Les restaurateurs lillois seront-ils contraints d’activer StopCovid pour rester ouverts ?
La mairie de Lille a envoyé aux restaurateurs un protocole sanitaire renforcé qu'ils devront respecter pour rester ouverts lorsque la ville va passer en zone d'alerte maximale samedi 10 octobre. Ils doivent notamment s'engager à « installer et activer StopCovid », alors que depuis le déploiement de l'app de contact tracing fin mai, sa non-utilisation a toujours été sans conséquence.
Le ministre de la Santé Olivier Véran a indiqué dans sa prise de parole du 8 octobre que Lille passerait en « zone d’alerte maximale » à compter du samedi 10 octobre. Ce nouveau seuil a pour effet la fermeture des bars, et la mise en place de nouvelles restrictions sanitaires dans les restaurants, dont celle d’un carnet de rappel, qui pose la question de la protection des données des utilisateurs.
La métropole lilloise s’y était préparée. En amont de l’annonce, elle avait envoyé un communiqué aux restaurateurs de la Ville, qu’elle a transféré à Numerama après que nous l’avons contacté : « Nous souhaitons anticiper l’éventualité [d’un passage en zone d’alerte maximale] et proposons si cela s’avérait nécessaire et si nous étions dans cette hypothèse, que les restaurants appliquent ce protocole sanitaire renforcé. » Il est demandé à chaque exploitant de signer le document et de le renvoyer à la mairie, pour « manifester » leur engagement.
Le protocole (image ci-dessus) comporte 13 points, qui reprennent en grande majorité le protocole sanitaire renforcé publié par le gouvernement le 5 octobre. Mais un point, le cinquième, sort de la normale : « je reste ouvert et je m’engage à télécharger et activer StopCovid dans mon établissement ». Autrement dit, puisque la mairie, aux côtés de la police municipale, sanctionne le non-respect du protocole sanitaire, elle s’octroie la possibilité d’émettre des amendes pour la non-utilisation de l’app de contact tracing.
Elle est la première institution publique à présenter l’usage de StopCovid de la sorte. Dans son protocole, le gouvernement se contentait d’indiquer : « Le téléchargement et l’activation de StopCovid sera également recommandé dans les établissements. ». De son côté, la préfecture de Paris s’aligne avec le ministère, tandis que la préfecture du PACA ne fait même pas mention de l’app pour Marseille et Aix-en-Provence.
La différence entre la recommandation de l’app et l’engagement à l’installer est de taille. En avril, Numerama se demandait déjà si les Français auraient le choix de refuser l’utilisation de StopCovid. Dès le début du projet, le gouvernement a garanti que l’usage serait basé sur le volontariat. Le 25 avril, le secrétaire d’État au Numérique Cédric O affirmait dans les colonnes du JDD que « l’installation de l’application doit relever totalement du libre consentement », avant d’ajouter qu’« un employeur, ou toute autre personne, qui obligerait à utiliser [StopCovid] pourrait s’exposer à des poursuites pénales ».
Dans son avis publié le 26 avril, la CNIL, l’autorité française des données, remettait une couche : « Le volontariat signifie qu’aucune conséquence négative n’est attachée à l’absence de téléchargement ou d’utilisation de l’application. » Elle rappelait qu’imposer l’usage de StopCovid pourrait constituer, « en l’état du droit et selon l’analyse de la Commission », une discrimination. Dans le cas lillois, la non-activation de l’app pourrait mener à des conséquences négatives, puisqu’elle est considérée comme un critère nécessaire au maintien de l’ouverture des bars.
Contactée sur ce point, la CNIL a indiqué qu’elle traitait notre demande, mais ne s’est pas encore exprimée.
La municipalité, comme elle l’explique dans son communiqué, a déjà sanctionné plusieurs restaurateurs pour non-respect du précédent protocole sanitaire : « Si la grande majorité de ces établissements recevant du public (ERP) se montrent rigoureusement respectueux des règles sanitaires, quelques-uns y contreviennent de façon flagrante, faisant courir des risques de propagation accrue du virus COVID-19, alors que la ville et la métropole connaissent une situation sanitaire préoccupante. C’est inacceptable ! » Depuis le 2 juin, elle a dressé 500 procès-verbaux, et transmis à la préfecture des dossiers qui ont mené à 10 fermetures administratives de 15 jours. Si la non-activation de StopCovid est considérée au même niveau que le non-port du masque, il pourrait exposer à ce genre de sanctions.
Ce serait une première, même si dans un avis du 20 avril, le Conseil scientifique COVID-19 songeait à cette possibilité : « Si les usages volontaires sont à privilégier, des options obligatoires ne peuvent être écartées. » Mais la proposition d’un député LREM de lier l’utilisation de StopCovid à davantage de liberté de mouvement pendant le déconfinement avait engendré une levée de boucliers. Et plus récemment, des parlementaires songeaient à mettre en place des garde-fous pour éviter que l’usage de StopCovid donne un jour un accès prioritaire au dépistage.
Il est donc étonnant que la municipalité lilloise fasse bateau à part. D’autant plus qu’elle n’a pas établi le protocole sanitaire seule : la Métropole Européenne Lilloise, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (l’organisation patronale des restaurateurs, qui a également participé à la création du protocole national) et l’agence d’attractivité Hello Lille ont participé à son élaboration, avec l’expertise scientifique de l’Institut Pasteur de Lille. Contactée, la mairie justifie que son protocole s’inspire du protocole établi par le gouvernement.
On peut donc se poser la question : s’agit-il d’une véritable volonté de la mairie, ou d’une erreur d’interprétation ? Dans tous les cas, difficile de voir l’utilité pour le restaurateur seul d’installer StopCovid, si ses clients ne l’ont pas…