« Face à un variant Delta fortement contagieux et circulant intensément chez les enfants et les adolescents, une action ferme est attendue »
A deux semaines de la rentrée, une trentaine de médecins et enseignants, dont les épidémiologistes Dominique Costagliola et William Dab, alertent sur la nécessité de protéger la santé des élèves.
Tribune. A deux semaines de la rentrée, face à un variant Delta fortement contagieux et circulant intensément chez les enfants et les adolescents, une action ferme est attendue pour protéger leur santé dans les établissements scolaires.
Le variant Delta se propage actuellement à grande vitesse chez les plus jeunes. Au Royaume-Uni, il s’est principalement diffusé à partir des enfants : plus d’un million d’élèves ont été absents au cours du dernier mois d’école. Aux Etats-Unis, 121 000 cas d’enfants et d’adolescents ont été rapportés la seule semaine dernière.
En France, dans les Landes, à la veille des vacances, le taux d’incidence en milieu scolaire dépassait déjà, de très loin, celui des adultes, même chez les 3-5 ans. Cet été, les clusters se sont multipliés de façon alarmante dans les centres aérés et les colonies de vacances. Le 2 août, le taux d’incidence chez les 0-9 ans était déjà très élevé, dépassant le seuil de 200 pour 100 000 dans trois régions, alors que leur taux de positivité est le double de celui de la population générale.
Le taux d’hospitalisation des 0-19 ans augmente dans les pays où le variant Delta est majoritaire. Aux Etats-Unis, jusqu’à 1,9 % des enfants testés positifs sont hospitalisés dans certains Etats. Dans celui de Géorgie, 7 enfants sur 100 000 sont actuellement à l’hôpital pour COVID-19. En France, au cours de l’année écoulée, 1,2 % des 0-9 ans testés positifs ont été hospitalisés et le nombre d’hospitalisations est aujourd’hui le double de celui de l’année dernière à la même date, celui des 10-19 ans, le quadruple.
Le COVID-19 peut aussi entraîner des complications à moyen terme. Selon la littérature scientifique et les données gouvernementales britanniques, entre 2 % et 8 % des enfants infectés présentent des symptômes persistants. Des séquelles ou des complications à long terme de la maladie, peut-être encore inconnues, ne peuvent en outre être exclues. Enfin, si les décès demeurent très rares, ils existent et sont autant de drames dont le nombre pourrait augmenter avec une circulation virale plus importante.
Les alertes se multiplient partout dans le monde. Aux Etats-Unis, au Canada, en Inde, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne… les pédiatres et les sociétés savantes appellent à protéger davantage les moins de 12 ans. A notre tour, aujourd’hui, de tirer la sonnette d’alarme.
Des mesures efficaces de prévention des contaminations doivent être adoptées dès la rentrée. Le protocole publié le 28 juillet définit un cadre de fonctionnement des établissements scolaires avec quatre niveaux de mesures : il faut, sans plus tarder, définir leur niveau territorial d’application, les indicateurs épidémiologiques, ainsi que les seuils déclenchant le passage d’un niveau à l’autre.
Il nous apparaît aujourd’hui impensable, pour la majorité des départements français, d’envisager une reprise au « niveau 2 » du protocole sanitaire, alors que le taux d’incidence chez les 0-19 ans est cinq fois supérieur à celui de la rentrée 2020. Par ailleurs, à ce jour, il ne peut exister un « niveau 1 », où le masque pourrait être retiré en école élémentaire. Enfin, la fermeture des classes au premier cas identifié à l’école élémentaire reste nécessaire et devrait être étendue à tous les niveaux.
La prévention de la transmission par aérosols reste largement insuffisante dans ce protocole, qui n’a pas évolué en dépit d’un virus plus fortement transmissible. Les fenêtres doivent être bien plus fréquemment ouvertes et la recommandation d’équiper les établissements de détecteurs de CO2 ne peut suffire : cela doit être la règle. Aucune mesure ne vise les cantines, le recours à des purificateurs d’air n’est même pas mentionné.
Cet été, l’Irlande, le Québec ont équipé toutes les classes de détecteurs de CO2, pendant que New York, Philadelphie et Francfort installaient des purificateurs dans les leurs. La Finlande, l’Autriche, des Länders allemands et des Etats américains financent également l’installation de ces dispositifs.
D’autres défaillances sont à pointer : le sport en intérieur, activité à haut risque de transmission, reste autorisé jusqu’au « niveau 3 » – qui correspond vraisemblablement à une circulation virale importante – et la distanciation continue d’être promue « lorsqu‘elle est matériellement possible », pendant que des pays comme l’Italie et l’Espagne réduisent les effectifs de leurs classes.
Autre point d’alarme : l’absence d’une véritable stratégie de dépistage telle que recommandée par les différentes instances sanitaires internationales. D’autres pays sont, là aussi, mieux préparés : par exemple, l’Autriche a conditionné, depuis l’année dernière, l’enseignement en présentiel à la réalisation d’autotests, deux ou trois fois par semaine, obtenant des faibles taux de contamination dans ses établissements.
A l’heure où le variant Delta éloigne la possibilité de l’immunité collective par la seule vaccination, les scientifiques de nombreux pays appellent à y associer des mesures barrières non pharmaceutiques. L’Italie et les Etats-Unis ont d’ores et déjà annoncé des plans d’urgence de respectivement 2,9 milliards d’euros et 122 milliards de dollars [104 milliards d’euros] pour prévenir la diffusion du COVID-19 dans leurs établissements scolaires.
En France, après dix-huit mois de pandémie, l’école ne doit pas rester le talon d’Achille de la stratégie sanitaire. Nos enfants ont déjà payé un lourd tribut lors de cette crise, préservons dès maintenant leur scolarité et leur santé de risques évitables.
Les signataires du Collectif : Igor Auriant, médecin réanimateur; Thierry Baubet, psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, université Sorbonne-Paris-Nord, 93; Amina Ayouch-Boda, psychologue clinicienne, hôpital Saint-Antoine (AP-HP); Francis Berenbaum, chef du service rhumatologie, hôpital Saint-Antoine (AP-HP); Nadine Bertoni, psychiatre; Eric Billy, chercheur en immuno-oncologie; Fabienne Blum, docteur en pharmacie; Matthieu Calafiore, médecin généraliste; Franck Clarot, médecin légiste, radiologue; Dominique Costagliola, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), membre de l’Académie des sciences; William Dab, épidémiologiste, ancien directeur général de la santé (2003-2005); Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du syndicat des enseignants du premier degré français SNUipp-FSU; Corinne Depagne, pneumologue; Jonathan Favre, médecin généraliste; Germain Forestier, professeur des universités; Mélanie Heard, responsable du pôle santé du think tank Terra Nova; Irène Kahn Bensaude, pédiatre, ancienne présidente du CDOM 75 (conseil départemental de la Ville de Paris de l’ordre des médecins); Christian Lehmann, médecin généraliste, écrivain; Jérôme Marty, médecin généraliste, président de l’Union française pour une médecine libre (UFMLS); Cyril Mazubert, médecin généraliste; Andréea-Cristina Mas, Collectif de malades Covid-19 au long cours; Patrick Mercié, médecine interne et immunologie clinique, CHU de Bordeaux; François-Xavier Moronval, médecin urgentiste; Gilles Pialoux, infectiologue, hôpital Tenon (AP-HP); Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du syndicat général de l’éducation nationale SGEN-CFDT; Noémie Pérez, pédiatre; Michaël Rochoy, médecin généraliste; Hélène Rossinot, médecin spécialiste de santé publique; Barbara Serrano, consultante indépendante et maîtresse de conférences associée à l’université de Versailles-Saint-Quentin; David Simard, docteur en philosophie, chercheur associé au laboratoire LIS, faculté de santé de l’université Paris-Est-Créteil; Laurence Webanck, médecin rhumatologue; Elisa Zeno, PhD, ingénieur de recherche; Florian Zores, cardiologue; Mahmoud Zureik, épidémiologie et santé publique, université de Versailles-Saint-Quentin.