« L’affaire du siècle » : la justice demande au gouvernement de « réparer le préjudice écologique » dont il est responsable
Le tribunal administratif donne jusqu’au 31 décembre 2022 à l’exécutif pour prendre « toutes les mesures utiles » afin de compenser l’excès d’émissions de CO2 constaté entre 2015 et 2018.
Le gouvernement a jusqu’au 31 décembre 2022 pour « réparer le préjudice écologique » causé par le non-respect des engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’ultimatum vient de lui être fixé par le tribunal administratif de Paris dans une décision rendue jeudi 14 octobre dans le cadre de « L’affaire du siècle ». La justice enjoint au premier ministre de « prendre toutes les mesures utiles à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages ».
Dans le collimateur des juges : le dépassement du premier budget carbone (le plafond d’émissions que s’est fixé le gouvernement pour la période 2015-2018), estimé à 15 millions de tonnes équivalent CO2. Le tribunal relève que le plafond d’émissions de gaz à effet de serre fixé par le premier budget carbone pour la période 2015-2018 a été dépassé de 62 millions de tonnes équivalent CO2. L’évaluation du préjudice se faisant à la date du jugement, le tribunal évalue que la réduction substantielle des émissions de gaz à effet de serre en 2020, bien que liée de façon prépondérante aux effets de la crise sanitaire du COVID-19 et non à une action spécifique de l’Etat, doit être prise en compte car elle permet, pour partie, de réparer le préjudice. En définitive, les juges estiment que le préjudice perdure à hauteur de 15 millions de tonnes équivalent CO2.
Le tribunal ne précise pas la nature des mesures à mettre en œuvre. « Il ne revient pas au tribunal de se substituer au pouvoir réglementaire en choisissant parmi la multiplicité des réparations possibles », avait expliqué la rapporteuse publique, Amélie Fort-Besnard, lors de l’audience du 30 septembre. Elle avait souligné le caractère contraignant des objectifs climatiques : « Il ne s’agit pas de dicter au gouvernement quelle doit être sa politique climatique mais de lui dire que ses engagements doivent être respectés et que leur non-respect engage sa responsabilité. »
Cette décision marque une nouvelle étape dans « L’affaire du siècle ». Après avoir lancé la pétition du même nom (plus de 2,3 millions de signatures) pour dénoncer « l’inaction climatique » de l’Etat, les ONG Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot avaient déposé, en mars 2019, un recours devant le tribunal administratif de Paris pour « carence fautive » de l’Etat. Lors d’un premier jugement, rendu le 3 février, le tribunal avait reconnu pour la première fois que l’Etat avait commis une « faute » en se montrant incapable de tenir ses engagements de réduction des gaz à effet de serre sur la période 2015-2018.
Dans un autre recours visant l’« inaction climatique » de l’Etat, déposé cette fois par la ville de Grande-Synthe (Nord), le Conseil d’Etat a fixé, en juillet, un ultimatum plus court au gouvernement : il lui a donné jusqu’au 31 mars 2022, soit à la veille de l’élection présidentielle, pour « prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre » afin de tenir ses objectifs de réduction à l’horizon 2030. La France s’est engagée à diminuer ses émissions de 40 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990, et à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Un objectif impossible à atteindre au rythme actuel, selon le Haut Conseil pour le climat. Ce dernier estime que « les efforts actuels sont insuffisants pour garantir l’atteinte des objectifs » climatiques en 2030 et que le rythme annuel de réduction des émissions doit pratiquement doubler. Une gageure.