Des médecins et professionnels de santé strasbourgeois alertent : les centrales à bois émettent des polluants toxiques

Publié le par Reporterre via M.E.

Les centrales biomasses sont parmi les sources de pollution de l’air les plus toxiques, et pourtant elles se multiplient, dénoncent les auteurs de cette tribune, professionnels de santé strasbourgeois. Un danger accentué par la déforestation, et par l’insuffisance des valeurs limites pour d’autres polluants nocifs cancérigènes.

Une centrale biomasse est une usine qui produit de l’énergie sous forme de chaleur par la combustion de matières organiques, le plus souvent du bois. C’est une source de polluants de l’air toxiques, en particulier dans les grandes agglomérations déjà très polluées comme Strasbourg. La combustion du bois est la source la plus émettrice de polluants nocifs pour la santé, davantage même que le charbon et le fuel.

Elle produit des particules fines semblables en termes de composition aux particules diesel, notamment en raison de la présence d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), extrêmement cancérigènes et dangereux pour les systèmes respiratoires, cardiovasculaires et pour le développement du fœtus. En brûlant, le bois émet bien plus de HAP cancérigènes que le fioul domestique — les chauffages au gaz et à l’électricité n’en émettant pas du tout. Une étude de l’INSERM le rappelait récemment : les particules issues de la combustion incomplète du bois ou du diesel (carbone suie ou Black carbon) augmentent de plus de 20 % le risque de cancer du poumon.

Des particules fines retrouvées chez des enfants

Certes, les centrales récentes, notamment équipées de filtres à manche, permettent de diminuer les émissions, mais elles laissent échapper les particules ultrafines, les plus toxiques en raison des nombreux HAP présents à leur surface et de leur taille, qui leur permet d’atteindre tous les organes. C’est précisément ces particules que nous avions décelées dans les urines d’une trentaine d’enfants strasbourgeois : ils en contenaient plus d’un million par millilitre. Bien sûr, dans nos villes, ces particules proviennent essentiellement du parc diesel, mais elles proviendront de plus en plus de la combustion du bois si l’on continue à développer cette énergie.

Encourager le développement du chauffage au bois et des centrales biomasses, qui fonctionnent en grande partie au bois, est donc dangereux pour la santé de nos concitoyens et incompatible avec les politiques publiques d’amélioration de la qualité de l’air, notamment dans les treize villes et territoires qui outrepassent les normes européennes, comme Strasbourg. De nombreux projets de centrale biomasse en France et à l’étranger se heurtent d’ailleurs à l’opposition de riverains inquiets pour leur santé et d’associations en pointe dans la lutte écologique, telles Greenpeace ou Les Amis de la Terre, qui s’accordent pour dénoncer le remplacement de centrales à charbon par des centrales au bois.

À Strasbourg, les centrales biomasses sont pourtant fortement encouragées par la municipalité et l’État, deux (dans les quartiers du Wacken et du Port du Rhin) sont déjà en fonctionnement. Les erreurs ne s’arrêtent malheureusement pas là puisque l’État et nos élus locaux encouragent — en plus de la combustion du bois — le recours à la production de chaleur par incinération, parfois même en remplacement de chaufferies au gaz, pourtant très peu polluantes. Citons l’usine Blue Paper, qui a bénéficié de subventions et d’aides des collectivités et de l’ADEME pour remplacer des chaudières au gaz par un incinérateur afin de fournir la chaleur nécessaire à la production de carton recyclé. Ce passage du gaz à l’incinération de déchets multipliera par deux, au minimum, les émissions de particules fines et par quatre les émissions de HAP.

Un danger pour la santé et le climat

Dangereuse pour la santé, la combustion intensive du bois n’est pas bonne non plus pour le climat. Si la croyance populaire, savamment entretenue, veut qu’elle soit neutre en carbone, en vérité, il n’en est rien : à quantité égale, la combustion du bois est plus émettrice de CO₂ que n’importe quelle autre énergie ! Certes, les arbres absorbent du CO₂ — CO₂ d’ailleurs habilement retranché des émissions liées à la combustion du bois pour faire croire en sa neutralité carbone. Mais si celle-ci peut être réelle lors de faible consommation des ressources en bois, elle ne fonctionne plus au rythme actuel de déforestation et de consommation du bois, qui rend impossible à nos forêts de remplir leur fonction d’absorption de CO₂, y compris en Europe.

C’est le sens d’une lettre publiée en 2018 dans la revue Nature et envoyée à l’Union européenne par des chercheurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ces scientifiques alertaient sur le danger du développement industriel des forêts européennes, qui ne permet pas de compenser l’augmentation des émissions de CO₂ liées au développement des centrales et chauffages au bois, et estimaient que si rien n’était fait, la filière bois énergie serait responsable, à elle seule, d’un accroissement de 10 % des gaz à effet de serre dans les dix prochaines années.

Nous, médecins, rappelons également que les polluants toxiques sont insuffisamment évalués et réglementés dans l’air ambiant, notamment les polluants émis par le secteur industriel, incluant les centrales au bois et incinérateurs. Nous insistons sur l’importance d’instaurer des valeurs limites et une surveillance des polluants toxiques pas encore réglementés, comme le préconise l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Nous demandons aussi une révision des normes pour les polluants les plus nocifs comme les HAP.

Un contrôle insuffisant de ces émissions cancérigènes

En effet, sur la dizaine de HAP cancérigènes, seul le benzo(a)pyrène bénéficie de valeurs limites dans l’atmosphère, mais il s’agit de normes annuelles – non journalières. Or, pour une centrale biomasse fonctionnant essentiellement l’hiver, pondérer ses émissions en prenant en compte l’autre moitié de l’année, quand elle ne fonctionne que très peu, revient à diluer les résultats et à fournir des résultats biaisés. En 1997, la Convention de Genève prévoyait d’ailleurs de diviser par un facteur 10 ces concentrations annuelles (de 1ng/m³/an à 0,1ng/m³/an), ce qui n’est toujours pas appliqué !

Nous souhaitons élargir cet appel, déjà signé par cinquante professionnels de santé strasbourgeois, à l’ensemble des professionnels de santé et associations environnementales en France, afin de demander une limitation de l’utilisation du bois, notamment dans les territoires pollués. Nous sollicitons aussi l’instauration de valeurs limites et d’une surveillance des polluants toxiques non réglementés ainsi qu’une mise en place de valeurs limites plus strictes pour les polluants les plus toxiques tels que les HAP.

Nous vous appelons à signer cet appel en envoyant un mail à strasbourgrespire@gmail.com ou airsanteclimat@gmail.com

Source : https://reporterre.net/Alerte-les-centrales-a-bois-emettent-des-polluants-toxiques

Centrale thermique du Mont-de-Terre à Lille-Fives. Source : La Voix du Nord

NB. A Lille-Fives aussi, sur le site dit du Mont de Terre, existe toujours un projet de conversion d'une centrale thermique fonctionnant au charbon pour y substituer de la biomasse. Les habitants du territoire alertés se sont mobilisés contre le projet , mais qui officiellement n'est toujours pas abandonné. Voir l'article de la Voix du Nord du 19 janvier 2015 :

Projet de chaudière à bois à Fives : l’association du Mont-de-Terre reste inquiète : Réunie en Assemblée générale samedi matin, l’association du Mont-de-Terre, a de nouveau évoqué ses préoccupations sur le projet de chaudière à bois à Fives. En déplorant une opération « financière plus qu’écologique ». https://www.lavoixdunord.fr/art/region/projet-de-chaudiere-a-bois-a-fives-l-association-du-ia19b0n2611463

M.E.

Premiers médecins et professionnels de santé signataires :
Dr Thomas Bourdrel, radiologue
Dr Christian Michel, médecin généraliste
Dr Thierry Reeb, cardiologue
Dr Schmoll Laurent, ORL
Dr Catherine Jung, médecin généraliste
Dr Anny Zorn, médecin généraliste
Dr Boivin Sophie, endocrinologue
Dr Annic Jarnoux, médecin généraliste
Dr Jean Marie Diancourt, pneumologue
Dr Myriam Ernst, médecin généraliste
Dr Jean Louis Bagot, médecin généraliste
Dr Frédérique Sauer, cardiologue
Céline Bruderer, sage-femme
Dr Claire Wilhelm, médecin généraliste
Violaine Marcant, orthophoniste
Dr Denis Matter, radiologue
Dr Farid Bousseksou, médecin urgentiste
Joëlle Berger-scheydecker, kinésithérapeuthe
Dr David Dadoun, cardiologue
Dr Benjamin Brodaty, anesthésiste-réanimateur
Dr Christelle Brodaty, biologiste
Dr Sophie Rabourdin, médecin généraliste
Dr Juliette Chambe, médecin généraliste
Dr Daniel Wiedemann, médecin généraliste
Rita-marianne Lange, neuropsychologue
Luisa Weiner, neuropsychologue, Maître de Conférences en Psychologie
Dr Claude Schaal, radiologue
Dr Julien Frey, médecin Unité de Soins Palliatifs
Dr Bruno Hauss, anesthésiste-réanimateur
Françoise Caillet psychologue 
Dr Alexandre LECLERCQ, pneumologue
Dr Guillaume MICHEL, ophtalmologue
Dr Thomas Lefranc, psychiatre
Dr Olivier Rahimian, ophtalmologue
Dr Vanessa Juif, gastroentérologue
Dr Rivera, Chirurgien
Dr Emmanuel Dautheville, cardiologue
Dr Jean LONSDORFER, Ancien PU-PH Physiologie et Explorations Fonctionnelles Respiratoires et du Sport, HUS
Dr Julie Blavin, ophtalmologue
Dr Gaspard Prevot, médecin généraliste
Dr Jean-Marie MONSCH, gastroentérologue
Dr Christophe Marcot, pneumologue
Dr Arnaud Pfersdorff, pédiatre
Dr Valérie Ronzino-Dubost, chirurgien-sénologue
Dr Clarisse Gilles, médecin géneraliste
Réseau Environnement Santé (RES) Alsace
Collectif Air-Santé-Climat

Publié dans Air, Climat, Energie

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