Les dégâts du COVID-19 sur le cerveau

Publié le par Pour la science via M.E.

Certains malades infectés par le nouveau coronavirus développent des symptômes neurologiques. Les scientifiques s’efforcent de comprendre pourquoi.

Elle voyait des lions et des singes dans sa maison. Souvent désorientée et agressive envers les autres, elle était en outre convaincue que son mari était un imposteur. Âgée d’une cinquantaine d’années seulement, soit beaucoup moins que les personnes chez qui habituellement se développe une psychose, cette femme n’avait pas d’antécédents psychiatriques. En revanche, elle avait été infectée par le SARS-CoV-2. Elle est ainsi l’un des premiers cas connus de malade ayant développé une psychose après avoir contracté le Covid-19.

Durant les premiers mois de la pandémie, les médecins se battaient pour faire respirer les patients et se concentraient surtout sur le traitement des atteintes pulmonaires et circulatoires. Mais, dès cette époque, les preuves des effets neurologiques du COVID-19 s’accumulaient. Certains malades hospitalisés déliraient, étaient confus, désorientés, agités… En avril, un groupe au Japon a rapporté le cas d’un malade présentant un gonflement et une inflammation des tissus cérébraux. Une autre étude a décrit un patient atteint d’une détérioration de la myéline, un revêtement gras protecteur des neurones, qui est irréversiblement endommagé dans les maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaques.

« Les symptômes neurologiques sont de plus en plus effrayants », affirme Alysson Muotri, de l’université de Californie à San Diego. La liste compte désormais des accidents vasculaires cérébraux, des hémorragies cérébrales et des amnésies. Il n’est pas rare que des maladies graves aient de tels effets, mais l’ampleur de la pandémie de COVID-19 signifie que des milliers, voire des dizaines de milliers d’individus pourraient déjà présenter ces symptômes qui, chez certains, deviendront chroniques.

Les chercheurs s’efforcent de répondre à des questions clés, y compris élémentaires comme le nombre de personnes concernées par ces atteintes neurologiques, et, surtout, de comprendre pourquoi elles se manifestent.

Bien que certains virus soient connus pour infecter le cerveau, on ignore encore si le SARS-CoV-2 le fait de façon significative. Les symptômes neurologiques seraient plutôt le résultat d’une sur-stimulation du système immunitaire. Il est crucial de trancher entre ces deux scénarios, car chacun implique des traitements totalement différents. « C’est pourquoi les mécanismes de la maladie sont si importants », explique Benedict Michael, de l’université de Liverpool, au Royaume-Uni.

Cerveaux atteints

Alors que la pandémie s’intensifiait, Benedict Michael et ses collègues ont été parmi les premiers à inventorier les cas de complications neurologiques liées au COVID-19. En juin, ils ont analysé dans le détail les manifestations cliniques d’ordre neurologique et psychiatrique de 125 malades. Quelque 62 % de ces derniers souffraient de troubles de l’irrigation sanguine du cerveau, suite notamment à des accidents vasculaires cérébraux et des hémorragies. En outre, 31 % avaient un état mental altéré (confusion, inconscience prolongée…) et parfois une encéphalite, c’est-à-dire un gonflement des tissus cérébraux. Parmi ces derniers patients, dix ont développé une psychose.

Les symptômes neurologiques n’étaient pas nécessairement associés à des formes graves du COVID-19. Benedict Michael se rappelle de « jeunes gens dépourvus de tout facteur de risque classique qui ont fait des AVC, et de patients ayant vu leur état mental changer drastiquement sans que l’on puisse incriminer autre chose que le nouveau coronavirus ».

En juillet 2020, une étude similaire a compilé les cas détaillés de 43 personnes présentant des complications neurologiques dues au COVID-19. Certaines tendances se dessinent clairement, explique l’auteur principal, Michael Zandi, de l’University College, à Londres. Les effets neurologiques les plus courants sont les accidents vasculaires cérébraux et les encéphalites. Ces dernières dégénèrent parfois en une forme grave, l’encéphalomyélite aiguë disséminée, qui consiste en une inflammation auto-immune conduisant à la destruction des gaines de myéline des neurones du cerveau et de la moelle épinière. Les symptômes ressemblent à ceux de la sclérose en plaques. Des patients parmi les plus touchés sur ce front ne présentaient que des symptômes respiratoires légers. Chez eux, « les atteintes au cerveau forment le cœur de la maladie », résume Michael Zandi.

Dans la liste des complications moins courantes, on trouve des lésions des nerfs périphériques, typiques du syndrome de Guillain-Barré, et ce que Michael Zandi nomme « un méli-mélo de choses », comme l’anxiété et le stress post-traumatique. Des symptômes similaires ont été observés lors d’épidémies du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), également causés par des coronavirus. Toutefois, ces épidémies ayant eu moins d’ampleur, les données disponibles sont moins nombreuses.

Combien de cas ?

Les cliniciens ignorent à quel point ces effets neurologiques sont fréquents. Une étude a estimé leur prévalence en utilisant des données provenant d’autres coronavirus. Les symptômes affectant le système nerveux central sont apparus chez au moins 0,04 % et 0,2 % des personnes atteintes respectivement du SRAS et du MERS. Avec désormais 36 millions de cas confirmés de COVID-19 dans le monde, on en déduit qu’entre 15 000 et 70 000 personnes ont été concernées par des complications neurologiques.

Cependant, un problème majeur dans la quantification des cas est que les études cliniques se sont généralement concentrées sur les personnes atteintes du COVID-19 hospitalisées, souvent en soins intensifs. La prévalence des symptômes neurologiques dans ce groupe pourrait être « supérieure à 50 % », selon Fernanda De Felice, de l’université fédérale de Rio de Janeiro, au Brésil. Les informations sur ceux qui ont eu une maladie légère ou asymptomatique manquent. Ce déficit de données complique la compréhension des causes de ces symptômes neurologiques. Difficile également de se prononcer sur la persistance de ces effets : d’autres impacts sur la santé du Covid-19 durent des mois, et certains coronavirus ont laissé des individus vivre avec des symptômes pendant des années.

Infection ou inflammation ?

La question la plus urgente reste de savoir pourquoi le cerveau est affecté. Bien que le tableau clinique soit assez cohérent, les mécanismes sous-jacents ne sont pas encore clairs, déplore Fernanda De Felice. Or de la réponse dépendra le choix des bons traitements. « S’il s’agit d’une infection virale directe du système nerveux central, le remdesivir ou un autre antiviral seront appropriés, observe Benedict Michael. « Alors que si le virus n’est pas dans le système nerveux central, et peut même être éliminé de l’organisme, des thérapies anti-inflammatoires s’imposeront. »

Se tromper serait dangereux met en garde Benedict Michael. « Inutile de donner des antiviraux à quelqu’un n’abritant plus de virus. À l’inverse, prescrire des anti-inflammatoires à quelqu’un qui a un virus dans son cerveau présente des risques. »

Une chose est acquise, le SARS-CoV-2 peut infecter les neurones. L’équipe d’Alysson Muotri est spécialisée dans la fabrication d’« organoïdes », des tissus imitant en miniature des organes. Elle fabrique notamment des mini-cerveaux en incitant les cellules souches pluripotentes humaines à se différencier en neurones. Dans une prépublication, les biologistes ont avec ces outils montré que le SARS-CoV-2 infecte les neurones, en tue certains et réduit chez d’autres la formation de synapses. Les travaux d’Akiko Iwasaki, de l’université Yale, à New Haven, confirment cette hypothèse sur la base d’études là aussi d’organoïdes humains, mais également de cerveaux de souris et d’examen post mortem.

Mais comment le virus atteint-il le cerveau ? La perte de l’odorat étant un symptôme courant, le nerf olfactif constituerait-il une voie d’entrée. « Tout le monde s’est interrogé sur cette hypothèse », explique Benedict Michael, mais les preuves ne sont pas concluantes. Une équipe dirigée par Mary Fowkes, de l’école de médecine Icahn du Mont Sinaï, à New York, a autopsié 67 personnes décédées des suites de COVID-19. « Nous avons repéré le virus dans les cerveaux grâce à des microscopes électroniques », détaille Mary Fowkes. Mais les taux de virus étaient faibles quand ils n’étaient pas nuls. De plus, si le virus envahissait le nerf olfactif, la région cérébrale associée devrait être la première à être affectée. « Or nous ne voyons tout simplement pas le nouveau coronavirus dans le bulbe olfactif », précise Mary Fowkes. Au contraire, les infections dans le cerveau sont localisées et ont tendance à se regrouper autour des vaisseaux sanguins.

Benedict Michael en convient, le virus est beaucoup plus difficile à dénicher dans le cerveau que dans d’autres organes. Les tests PCR, pourtant très sensibles, échouent souvent à le mettre en évidence, et plusieurs études n’ont pas réussi à détecter de particules virales dans le liquide céphalorachidien qui entoure le cerveau et la moelle épinière. L’une des raisons de cette évanescence serait que le récepteur ACE2 via lequel le virus infecte les cellules est peu exprimé dans les cellules du cerveau.

« Les infections virales du système nerveux central semblent incroyablement rares », rappelle Benedict Michael. Un grand nombre des problèmes neurologiques observés par les cliniciens seraient donc probablement dus à la lutte du système immunitaire contre le virus. Mais peut-être pas dans tous les cas. En conséquence, les chercheurs devront identifier des biomarqueurs capables de distinguer entre une infection virale du cerveau et l’activité immunitaire. Cela implique davantage de recherches cliniques, d’autopsies et d’études physiologiques.

Fernanda De Felice prévoit avec ses collègues de suivre des patients qui se sont rétablis après des soins intensifs, et de créer une biobanque d’échantillons comprenant du liquide céphalorachidien. Selon Michael Zandi, des études similaires commencent à l’University College de Londres. S’y retrouver dans ces échantillons va sans doute durer des années.

Bien que les questions auxquelles s’intéressent ces biologistes soient soulevées lors de presque toutes les épidémies, le COVID-19 présente de nouveaux défis et de nouvelles opportunités, explique Benedict Michael, car « nous n’avons pas connu de pandémie de cette ampleur depuis 1918 ».

Source : https://www.pourlascience.fr/sd/medecine/les-degats-du-covid-19-sur-le-cerveau-20238.php

Publié dans COVID-19, Santé

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