Les poumons de la planète sont au bord de l'asphyxie
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Qu'ils soient verts ou bleus, les puits de carbone et de régulation climatique se dégradent inexorablement. Leur mécanisme pourrait même se retourner contre l'équilibre atmosphérique global.
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Puits de carbone océanique, poumon vert amazonien, « Gulf Stream »… Les principaux moteurs de régulation climatique seraient proches de la panne, alertent plusieurs études scientifiques parues depuis le début de l'année. « Leur rôle pourrait même s'inverser et participer au réchauffement de l'atmosphère », craint l'Unesco dans un rapport de synthèse de l'état des connaissances sur le cycle du carbone présenté la semaine dernière.
La principale inquiétude vient du ralentissement d'un des principaux systèmes de circulation océanique, le Gulf Stream ou Circulation méridienne de retournement atlantique (Amoc). Ce courant océanique agit comme un tapis roulant : il transporte à chaque seconde des millions de mètres cubes d'eau chaude des Antilles vers l'Arctique, où elle se densifie en refroidissant et plonge dans les profondeurs pour ressortir dans l'Atlantique Sud.
Or, selon une étude publiée le 26 février par des chercheurs allemands de l'Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique, « cette courroie de transmission globale perd de sa vigueur depuis le début du XXe siècle, et plus particulièrement depuis 1970 ».
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Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont modélisé l'évolution du Gulf Stream depuis l'an 400 en utilisant des indicateurs de climats passés emprisonnés dans les sédiments ou en récupérant des données météorologiques récentes. Selon leurs calculs, cette circulation thermohaline qui agite les océans serait à son niveau le plus faible depuis 1.600 ans.
La fonte de la calotte glaciaire du Groenland en est probablement la cause. « Avec l'eau douce qui la dilue, l'eau salée océanique perd sa densité et le système se grippe », explique Stefan Rahmstorf, principal auteur de l'étude parue dans « Nature Climate Change ». Quelles conséquences peut avoir ce ralentissement ? La dernière fois que ce thermostat planétaire s'est inversé, à la fin de l'ère glaciaire il y a 12.000 ans, deux colossales calottes de glace recouvrant l'Europe, l'Asie et l'Amérique du Nord avaient fondu, diluant littéralement la salinité océanique.
Le scénario actuel est le même, mais les quantités de glace impliquées n'ont rien à voir. Le dernier grand refroidissement terrestre avait entraîné une régression marine d'environ 120 mètres de profondeur, rapidement comblée par le réchauffement quaternaire. En comparaison, la fonte actuelle, même impressionnante avec une perte de 1.200 milliards de tonnes de glace par an, n'augmentera « que » de 1,1 mètre le niveau actuel des mers dans le pire des scénarios de réchauffement envisagé par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
Même moindres, les impacts pourraient cependant être dévastateurs pour l'humanité. Dans un premier travail publié en 2015, le chercheur avait émis l'hypothèse que l'arrêt du thermostat planétaire pourrait être un élément du basculement du climat terrestre, plongeant les zones tempérées dans un cycle d'alternance entre sécheresse estivale, rigueur hivernale et précipitations massives. Selon Stefan Rahmstorf, le Gulf Stream pourrait ralentir d'un tiers d'ici à 2100.
Les perturbations de la circulation thermohaline font courir un autre risque aux océans : l'épuisement de leur capacité à absorber le dioxyde de carbone. C'est ce que révèle en creux le rapport présenté mardi 27 avril par l'Unesco, sous le titre « Recherche intégrée sur le carbone océanique ».
L'étude associe les travaux scientifiques de cinq programmes internationaux de recherche sur les interactions entre océans et climat. « Nous courons le risque d'une inversion du cycle carbone, avec des océans qui pourraient bientôt contribuer à l'effet de serre », indique un responsable de cette Commission océanographique intergouvernementale.
Pour parvenir à cette conclusion alarmiste, les chercheurs ont balayé de nombreuses questions fondamentales : quel est le rôle de la biologie dans le cycle du carbone océanique ? Quels sont les échanges de carbone entre les différentes composantes du continuum terre-océan-glace ? Comment les activités humaines modifient-elles le cycle du carbone océanique ?…
« Sans les puits océaniques, les niveaux de carbone atmosphérique seraient 50 % supérieurs à ce que requiert l'objectif de limitation du réchauffement climatique à deux degrés Celsius : 600 parties par million (ppm) contre les 410 ppm enregistrés en 2019. Au-delà, nous courons le risque d'une inversion du processus », expliquent les chercheurs.
Le risque de retournement climatique vient également de la forêt amazonienne. Cette crainte, exprimée depuis des années par les scientifiques, vient de trouver un nouvel écho avec l'étude de Kristofer Covey publiée fin mars dans la revue « Frontiers in Forests and Global Change ».
Le chercheur issu de l'université américaine de Saratoga Springs s'est intéressé aux rétroactions climatiques du bassin forestier avec d'autres agents impactant l'effet de serre, tels que le méthane issu de l'élevage s'installant sur les sols défrichés, le protoxyde d'azote (autre gaz à puissant effet de serre) dopé par l'usage des engrais sur les terres agricoles, ou l'évapotranspiration causée par les incendies.
Selon les travaux de cette équipe, ces « agents non CO2 » détruiraient probablement le service climatique fourni par les arbres : « Une augmentation radicale des températures accélérant la décomposition des matières entraînerait un doublement des émissions de méthane. » A ce jour, le phénomène émet déjà 3,5 % du méthane mondial, un gaz dont l'effet de serre est 25 fois plus puissant que celui du dioxyde de carbone.
Le problème vient également de la biologie des arbres : confrontés à la sécheresse, ils émettent des composés organiques volatils s'ajoutant aux suies des incendies volontaires. En 2019, notent les chercheurs, les feux de forêt amazoniens ont libéré 615 millions de tonnes de particules fines dans l'atmosphère. Toutes émissions confondues - transport, industrie, chauffage domestique… -, la France en avait rejeté la même année 164.000 tonnes.
Où qu'ils soient, les glaciers fondent à un rythme record, révèle une étude publiée ce 29 avril dans « Nature » par une équipe internationale dirigée par des scientifiques du Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales. Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont réalisé une cartographie inédite des changements d'épaisseur de tous les glaciers du monde, soit près de 220.000 objets d'étude, à l'aide d'un demi-million de couples de clichés de la surface terrestre pris depuis 2000 par le satellite Terra. Avec la précision spatiale offerte, l'équipe a pu mesurer qu'en moyenne, la masse des champs de glaces perd 267 milliards de tonnes chaque année. Le phénomène touche principalement les Alpes, l'Islande et l'Alaska, avec des variabilités importantes selon les années, dues aux changements de précipitations et aux conditions locales de température. Les auteurs de l'étude pointent notamment le recul du glacier Upsala situé en Patagonie (Argentine) entre 2003 et 2018 : selon leurs observations, cette étendue de plus de 800 km² a connu un amincissement de plus de 4 mètres par an au cours des deux dernières décennies.
> 9 cm : l'élévation du niveau moyen des mers depuis 1993.
> 1,8 °C : la hausse des températures en France depuis les années 1990. Elle est de +1,1 °C au niveau mondial.
> +67 % : l'évolution des émissions mondiales de CO2 fossile depuis 1990. Elles représentent aujourd'hui 5 tonnes par habitant. La France est dans cette moyenne. Elle fait mieux que l'Union européenne (6,9 tonnes par habitant), la Chine (8,1 tonnes) et les Etats-Unis (16,1).
> 11.000 km2 : la surface de l'Amazonie partie en fumée l'an passé, soit une hausse de 9,5 % par rapport à l'année précédente. La déforestation volontaire a augmenté quant à elle de 25 %.
> 140 millions de m3/s : le débit du Gulf Stream à la fin de son parcours sur les bancs de Terre-Neuve. C'est 400 fois le débit de l'Amazone.