Climat : Bruxelles dévoile un plan ambitieux et explosif

Publié le par Les Echos via M.E.

La Commission européenne a dévoilé son plan pour réduire fortement les émissions carbone d'ici à 2030. Toute l'économie serait rattrapée par la vague verte. Mais les Etats et les eurodéputés s'inquiètent de l'impact sur les ménages de certaines mesures, sur les carburants, le transport et le bâtiment.

La bataille européenne pour le climat est lancée. Mercredi, la Commission européenne a dévoilé son paquet « fit for 55 », douze directives et règlements visant à réduire les émissions carbone du continent d'au moins 55 % d'ici à 2030 (par rapport au niveau de 1990, sachant que la trajectoire actuelle ne mènerait qu'à -40 %). Un temps de passage indispensable pour ensuite espérer atteindre la neutralité climatique en 2050, objectif final validé l'an passé par les 27 Etats de l'Union.

Marché carbone élargi

Plus le temps de tergiverser face à la hauteur de la marche : le plan bâti par la présidente Ursula von der Leyen, qui en fait sa priorité, et Frans Timmermans, son monsieur Green Deal , est marqué par la volonté de verdir, structurellement, toute l'économie du continent.  « Nous devons passer à un nouveau modèle […], tout le monde devra contribuer », martèle Ursula von der Leyen, pour qui « l'Europe est prête à ouvrir la voie ». « Il n'y a plus de temps à perdre, nous nous heurtons aux limites de la planète », abonde Frans Timmermans. 

Un marché du carbone renforcé et élargi

Leur ambition se traduit par une large refonte du marché du carbone européen (ETS) établi en 2005. Bruxelles veut durcir cet ETS, en baissant le plafond des quotas d'émissions et en renforçant leur coût, et surtout l'élargir à des secteurs jusqu'ici épargnés, comme le maritime et l'aviation. « C'est historique. Le prix du CO2 va monter mécaniquement à un niveau ayant un impact majeur sur les modèles économiques des industries », analyse Pascal Canfin , président (Renew, libéraux) de la commission Environnement du Parlement européen. Un second marché carbone serait introduit pour le transport routier et le bâtiment, des secteurs où la Commission estime que des progrès importants et rapides sont possibles, et surtout indispensables.

L'Europe veut enfin se doter d'un « mécanisme d'ajustement carbone aux frontières » (MCAF) destiné à renchérir le coût des importations depuis des Etats tiers moins regardants sur les normes environnementales. L'idée est de préserver la compétitivité des acteurs continentaux et de pousser les concurrents internationaux à verdir leur propre production.

Refonte fiscale

Pour accélérer la transition, Bruxelles pose aussi sur la table une refonte de la fiscalité de l'énergie, devant à terme rendre les énergies renouvelables plus attractives que les fossiles. Différentes normes environnementales seront durcies, à commencer par celles des émissions des automobiles. Le projet présenté aboutirait à la fin des ventes de moteurs Diesel ou essence dès 2035, un calendrier qui fait déjà tiquer des Etats, dont la France, qui vise plutôt 2040 dans sa récente loi climat.

Tous ces textes doivent à présent être examinés, d'ici à 2023 en théorie, par le Conseil, où siègent les Etats, et le Parlement européen. Les débats y seront particulièrement tendus et complexes. Sans surprise, les lobbys de l'industrie sont déjà à l'oeuvre. La fin des actuels quotas gratuits d'émission qui accompagnera la création du MCAF fait bondir la sidérurgie, l'aviation s'inquiète de la création annoncée d'une taxe kérosène pour les vols intra-UE et l'automobile juge qu'on lui en demande trop et trop vite. 

« Gilets jaunes » et bonnets rouges

Les points les plus chauds du texte résident toutefois dans les mesures prévues sur les carburants, le routier et le bâtiment. Nombre d'ONG, d'Etats et d'eurodéputés craignent l'impact social d'une forte hausse des coûts, de l'essence ou du fioul domestique notamment, qui se répercuterait sur les ménages.

« C'est un risque de 'gilets jaunes' et bonnets rouges cumulés ! » alerte Pascal Canfin, observant que les plus vulnérables, locataires de logements mal isolés ou en milieu rural, seraient les plus pénalisés. « Un coût politique très élevé pour un gain climatique très faible », prédit en écho Thomas Pellerin-Carlin, de l'Institut Jacques Delors.

Classes moyennes

En réponse aux inquiétudes, la Commission propose de créer un « fonds social pour le climat » destiné à soutenir les ménages les plus modestes et les PME. « La Commission doit prouver que son plan mène à une transition équitable et solidaire. C'est l'objectif de ce fonds […] Si nous échouons à convaincre, la résistance sera massive », explique Frans Timmermans. Ce fonds serait doté de 72 milliards d'euros pour 2025-2032 et financé en prélevant aux Etats membres 25 % des recettes du nouveau marché carbone. « La Commission oublie que ce sont les classes moyennes qui en feront les frais », déplore l'eurodéputée Agnès Evren (PPE/LR), qui craint « un matraquage fiscal ».

L'Europe sera aussi mise au défi de faire passer auprès de ses partenaires internationaux la pilule de la création d'une forme de taxe carbone aux frontières, que certains apparentent à du protectionnisme déguisé. Le mécanisme a les faveurs de Paris mais l'Allemagne et les pays du Nord appellent à la prudence face aux risques de mesures de rétorsion. Le dispositif, sur lequel planchent les juristes de la Commission, devra aussi être compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), un vrai défi. Pour verdir son économie, l'Europe risque d'en voir de toutes les couleurs. 

Source Les Echos