Comment en finir avec l'étalement urbain
Chaque année, en France, 20.000 hectares de nature sont recouverts de béton et de bitume. Cet étalement urbain, mortel pour l'environnement, n'a pourtant rien d'inéluctable. Il suppose de construire des villes plus denses et plus accueillantes.
Qui n'a pas le souvenir d'un paysage ou d'un lieu de son enfance aujourd'hui méconnaissable ? Demandez aux habitants de Bruyères-sur-Oise, dans le Val-d'Oise. Ils vous répondront sûrement que, à la place de ce lotissement de soixante logements sorti de terre en 2014, il y avait autrefois un champ, situé en bordure de ville, sur lequel on cultivait des céréales.
Des exemples comme celui-là, la France les collectionne. Chaque année, 20.000 hectares de terres agricoles, de prairies et de forêts sont remplacés par des résidences pavillonnaires, des centres commerciaux ou encore des routes. Si rien n'est fait, l'équivalent de la superficie du Luxembourg sera recouvert de béton et de bitume d'ici à 2030, dit un rapport de France Stratégie (2019), le think tank rattaché à Matignon. Pour l'heure, la France est artificialisée à 6,4 %, ce qui est, à population égale, 15 % de plus que l'Allemagne et 57 % plus que le Royaume-Uni, d'après les calculs du Réseau national des aménageurs. La faute, bien souvent, au développement des agglomérations urbaines dans leur périphérie rurale. Strasbourg en est une bonne illustration. La capitale alsacienne de 78,26 km2, à force de s'étaler depuis les années 1960, forme maintenant une aire urbaine de 339,64 km2.
L'étalement urbain est lourd de répercussions sur l'environnement. Un million d'espèces animales et végétales sont menacées d'extinction dans le monde. La destruction de l'habitat des animaux et des végétaux y contribue beaucoup. A cet égard, la loi « biodiversité » de 2018 vise « zéro artificialisation nette » d'ici à 2050 . L'autre répercussion notable est climatique. L'artificialisation des sols empêche la séquestration du CO2, ce gaz responsable du réchauffement de la planète.
L'étalement urbain n'a pourtant rien d'inéluctable. A condition de s'attaquer à ses causes profondes. Le marché foncier et immobilier est l'un d'eux. « La périurbanisation est la traduction économique d'un coût de l'immobilier très élevé en centre-ville et d'un prix du foncier constructible très attractif en périphérie », estime Franck Gintrand, délégué du think tank l'Institut des territoires.
Une piste, suggérée par l'OCDE, dans un rapport de 2018, est d'« assouplir les restrictions en matière de densité maximale autorisée ». L'effet recherché est un « choc d'offre » pour rendre le prix de l'immobilier beaucoup plus abordable dans le centre et ainsi stopper les constructions en périphérie. En France, l'habitat représente 41,9 % des terres artificialisées.
Dans bien des cas, faute de terrain disponible en plein centre, construire à la verticale s'impose. Bientôt le retour des tours, si décriées en France ? Pas forcément. Vanves, comme bien d'autres villes du Grand Paris, en est l'illustration. Des immeubles de quatre à six étages remplacent peu à peu les petits logements collectifs et les maisons de ville. A Paris intra-muros, autre méthode. La ville encourage la surélévation des bâtiments existants pour accueillir plus de monde, sans avoir à démolir, et part à la conquête du moindre mètre carré de friche urbaine. D'après France Stratégie, une « densification forte » permettrait de diviser par quatre la consommation annuelle d'espaces naturels.
Voilà pour la théorie. La pratique se heurte au rêve français de la maison individuelle avec jardin. C'est l'autre moteur de l'étalement urbain. Selon une étude publiée mi-septembre par Kantar, 80 % des 18-34 ans se projettent en maison dans les cinq années à venir. L'institut estime qu'un Français sur deux y vie déjà. Problème : ce type de logement consomme bien plus d'espace qu'un appartement en ville pour y loger un même nombre de personnes. « Il faut alors réenchanter la ville pour convaincre les urbains d'y rester et, pourquoi pas, les périurbains d'y revenir », préconise Anne Lefranc, ingénieure à l'Agence de la transition écologique (ADEME).
Dans une publication de 2018, l'ADEME, justement, lance plusieurs idées pour « fidéliser » les urbains. Elle recommande de les impliquer dans le verdissement des villes, à l'image du permis de végétaliser instauré à Lille et à Dunkerque, dans le Nord. Autre piste, la création d'espaces publics satisfaisant en un même lieu plusieurs attentes. Le parc de Billancourt (Hauts-de-Seine), situé sur l'ancien site industriel de Renault, est cité en exemple. Sur ses 7 hectares, les urbains peuvent à la fois se promener, faire du sport et laisser les enfants se défouler sur l'aire de jeu dédiée.
Cela suffira-t-il à briser le rêve de la maison individuelle ? Pas sûr. « Etant donné la manière dont nous concevons les appartements, les commodités de la maison avec jardin et garage sont quasiment imbattables », explique Sylvie Landriève, directrice du Forum Vies Mobiles. Mais les choses sont peut-être en train d'évoluer. Fin septembre, le promoteur immobilier Nexity a annoncé que 100 % de ses opérations intégreront désormais des espaces végétalisés et que tous les occupants y auront accès à titre privé ou collectif. Les nouveaux immeubles auront aussi des grands locaux pour y garer les vélos et, pourquoi pas, des bornes pour les voitures électriques.
La lutte contre l'étalement urbain repose sur un autre pilier, la « renaturation ». Quelques collectivités ambitionnent de « réparer » les dégâts causés par l'urbanisation. Le département de Loire-Atlantique envisage de "renaturer" des délaissés routiers encore bitumés. L'établissement public d'aménagement Nice Ecovallée, dans les Alpes-Maritimes, ambitionne de supprimer 250 hectares de zones urbaines pour y mettre à la place 125 hectares de zones agricoles et de zones naturelles, le long de la plaine du Var.
Pour l'heure, rien de bien pharaonique, d'autant plus que "renaturer" constitue une solution onéreuse. Déconstruire coûte 65 euros le mètre carré de foncier et désimperméabiliser le sol jusqu'à 270 euros, estime France Stratégie. C'est peut-être le prix à payer pour retrouver les paysages de son enfance. Mais qui va mettre la main à la poche ?
A lire aussi : Eric Hamelin, Olivier Razemon, La tentation du bitume, Editeur Rue de l'Echiquier, 2012.
Résumé : Année après année, la campagne française disparaît sous la ville. Malgré les proclamations indignées et les législations vertueuses, la terre fertile se raréfie, les espaces naturels se morcellent, la ville s'éparpille et se cloisonne, l'automobile s'impose comme unique lien social. Le phénomène, connu sous le nom d'étalement urbain, ne résulte pas seulement, comme on le croit souvent, de la crise du logement et du désir d'accession à la propriété individuelle. Centres commerciaux, entrepôts, parkings, la ville étalée se nourrit, en France comme ailleurs, d'une économie opulente et d'une société qui valorise le bonheur individuel, à court terme de préférence. Autrement dit, nous sommes tous responsables.
Les égoïsmes locaux, les tentations des élus et les tics des aménageurs se heurtent çà et là à des réflexes de survie. On pourrait densifier et vitaliser la ville existante. On pourrait prendre les décisions au bon niveau et en réfléchissant à l'avenir. On pourrait résister au tout-parking. On pourrait améliorer la qualité de vie sans gaspiller le territoire.
Les auteurs brossent un portrait vivant et sans concession de la bataille inégale qui se livre entre la soif de bitume et les rares garde-fous susceptibles de contrer le phénomène. Tout est-il perdu ? Et si les crises qui se profilent fournissaient un sursaut brutal mais inespéré ? https://www.ruedelechiquier.net/essais/27-la-tentation-du-bitume.html