La politique de l'UE en matière de forêts et d'énergie est en contradiction avec la lutte contre le changement climatique
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« Nous devons réduire simultanément les émissions de gaz à effet de serre et augmenter l’absorption de dioxyde de carbone ». Sept scientifiques suédois expliquent, dans une tribune, que la politique de l’Union européenne en matière de forêts et d’énergie contrecarre la possibilité d’arrêter le changement climatique à temps.
Tribune. Le réchauffement climatique approche rapidement des niveaux qui mettent notre civilisation telle que nous la connaissons en grand danger. Le temps commence à manquer pour échapper à un réchauffement de la planète qui s’auto-renforce. Un point de bascule sera franchi si le réchauffement climatique dépasse de 2 °C à 3 °C par rapport à l’époque préindustrielle.
Plusieurs séries de mécanismes pourraient alors entraîner le système climatique dans un cercle vicieux dont le produit sera un réchauffement incontrôlable. Un exemple en est l’effet de l’albédo [pouvoir réfléchissant de la lumière] observé dans l’Arctique : le rétrécissement de la couche de neige entraîne une réduction de la réflexion de lumière et donc une augmentation des températures, ce qui alimente la fonte des neiges dans d’autres zones, etc.
D’autres exemples de « réchauffement qui renforce le réchauffement » sont les feux de forêt, les insectes ravageurs qui tuent les arbres forestiers et la fonte du pergélisol. Le message du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies (GIEC) nous décrit une dure réalité : afin d’atteindre l’objectif de limiter la hausse des températures à 1,5 °C, il faudrait réduire de 45 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport au niveau d’émissions de 2010, et atteindre l’objectif de zéro émission d’ici à 2050.
Pour ne pas dépasser une augmentation de la température de 2 degrés, il va nous falloir une réduction de 25 % d’ici à 2030, ainsi que des émissions nulles d’ici à 2070. Ainsi, le temps limité dont nous disposons devrait guider la prochaine législation européenne sur le climat. Si ce n’est pas le cas, nous risquons que les processus de « rétroaction » [d’une accélération exponentielle qui échappe à tout contrôle] rendent de nombreuses autres mesures futiles.
A l’échelle mondiale, les émissions de gaz à effet de serre sont principalement liées à la combustion de combustibles fossiles. Afin de réduire ces émissions particulières, il va falloir adopter des mesures d’envergure, par exemple le développement des chemins de fer et de l’énergie éolienne, la mise en pratique des technologies de captage et de stockage du dioxyde de carbone, etc.
Cependant, l’application de toutes ces mesures est une tâche complexe et de longue haleine. En revanche, une réduction de l’exploitation forestière aura un effet positif immédiat sur le climat. Selon le GIEC, la réduction de la récolte forestière est un moyen efficace et solide de lutter contre le changement climatique.
Malheureusement, la directive actuelle de l’Union européenne (UE) sur l’utilisation de l’énergie renouvelable mène à une augmentation de l’exploitation forestière non seulement en Europe, mais aussi dans d’autres parties du monde. Elle permet de classer les émissions provenant des combustibles forestiers et d’autres biocarburants comme étant climatiquement neutres.
Cependant, en raison du facteur temps, nous ne pouvons plus distinguer les effets climatiques des émissions des biocarburants de ceux des combustibles fossiles – l’origine des molécules de dioxyde de carbone n’a aucune pertinence pour l’effet de serre.
Le potentiel des forêts européennes
Vu que les émissions devraient être réduites dès maintenant, il ne suffira pas de remplacer un type d’émission par un autre. En Europe du Nord, un siècle pourrait s’écouler avant que la forêt repousse et séquestre la plus grande partie du dioxyde de carbone émis consécutivement à l’abattage de la forêt précédente ; et, en 2120, il sera déjà trop tard.
Au lieu de continuer l’abattage de la forêt au nom de la production des biocarburants, nous devrions plutôt nous focaliser sur le développement de ce potentiel de stockage
Nous n’avons donc que de vingt à trente ans pour réduire les émissions de moitié afin d’éviter le risque d’une « rétroaction positive » [emballement] des effets de serre. Ainsi, sous sa forme actuelle, la politique de l’UE en matière de forêts et d’énergie contrecarre la possibilité d’arrêter le changement climatique à temps. D’autres biocarburants, tels que le biogaz issu des déchets alimentaires, ont un temps de régénération plus court, et sont donc mieux adaptés à la fenêtre étroite de temps à laquelle nous sommes confrontés.
Nous devons maintenant réduire simultanément les émissions et augmenter l’absorption de dioxyde de carbone. Les forêts européennes sont une ressource importante à cet égard. Elles ont un très grand potentiel pour stocker plus de dioxyde de carbone et, au lieu de continuer l’abattage de la forêt au nom de la production des biocarburants, nous devrions plutôt nous focaliser sur le développement de ce potentiel de stockage.
La Suède et la Finlande possèdent environ un tiers de la superficie forestière de l’UE. Ces forêts nordiques constituent un stock de carbone considérable, mais la repousse des nouveaux arbres après l’abattage est lente. En outre, la sylviculture est à l’origine d’énormes émissions de dioxyde de carbone.
Taxation
En Suède, les émissions d’une année de récolte s’élèvent à environ 80 millions de tonnes de CO2, principalement en raison de la combustion de biocarburants dans les usines à papier ainsi que dans les centrales électriques thermiques. Ces chiffres sont nettement supérieurs à toutes les autres émissions réunies de la Suède. Ces dernières émissions qui proviennent de l’industrie, du trafic routier, de l’aviation, etc. s’élèvent à environ 50 millions de tonnes.
Bien que les forêts de l’Europe du Nord absorbent plus de dioxyde de carbone que les émissions générées par la foresterie, il est important de distinguer la forêt de l’industrie du bois et de l’industrie papetière. La forêt absorbe du dioxyde de carbone, alors que l’industrie produit des émissions.
Une limitation effective de l’exploitation forestière en Suède et en Finlande serait certainement la meilleure stratégie pour réduire rapidement la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. De toute évidence, cela s’applique également aux autres pays boisés. Une réduction de la récolte forestière devrait donc faire partie de la politique de l’UE sur le climat.
Nous proposons que les points suivants soient inclus dans la nouvelle loi sur le climat de l’UE.
D’abord, les émissions de gaz à effet de serre des combustibles fossiles et des biocarburants devraient être taxées. Les incitations économiques devraient être liées au temps de régénération de chaque biocarburant. Il convient d’introduire des modèles économiques qui fixent la taxe carbone selon les risques actuels de points de bascule dans le système climatique.
Papier de paille
Par exemple, les émissions des forêts à croissance lente devraient être taxées plus lourdement que les biocarburants dont la durée de régénération est courte. Une compensation financière devrait être accordée aux propriétaires terriens qui s’abstiennent d’abattre leur forêt. Le cadre réglementaire actuel de l’UE pour la compensation financière des mesures agro-environnementales pourrait servir de modèle pour la compensation climatique dans le secteur forestier.
Ensuite, comme la production de papier entraîne des émissions de gaz à effet de serre particulièrement importantes, il convient de réduire l’utilisation du papier. Les clients et les entreprises consommateurs de papier devraient être incités à acheter du papier qui est fait avec d’autres ressources que celles de la forêt. Par exemple, le papier fabriqué à partir de paille cause la moitié de l’empreinte écologique du papier fabriqué à partir des forêts exploitées.
Enfin, les zones forestières coupées à blanc sont actuellement le plus souvent replantées avec une seule espèce de conifère et la plupart des espèces d’arbres présentes naturellement sont éliminées. La création d’un tel paysage artificiel des monocultures augmente le risque d’infestations massives d’insectes, d’infections fongiques et d’incendies, ce qui pourrait amplifier l’effet de serre.
De plus, les monocultures empêchent dans une large mesure la recolonisation des espèces correspondant à la biodiversité de l’ancienne forêt semi-naturelle. Afin de contrecarrer ces risques, les zones abattues devraient plutôt être reboisées avec un mélange des différentes espèces d’arbres qui y sont indigènes. Finalement, dans la plupart des zones, des méthodes de sylviculture à couverture continue devraient être appliquées au lieu des coupes rases. (Article traduit de l’anglais par Jorgen Anderssen Osberg)
Liste des signataires : Malgorzata Blicharska, professeure associée en ressources naturelles et développement durable à l’université d’Uppsala ; Göran Englund, professeur d’écologie à l’université d’Umea ; Stig-Olof Holm, professeur d’écologie à l’université d’Umea ; Richard Holmqvist, maître universitaire en sciences, génie électrique ; Bengt-Gunnar Jonsson, professeur d’écologie, Mid Sweden University ; David van der Spoel, professeur de biologie moléculaire à l’université d’Uppsala ; Kjell Prytz, professeur associé en physique des hautes énergies au collège universitaire de Mälardalen.
A voir aussi l'excellent documentaire diffusé sur France 5 : "Sur le front des forêts françaises " : Si la superficie de la forêt française ne cesse d'augmenter, cette réalité est trompeuse : la forêt s'étend surtout grâce à des plantations. Il ne s'agit plus de forêts naturelles mais de champs d'arbres où il n'existe plus de biodiversité et qui absorbent beaucoup moins de CO2. En outre, ces plantations résistent mal au changement climatique. https://www.france.tv/france-5/sur-le-front/2321841-des-forets-francaises.html