Malus poids, émissions de CO₂ : intéressons-nous enfin aux véhicules intermédiaires !
Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre émis par les véhicules automobiles ? Pour respecter la stratégie nationale bas carbone que s’est fixée la France, les évolutions technologiques actuelles sont loin d’être suffisantes, surtout si les voitures tendent à être de plus en plus lourdes. Ainsi l’efficacité des voitures thermiques neuves a cessé de progresser ces dernières années, au lieu des fortes améliorations prévues par la stratégie nationale. Quant à la voiture électrique, la production du véhicule et de la batterie pèse fortement dans le bilan carbone total du véhicule. D’où l’idée d’instaurer un système de bonus-malus fondé non seulement sur les émissions de CO2 mais aussi sur le poids des véhicules. Cette mesure, perçue par beaucoup comme controversée, est-elle suffisante ?
Dans les années 1960, la « voiture moyenne » neuve ne pesait que 800 kg. Elle n’a ensuite cessé de grossir jusqu’à peser 1 250 kg vers 2005. Puis son poids s’est stabilisé pour repartir à la hausse ces dernières années, sous l’effet de deux phénomènes : l’essor des SUV, qui représentent aujourd’hui 39 % du marché, et celui des voitures électriques, dotées de lourdes batteries.
C’est pourquoi, en juillet 2019, France Stratégie (l’organisme d’expertise et de prospective de l’État) proposait dans une note de fonder le bonus-malus sur le poids des véhicules et plus seulement sur les émissions de CO2.
L’idée a ensuite été reprise, à quelques détails près, par plusieurs ONG (le RAC France, le WWF…), par la Convention citoyenne pour le climat, par le Haut Conseil pour le climat, par le Forum vies mobiles.
En septembre 2020, le ministère de la Transition écologique chiffre la mesure et suggère de l’inclure dans le projet de loi de finances pour 2021, proposition aussitôt écartée par les députés.
Puis le gouvernement propose finalement d’introduire un malus pour les véhicules de plus d’1,8 tonne. Le malus ne concernerait que moins de 2 % des ventes et exonèrerait les voitures électriques, tombant dans les travers du système de bonus-malus actuel, trop peu incitatif…
Mais, même avec un seuil plus bas à 1,3 ou 1,4 tonne, comme le proposaient certains instituts évoqués plus haut, cette mesure règlerait-elle vraiment le problème ? Les véhicules sous cette limite sont-ils pour autant vertueux, alors qu’ils ont de multiples externalités négatives (insécurité, place occupée en ville, pollution à la fabrication, épuisement des ressources naturelles, etc.) ?
Même allégée, une voiture, qu’elle soit thermique, hybride ou électrique, demeure lourde pour ce qu’elle transporte, soit à plus de 90 % les matériaux qui la constituent et non des personnes ou des charges. Autrement dit, son efficacité énergétique par personne transportée est déplorable, puisqu’elle est 110 fois moindre que l’efficacité d’un « vélomobile ».
Un vélomobile est un tricycle ou quadricycle caréné, pesant environ 32 kg, pouvant transporter une personne (et même deux pour certains modèles) et quelques affaires, protégées des intempéries. Son aérodynamisme est excellent, lui permettant d’atteindre une vitesse record de 144,17 km/h. Pour rouler à 25 km/h sur terrain plat, un cycliste dépense deux fois moins d’énergie en vélomobile qu’avec un vélo classique.
Fort bien, mais qui connaît ce type d’engin et qui l’utilise ? Peut-il vraiment remplacer une voiture ? Les débats sont ouverts.
Il existe, en fait, des centaines de véhicules de toutes sortes, beaucoup moins lourds et donc moins consommateurs de ressources et moins émetteurs de gaz à effet de serre que les voitures.
Des milliers d’ingénieurs s’y intéressent et inventent actuellement les solutions de mobilité individuelle de demain. Pour rendre ces engins visibles dans le débat, nous proposons de les nommer les « modes intermédiaires », soit tous les véhicules de moins de 500 kg entre le vélo classique et la voiture. On y trouve quelques véhicules déjà bien connus et d’autres totalement ignorés. En voici une typologie.
- Les VAE (vélos à assistance électrique) sont des vélos qui bénéficient d’une assistance limitée à 25 km/h et à 250 Watts.
- Les speed pedelec sont des vélos électriques rapides pouvant rouler jusqu’à 45 km/h, à ranger dans la catégorie des cyclomoteurs.
- Les vélos spéciaux rassemblent les cargocycles, les vélos couchés, les vélomobiles, les tandems, les vélos pliants, les vélos-voitures et divers engins hybridant ces solutions (des salons leur sont même consacrés).
- Les microvoitures sont des sortes de quads électriques sans pédales à une place. Comme les suivants, ce sont des modes dits passifs.
- Les voiturettes (ou « voitures sans permis »), transportent deux personnes, ont un habitacle fermé, une vitesse limitée à 45 km/h et un poids inférieur à 425 kg.
- Les deux-roues, tricycles ou quadricycles motorisés, protégés bénéficient d’un toit ou d’un habitacle fermé ; ils comportent en général deux places et nécessitent le permis moto.
- Enfin, les mini-voitures (par exemple, la Twizy de Renault pouvant rouler à 80 km/h) ont une puissance limitée à 15 kW, un poids à vide inférieur à 450 kg, sont biplaces et nécessitent un permis B1.
Parmi ce monde foisonnant des modes intermédiaires, les seuls qui se développent déjà rapidement sont les vélos électriques et les vélos spéciaux. De nombreuses raisons l’expliquent : la montée dans la population du désir d’être plus actif dans ses déplacements, les difficultés économiques qui en amènent certains à renoncer à la seconde voiture, la sensibilité croissante aux questions environnementales, le souhait de maîtriser la réparation de son véhicule, le désir d’une vie plus sobre…
Les voiturettes connaissent aussi un certain succès, mais souffrent d’une piètre image, car toujours comparées à la voiture.
L’automobile reste, en effet, une puissante norme sociale qui travaille en profondeur les imaginaires. Difficile pense-t-on de s’en passer dans la plupart des déplacements quotidiens. Cette norme est pourtant une construction sociale intégrée aux modes de vie et qui a une longue histoire. Elle est sans cesse travaillée par les constructeurs via le design et la publicité.
Qui sait, par exemple, que les modes intermédiaires permettent de franchir la plupart des distances domicile-travail actuelles (d’une dizaine de kilomètres en moyenne (données 2008)).
Et pourquoi finalement les voitures sont-elles si lourdes ? Quatre raisons peuvent être évoquées : disposer d’espace pour transporter des personnes et des biens, pouvoir rouler vite en sécurité dans un habitacle bardé de renforts, profiter d’éléments de confort (climatisation, lève-vitres électriques…) et jouir d’un véhicule « qui en impose ».
Or ces quatre motifs sont aujourd’hui de plus en plus contestés. Les voitures servent rarement à plus d’une ou deux personnes. Les véhicules pourraient rouler plus lentement sans perdre beaucoup de temps. Le confort actuel est largement superflu. Et le prestige automobile s’étiole de plus en plus. C’est pourquoi les modes intermédiaires commencent lentement à gagner en crédibilité.
Concrètement, toutes les voitures, même électriques, devraient subir un malus et les modes actifs bénéficier d’un bonus sous forme de financement renforcé des espaces publics, des aménagements, des véhicules ou des services dont ils ont besoin.
Frédéric Héran, CC BY-NC-ND
Le marché mondial des modes intermédiaires est encore embryonnaire. Il y a là, pour la France, une occasion à saisir de se positionner comme leader de ces véhicules écologiques, peu chers et répondant à la majorité des besoins de déplacement. Avec, à la clé, des défis enthousiasmants pour les jeunes ingénieurs français en quête de sens, des potentiels d’innovations immenses, et des milliers d’emplois dans l’industrie. Le plan de relance du gouvernement dans le contexte de la pandémie de Covid-19 pourrait contribuer sans attendre à structurer ce nouveau secteur.