Pr François Balloux : "Il faut prendre au sérieux ce nouveau variant anglais du COVID-19"

Publié le par Sciences & Avenir via M.E.

Le nouveau variant est-il vraiment plus contagieux ? Faut-il s'inquiéter d'une épidémie plus dangereuse ? Les formules vaccinales vont-elles tenir face aux mutations ? Depuis Londres, le Pr François Balloux, directeur de l'Institut de génétique de l'University College London et spécialiste de la génomique des virus, fait le point sur la "nouvelle souche" qui agite l'Europe.

La nouvelle lignée du coronavirus identifiée au Royaume-Uni a fait trembler toute l’Europe. Reconfinements, interruption des liaisons avec la Grande-Bretagne… Si une nouvelle souche beaucoup plus contagieuse venait à s’imposer en ce début d’hiver en Europe, cela compliquerait les scénarios des prochains mois. L'Organisation mondiale de la santé a toutefois tenu à rappeler que cette souche n'était "pas hors de contrôle" contrairement à ce qu'annonçait ce week-end le ministre de la Santé britannique, Matt Hancock. Pour l'heure, les caractéristiques précises de ce variant anglais (nom de code : VUI-202012/01) restent largement inconnues. Du détail des mutations qui explique les craintes actuelles à l’inévitable révision, à terme, des formules vaccinales, le Pr François Balloux, directeur de l’Institut de génétique de l’University College London (Angleterre) et expert en génomique et épidémiologie des maladies infectieuses, revient pour Sciences et Avenir sur les enjeux de la recherche sur cette nouvelle lignée virale.

Sciences et Avenir : Ce nouveau variant du virus est-il vraiment plus contagieux ? Comment peut-on le savoir ?

François Balloux : Nous n’avons que des données imparfaites à ce jour, et il faut être prudent. Mais en Angleterre, l’accroissement épidémiologique de la lignée en question a été comparé à celui d’autres lignées virales en circulation. Avec cette approche, on obtient un taux de croissance 70% plus élevé en moyenne que les autres. Si c’est le cas ça peut être très ennuyeux. On en saura bientôt plus dans la mesure où cette lignée a été trouvée ailleurs qu’en Angleterre : neuf génomes ont été séquencés au Danemark et des observations sont faites en Italie et en Belgique. L’Allemagne n’a pas présenté de génome, mais a fait une annonce autour de quatre cas. Bizarrement, ils n’ont pas l’air trop inquiets encore. Bref, la lignée est déjà en plusieurs endroits : si sa fréquence augmente partout, on pourra en conclure qu’elle a un avantage intrinsèque dans la transmission.

Faut-il parler de variant, de souche, de lignée ou de mutation ?

Ce qui inquiète aujourd’hui tient en une série de 23 mutations acquises. Si on considère que cette forme du virus a des particularités phénotypiques identifiées, qu’elles se transmet vraiment mieux par exemple, on peut utiliser le terme de souche. En attendant, c’est peut-être plus prudent de parler de lignée. C’est plus précis que variant puisque la lignée comprend le processus d’acquisition des mutations qui font la particularité de ce virus. Mais il faut relativiser le débat sémantique, en particulier avec le COVID où on utilise un peu tout en même temps tout le temps.

Entre le printemps et l’automne 2020, la souche D614G qui s’est imposée dans le monde a fait couler beaucoup d’encre. Elle a d’abord été jugée dix fois plus infectieuse que les précédentes, avec une capacité présumée supérieure à mieux pénétrer nos cellules. Il s'est finalement avéré que l'augmentation de la contagiosité était beaucoup plus faible. Qu’est-ce qui permet aujourd’hui de dire que la lignée en cours d’investigation pourrait constituer un risque ?

Je crois qu’on en parlera encore pendant des années de cette mutation D614G ! Mais c’est une autre affaire. Aujourd’hui, les données préliminaires pointent vers une lignée qui provoquerait des charges virales plus élevées. Les résultats obtenus grâce à la PCR ou lors du séquençage des génomes suggèrent une charge virale près de quatre fois plus élevée en moyenne. C'est cohérent avec ce qui a été observé avec une autre lignée en Afrique du Sud qui partage certaines caractéristiques avec celle au Royaume-Uni. Elles ne sont absolument pas apparentées mais ont acquis un certain nombre de mutations en commun de façon séparées. Toutes les deux auraient transité en infection persistante chez une personne immunodéprimée. Elles possèdent en particulier une mutation en commun (N501Y). Mais je ne suis pas persuadé que ce soit cette mutation qui augmente la contagiosité.

Il y a donc des raisons de s’inquiéter ?

Il faut prendre ce nouveau variant anglais au sérieux. Il est certain que si une lignée vraiment plus contagieuse vient à circuler, il y aura plus de cas, plus vite, au moment où commence l’hiver, la saison la plus difficile. Cela renforce le risque d’une saturation des hôpitaux si le virus circule trop librement. Cela dit, à cet égard, il n’y a pas que la contagion qui compte, mais aussi la sévérité des symptômes. Or pour l’instant, rien n’indique que cette lignée provoquerait une maladie plus sévère. Il faut être prudent, toujours, mais à l’heure actuelle, deux éléments suggèrent même qu’elle pourrait en fait être moins agressive.

D’abord, cette lignée possède une délétion dans le gène ORF8. A ce jour, c’est le seul type de mutations qui a été associé à des symptômes moins sévère. Cela a été mis en évidence dans une étude bien faite à Singapour. C’est une bonne nouvelle, même s’il faut faire attention : c’est un résultat isolé, qui n’a pas été répliqué. Et pour cause, ce n’est pas facile d’avoir suffisamment de données à comparer sur le même hôpital, avec des souches différentes, qui circulent en même temps chez les patients. 

La seconde raison d’espérer une maladie moins sévère est d’ordre épidémiologique. Selon des données préliminaires, sur 1 000 cas confirmés avec cette lignée virale en Angleterre, quatre décès ont été enregistrés. Ce n’est malheureusement pas excessif, au contraire. D’autant que les 1.000 cas confirmés ne reflètent pas l’ensemble réel des cas d’infection. Dans les données épidémiologiques, de façon générale, on n’observe pas non plus d’augmentation des hospitalisations ou de la mortalité par rapport au nombre de nouveaux cas causés par cette nouvelle lignée. Mais il faut rester vigilant.

En résumé, il y a des raisons de croire que la lignée est plus contagieuse, aucune de penser qu’elle est plus sévère ; et peut-être qu’avec un peu de chance elle sera même moins grave.

Cette alerte renforce-t-elle l’idée qu’il faudra tôt ou tard adapter la formulation des vaccins à des lignées qui auront trop divergé génétiquement de la séquence d’origine ? La protéine Spike utilisée comme antigène par la plupart des vaccins est justement sujette aux mutations…

Avant même qu’on voit l’émergence de cette lignée, il était clair qu’il faudrait réfléchir à redéfinir régulièrement les séquences dans le vaccin. Ce sera peut-être plus vite qu’on le pensait. Ce qui est rassurant à ce jour, c’est que les vaccins basés sur la séquence virale d’origine donnent une protection adéquate et couvrent encore les mutations des différentes lignées. Les vaccins développés visent à présenter à l’organisme la protéine Spike du coronavirus SARS-CoV-2, sans l’infection. Cet antigène vaccinal est lui-même composé de différents morceaux, les épitopes, à partir desquels différents anticorps neutralisants spécifiques seront produit par le système immunitaire, qui saura ainsi se protéger lors d’un contact réel avec le virus. Si une mutation du virus modifie un épitope dans la protéine Spike, il y a d’autres cibles qui sont conservées permettant la production d’autres anticorps neutralisants. Mais au fil des mutations, des lignées virales pourraient évoluer et commencer à échapper au vaccin. D’autant que les campagnes de vaccination vont exercer une forte pression de sélection.

Cela signifie repartir de zéro ?

Non, en théorie, les vaccins sont assez simples à réajuster. Et il n’est pas nécessaire de repasser par toutes les études cliniques. Et ce n’est pas sans précédent, puisqu’on le fait avec la grippe chaque année. En l’occurrence, ça devrait être moins compliqué que pour la grippe qui implique de sélectionner quatre souches très différentes pour entrer dans la composition du vaccin saisonnier. Là, cela semble plus abordable, ça ne concerne que la protéine Spike.

Par ailleurs, la capacité de surveillance des mutations du coronavirus est excellente actuellement. Il est même possible d’envisager prédire les mutations futures. Tenter de se placer en amont de l’évolution du virus pour anticiper les mutations qui ont le plus de chances de survenir. Aujourd’hui, avec des expériences en laboratoire et des analyses de biologie computationnelle, on pourrait même dire quelles seront les mutations qui vont monter en puissance sous la pression sélective de la vaccination.

Publié dans COVID-19, Santé

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