méga-feux" est en forte hausse. "Avec les fortes chaleurs, les arbres arrêtent leur photosynthèse, si bien qu'ils ne fournissent plus de fraîcheur mais au contraire deviennent du bois à brûler ", prévient Davide Faranda, chercheur au LSCE. Selon le programme européen Copernicus pour la surveillance de l'atmosphère, l'année 2021 a été une année record avec d'immenses sinistres en Sibérie, sur le pourtour méditerranéen et la côte ouest des États-Unis. Sans compter que ces événements alimentent l'emballement de la machine climatique en relâchant quantité de gaz à effet de serre : en juillet dernier, 1,2 milliard de tonnes de CO2 ont ainsi été libérées et près de 1,4 milliard en août. Le bilan dépassait déjà celui des émissions annuelles de l'Union européenne…
La tempête Bernd qui a balayé l'Europe l'été dernier est l'archétype de ce qu'on appelle un "événement extrême". Descendant du pôle Nord, une goutte froide très lente a stationné du 12 au 15 juillet sur les États allemands de Rhénanie-du-Nord-Wesphalie et de Rhénanie-Palatinat ainsi que sur la Belgique et le Luxembourg. Elle a aspiré de l'air chaud et chargé en humidité en provenance de la Méditerranée, provoquant une vaste perturbation pluvieuse. C'est le blocage de ce système météo qui a provoqué la destruction de milliards d'euros de biens et la mort de 184 personnes en Allemagne et 38 en Belgique. Le 14 juillet, il est tombé sur cette zone plus de deux mois de pluie en 12 heures.
Selon les scientifiques du World Weather Attribution, avec une température inférieure de 1,2 °C, l'intensité des précipitations aurait été moindre de 3 à 19 %. Pour arriver à cette estimation prudente, les chercheurs se sont concentrés sur trois bassins versants particulièrement affectés par les pluies : les rivières allemandes de l'Ahr et de l'Erft et la partie belge de la Meuse. Les volumes de précipitations sur ces petites régions dépassent tous les records enregistrés dans le passé.
Comme il est très difficile de calculer l'occurrence d'un événement hors norme, les chercheurs ont utilisé les données d'épisodes similaires intervenus dans les régions comprises entre le nord des Alpes et les Pays-Bas. Ils ont ensuite fait tourner leurs modèles climatiques, les uns avec la température telle qu'elle était en 1850, les autres avec celle d'aujourd'hui. Non seulement les précipitations augmentent, observent les chercheurs, mais des événements d'une telle intensité estimée qui se seraient produits tous les 400 ans dans un climat plus froid, surviendront deux fois plus souvent avec les 1,2°C de réchauffement déjà enregistrés. À 2 °C, l'intensité des pluies devrait encore augmenter de 0,8 à 6 % avec une fréquence toujours accrue. Impossible pour l'heure de dire en revanche si des épisodes méditerranéens tels ceux qui ont dévasté la vallée de la Roya le 2 octobre 2020 ou ravagé le Gard cette année en sont des témoins, le lien de cause à effet avec le réchauffement n'ayant pas encore été investigué.
Entre le 6 et le 8 avril dernier, les températures nocturnes sont tombées en dessous de -5 °C, frappant des plantes en pleine floraison, ce qui conduira à des pertes énormes notamment dans les vignobles affectés à 90 %. Comment faire un lien, a priori paradoxal, entre gel et réchauffement ? Il n'est pas direct : le changement climatique perturbe en réalité les étapes de croissance des végétaux, leur "phénologie". La phase d'éclatement des bourgeons et l'émergence des organes reproducteurs sont en effet directement liées à la température. "La chaleur indique à chaque espèce végétale le bon moment pour arriver à ce stade de développement ", précise Nicolas Viovy, chercheur au LSCE, à Saclay.
Les agronomes, comme les agriculteurs, ont constaté que les dates de débourrement des végétaux pluriannuels - vignes, arbres fruitiers - ont reculé de 15 jours en moyenne. Conséquence : les plantes connaissent leur période la plus fragile plus tôt dans l'année, donc à une période où les gels tardifs ont davantage de chance de se produire.
Pour prouver ce lien, les chercheurs ont étudié la partie centrale du territoire français et en particulier les vignobles et vergers de la vallée de la Loire, du sud de la Champagne et de la Bourgogne. La comparaison des dates de débourrement fournies par quatre modèles intégrant ou non l'influence humaine révèle que le risque qu'un gel tardif coïncide avec une période d'éclosion des bourgeons a déjà augmenté de 60 % avec l'augmentation actuelle des températures de 1,2 °C. Cette fréquence sera encore supérieure de 40 % dans un monde à 2 °C qui pourrait être celui de 2040.
Entre le 29 et le 31 octobre 2012, l'ouragan Sandy frappe la ville de New York et l'État voisin du New Jersey. Des milliers de maisons sont détruites. Dans le seul État de New York, 53 personnes perdent la vie. Le bilan global des dommages s'élève à 50 milliards d'euros. Une équipe de climatologues américains a réussi à calculer la part des destructions de biens imputables au réchauffement climatique. Celle-ci représente plus de 6,5 milliards d'euros soit 13 % de l'addition finale.
Comment ont-ils procédé ? Les chercheurs ont d'abord calculé qu'entre 1900 et 2012, le niveau de la zone maritime baignant le nord des États-Unis a augmenté de 8,9 cm uniquement par la hausse des teneurs en gaz à effet de serre d'origine humaine dans l'atmosphère. Ils ont ensuite construit un modèle hydrodynamique qui leur a permis de reconstituer la submersion des quartiers. Et ils ont comparé ce qu'aurait envahi la mer d'avant le changement climatique à ce qui est réellement advenu en octobre 2012. Les chercheurs américains affirment ainsi que 70.000 habitations n'auraient pas été submergées sans l'apport des gaz à effet de serre d'origine humaine. Un constat inquiétant car selon le Giec, si le nombre d'ouragans annuels ne devrait pas augmenter, leur force, en revanche, pourrait être décuplée du fait de la hausse de la température de surface des océans qui constitue leur carburant.
Source : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/climat/le-jour-d-apres-a-commence_158651