« Pas assez de recul sur les vaccins contre le Covid-19 » ? Ce que 3,5 milliards de doses injectées nous ont appris
Les nombreuses campagnes massives de vaccination lancées à travers le monde ont, en sept mois, fourni de nombreuses informations aux scientifiques.
Le 8 décembre 2020, au petit matin, Margaret Keenan, une Britannique de 90 ans, est devenue la première personne à bénéficier d’un vaccin spécialement conçu contre le COVID-19 – hors essais cliniques. Depuis, de nombreux pays ont lancé leur propre campagne de vaccination afin d’enrayer la pandémie sur leur territoire et dessiner une sortie de crise.
En France, après une accélération continue jusqu’à l’été, la campagne a fortement ralenti ces dernières semaines en raison des hésitations et du scepticisme d’une partie de la population quant à l’efficacité et la sûreté des vaccins actuels – depuis les annonces d’Emmanuel Macron étendant l’usage du passe sanitaire, le rythme de la vaccination est reparti à un rythme inédit. A ces inquiétudes et interrogations, de nombreuses équipes de scientifiques ont tenté de répondre en étudiant leurs effets réels, en suivant et en étudiant notamment des cohortes de très grande taille (parfois des populations entières) qui permettent de mesurer avec une grande précision l’impact de la vaccination. Et après plus de sept mois de vaccination, les enseignements sont nombreux.
En avril 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait fixé un objectif minimum de 50 % d’efficacité pour les vaccins en développement contre le COVID-19, tout en précisant qu’une efficacité de 70 % serait préférable. Après 3,54 milliards de doses injectées dans le monde, on dispose désormais de nombreuses observations qui viennent confirmer que les vaccins distribués aujourd’hui ont très nettement dépassé ces objectifs.
Le vaccin BNT162b2 conçu par Pfizer-BioNTech est globalement celui qui a les résultats les plus positifs. Dans l’étude la plus solide, publiée en mai 2021 dans The Lancet, qui a suivi une cohorte de 1,65 million de personnes en Israël, les chercheurs concluent que celui-ci est efficace à 95,3 % pour l’infection au SARS-CoV-2, à 97,2 % pour éviter les hospitalisations et à 96,7 % pour éviter les décès chez les vaccinés ayant reçu leur seconde dose depuis au moins sept jours. L’efficacité est encore supérieure lorsqu’on attend au moins quatorze jours après l’injection de la seconde dose, puisqu’elle atteint 98,1 % pour éviter les décès dus au Covid-19. L’étude a, par ailleurs, été réalisée alors que le variant B.1.1.7 (dit variant Alpha, découvert en Angleterre), plus contagieux et entraînant plus de formes graves, composait 95 % des nouveaux cas en Israël.
L’autre vaccin à ARN messager (ARNm), celui du laboratoire américain Moderna, obtient des résultats similaires au Comirnaty de Pfizer-BioNTech. L’essai clinique de phase 3 a montré environ 94,1 % d’efficacité contre les formes symptomatiques de la maladie. Une étude ultérieure menée sur une large cohorte au Qatar, composée de peu de personnes âgées et d’une majorité d’actifs, a conclu à une efficacité de 100 % contre l’infection au variant Alpha, et de 95,7 % contre les formes graves et les décès dus au Covid-19 (variant Alpha et Gamma confondus) lorsque le schéma vaccinal est complet (deux semaines après la deuxième dose). Les mêmes travaux ont abouti à une protection de 92,5 % contre les infections asymptomatiques, paramètre-clé pour bloquer la transmission interhumaine du virus. Le vaccin américain est également très efficace contre les hospitalisations, selon plusieurs travaux. Une étude observationnelle américaine disponible en prépublication depuis le 8 juillet estime son efficacité à 90 %, tandis qu’une équipe canadienne l’estime à 96 % pour les personnes ayant reçu leur seconde dose.
Le troisième vaccin à avoir été autorisé en Europe et en France, celui d’AstraZeneca (nommé ChAdOx1), a également des résultats positifs, même si moins spectaculaires que ses concurrents à ARNm. L’essai clinique de phase 3 réalisé face à la souche historique du SARS-CoV-2 indiquait une efficacité de 62,1 % pour ceux qui ont reçu deux doses standards, mais de 90 % pour les sujets dont la première dose était diminuée de moitié. Il en résulte une efficacité moyenne contre les infections d’environ 70,4 %. Des études ultérieures ont mis en évidence une efficacité supérieure de 81,5 % à prévenir les infections symptomatiques par la souche historique et de 70,4 % par le variant Alpha. Si sa capacité à empêcher l’infection par le virus et donc la transmission interhumaine est moindre que les vaccins à ARNm, le vaccin d’AstraZeneca se montre d’un niveau comparable lorsqu’il s’agit de protéger des formes graves de la maladie. Une large étude écossaise publiée début mai 2021 a estimé que le ChAdOx1 atteignait 88 % d’efficacité de réduction des hospitalisations dues au COVID-19.
Tous ces chiffres sont valables pour la population adulte. Chez les adolescents (12 à 15 ans), les chiffres sont encore meilleurs. Le vaccin Comirnaty de Pfizer-BioNTech, le seul à être autorisé pour les moins de 16 ans en France, a montré une efficacité de 100 % dans cette tranche d’âge lors des essais cliniques de phase 3 : aucun des 1 005 adolescents complètement vaccinés n’a été infecté par le Covid-19, tandis que 16 des 978 adolescents qui ont reçu un placebo ont contracté la maladie.
C’est une question cruciale alors que le variant Delta du SARS-CoV-2, plus contagieux, devient majoritaire en France et qu’en conséquence la situation sanitaire se dégrade. Le vaccin de Pfizer-BioNTech résiste globalement bien à tous les variants qui ont émergé jusque-là : de l’Alpha (découvert en Angleterre) au Delta (en Inde), même si le vaccin germano-américain est légèrement moins performant contre ce dernier.
En mai 2021, des travaux britanniques ont estimé son efficacité à 88 % contre les infections symptomatiques au variant Delta. Le mois suivant, deux équipes ont abouti à des chiffres similaires : des chercheurs écossais ont estimé cette efficacité à 79 %, tandis qu’une équipe canadienne a trouvé environ 87 % d’efficacité.
De leur côté, les services du ministère de la santé israélien ont constaté que l’efficacité du vaccin de Pfizer-BioNTech était tombée à 64 % récemment (en ce qui concerne les infections). Attention, il convient de prendre ce chiffre avec précaution, puisque la méthodologie employée n’est pas exempte de biais, selon plusieurs chercheurs israéliens. En revanche, le vaccin est toujours aussi efficace pour réduire les hospitalisations et se maintient à 93 %, même face au variant Delta.
Le produit de l’entreprise anglo-suédoise AstraZeneca montre, lui, moins d’efficacité contre le variant Delta mais fournit toujours un très haut niveau de protection contre les formes graves de la maladie et donc contre les hospitalisations et les décès dus au Covid-19. Là où le vaccin Made in UK atteignait 73 % d’efficacité contre l’infection au variant Alpha, il ne fournit « que » 60 % d’efficacité contre le variant Delta, selon des travaux écossais publiés dans The Lancet à la fin du mois de juin, un chiffre cohérent avec les conclusions d’une autre équipe britannique, selon lesquelles le vaccin d’AstraZeneca est efficace à 60 % pour prévenir les infections au variant Delta.
En revanche, le vaccin anglo-suédois se maintient bien sur la prévention des hospitalisations et des décès, un paramètre-clé pour éviter d’engorger le système de santé. Une nouvelle analyse de Public Health England, publiée le 14 juin, conclut que celui-ci protège à environ 92 % contre une hospitalisation due au variant Delta.
Il existe toutefois beaucoup moins de travaux sur le vaccin à ARNm Moderna, et notamment sur son efficacité face au variant Delta, qui n’a pas encore fait l’objet de travaux publiés dans une revue scientifique. Néanmoins, la société américaine a fait savoir, par voie de communiqué de presse, le 29 juin, que des travaux in vitro ont montré que le vaccin demeurait efficace contre quasiment tous les variants existants du coronavirus, même si le nombre réduit d’anticorps produits affaiblit légèrement la force de la réaction immunitaire (2,1 fois moins d’anticorps neutralisants mesurés contre le variant Delta). D’autres variants du SARS-CoV-2 altèrent plus l’efficacité du vaccin de Moderna, mais ces variants (Kappa, Eta) ne sont pas considérés comme dangereux par l’OMS.
Même chose pour le vaccin à dose unique fabriqué par l’entreprise américaine Johnson & Johnson. On ne dispose que de très peu de données publiques, mais le laboratoire a publié un communiqué le 1er juillet affirmant que des tests ont démontré que le vaccin demeurait efficace contre le variant Delta. Collectées sur un sous-échantillon de huit patients, les données montrent une efficacité de 85 % contre les formes graves du Covid-19. La firme n’a pas communiqué de données relatives à l’efficacité pour l’infection au coronavirus.
Il est encore un peu tôt pour savoir exactement combien de temps les personnes vaccinées seront immunisées contre le coronavirus, mais les connaissances et observations accumulées jusque-là ont apporté des nouvelles rassurantes sur cet aspect. Une étude inédite publiée le 28 juin dans Nature, menée par l’immunologiste américain Ali Ellebedy, montre que la réponse immunitaire des personnes complètement vaccinées par le Pfizer-BioNTech est même plus durable qu’envisagée en premier lieu.
Pour quantifier précisément cette réponse immunitaire, les chercheurs ne se sont pas contentés de mesurer la quantité d’anticorps circulant dans le sang, ils ont également extrait des échantillons des ganglions lymphatiques jusqu’à quinze semaines après la première dose sur quatorze personnes vaccinées. Le résultat principal de cette étude est que chez tous ces vaccinés les centres germinatifs étaient encore présents et actifs, ce qui signifie que le système immunitaire de ces personnes continuait à produire des lymphocytes B, lesquels synthétisent les anticorps et incarnent la mémoire immunitaire qui permet au corps de lutter contre le virus, même longtemps après la vaccination ou l’infection.
« Habituellement, en quatre à six semaines, on n’observe presque plus rien », indique Deepta Bhattacharya, un immunologiste interrogé par le New York Times. Ces travaux montrent aussi que l’immunité conférée par le vaccin de Pfizer-BioNTech pourra probablement résister aux futures évolutions du SARS-CoV-2. Il est difficile de savoir combien de temps la protection conférée par ce vaccin durera, mais il apparaît désormais probable aux immunologistes qu’elle puisse durer plusieurs années.
Le vaccin mRNA-1273 de Moderna confère lui aussi une protection durable, selon les observations réalisées. Un article paru dans le New England Journal of Medicine, le 10 juin, observait que les essais sérologiques pratiqués sur des personnes ayant reçu le mRNA-1273 montraient un haut niveau d’anticorps six mois après la seconde dose, ce qui est un très bon résultat, signe que cette protection est, elle aussi, durable.
Des dizaines de personnes attendent de recevoir leur vaccin dans le centre de vaccination de Gostiny Dvor, à Moscou, le 6 juillet 2021. Sur la bannière est écrit : « Battons le Covid-19 ».
Les essais cliniques des vaccins actuellement disponibles ont fourni de très bons résultats en matière de sécurité, que les larges campagnes de vaccination des pays occidentaux ont pu en grande partie confirmer. Ainsi, on recense une grande majorité d’effets bénins, transitoires et attendus, tels que de la fatigue, de la fièvre, des douleurs musculaires au point d’injection, des maux de tête.
Des réactions allergiques violentes, appelées « chocs anaphylactiques », ont également été observées. Ces réactions bien connues sont rarissimes mais peuvent être dangereuses et se déclenchent dans les minutes après l’injection chez des personnes ayant un fort terrain allergique. C’est pour cette raison que les vaccinés sont gardés en observation au moins quinze minutes.
L’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) a, depuis le début de la campagne de vaccination, mis en place un suivi resserré des effets indésirables des vaccins grâce à la mobilisation en temps réel de tous les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) du pays. L’agence publie au moins deux fois par mois des rapports dans lesquels elle fait état des signalements reçus du public et enquête ensuite sur les « signaux » enregistrés, c’est-à-dire les signalements dont le caractère nouveau ou la fréquence sont inhabituels et nécessite une investigation. Parmi les « signaux » confirmés, on compte actuellement :
- 45 cas de myocardites rapportés depuis le début de la vaccination pour le Pfizer-BioNTech et 7 cas pour le vaccin d’AstraZeneca. La majorité des cas sont rétablis ou en passe de l’être. La fréquence dans la population vaccinée par le Pfizer-BioNTech est légèrement supérieure à celle observée dans la population générale, le rôle du vaccin est retenu mais pas encore confirmé. Il s’agit d’un effet rare d’évolution favorable ;
- plusieurs cas de réactions aiguës au site d’injection pour le vaccin de Moderna. Déjà décrites dans les essais cliniques, ces réactions locales douloureuses surviennent en moyenne huit jours après l’injection. Dans les cas les plus aigus, ces douleurs prolongées ont entraîné une perte temporaire de mobilité du bras ;
- plusieurs cas d’hypertension artérielle ont été observés pour le vaccin de Moderna ;
- des cas de syndromes pseudo-grippaux sont fréquemment rapportés pour le vaccin d’AstraZeneca ;
- 53 cas de troubles thromboemboliques ont été signalés pour le vaccin d’AstraZeneca depuis le début de son utilisation en France, dont 13 décès. Ces troubles restent extrêmement rares (53 occurrences sur 6,56 millions d’injections, soit 0,0008 % des doses) ;
- plusieurs cas de la maladie de Clarkson ont été signalés au niveau européen, l’Agence européenne des médicaments considère que le vaccin d’AstraZeneca ne doit pas être utilisé chez des patients ayant des antécédents connus d’hyperperméabilité capillaire.
Cela étant dit, la fréquence de ces effets indésirables est extrêmement faible et n’est pas supérieure à celles observées sur d’autres vaccins. Ces effets secondaires, quasiment tous temporaires et d’évolution favorable, sont assez loin d’égaler les bénéfices réels des vaccins et ne remettent donc pas en cause le rapport risques-bénéfices, qui est, de l’avis de la communauté scientifique, très positif.
C’est une crainte répandue parmi les nombreuses personnes réfractaires ou hésitantes à la vaccination contre le COVID-19, qui perçoivent notamment les vaccins à ARN messager comme étant trop nouveaux pour qu’on ait de quelconques certitudes sur leur sécurité. On ne peut donc pas argumenter sur ce point avec les rapports rassurants de ces derniers mois, puisque cette crainte porte sur ce que les chercheurs ne savent pas encore.
Outre que la technique de l’ARNm n’est pas tout à fait nouvelle, donner du contexte historique peut aider à comprendre pourquoi cette crainte n’est pas partagée par la communauté savante. Dans la longue histoire de la vaccination, aucune maladie rare n’a jamais été détectée plus de huit semaines après la vaccination. Il existe, bien sûr, des exemples de troubles rares liés à la vaccination qui ont pu être diagnostiqués plusieurs mois après l’injection d’un vaccin, mais les symptômes de ceux-ci sont toujours apparus dans les premières semaines.
Dans le cas présent des vaccins anti-COVID-19, la survenue à retardement de maladies rares est considérée comme un risque très faible pour plusieurs raisons scientifiques. La première étant que la surveillance actuelle autour de ces vaccins est si réactive et resserrée qu’elle a permis très tôt la mise en évidence de très rares troubles de la coagulation avec le vaccin d’AstraZeneca. Si les vaccins actuels, qui ont été distribués massivement, devaient induire des maladies graves rares, il est aujourd’hui jugé très improbable que les agences de pharmacovigilance puissent manquer leurs signaux.
La seconde raison relève davantage de la biologie, puisque les vaccins à ARNm ne contiennent globalement que deux ingrédients relativement simples et fragiles : une capsule de lipides contenant un brin d’ARN messager, la première étant chargée de transporter le second. Or, toutes deux disparaissent très vite sans laisser de trace lorsqu’elles rencontrent une cellule humaine. La capsule de lipide va simplement se dissoudre en libérant l’ARN dans l’intérieur de la cellule. L’ARN étant par nature une molécule instable, elle va elle-même se décomposer en quelques heures, après avoir rempli sa mission. Il n’existe donc aucun mécanisme biologique susceptible d’avoir des répercussions au-delà de ces quelques semaines.
« Les effets indésirables des vaccins surviennent dans les deux premières semaines, exceptionnellement le premier mois. Il n’y a aucune maladie clinique survenant à distance », a affirmé ainsi au Figaro Brigitte Autran, professeure émérite à Sorbonne Université et membre du comité scientifique sur les vaccins COVID-19.