Le regard du jour : Coup de colère sur le virus

Publié le par Les Echos via M.E.

Accuser les pouvoirs publics de tous les péchés du monde dans le retour de l'épidémie est un sport national ces jours-ci. C'est trop facile. La responsabilité est collective et il est urgent d'en prendre conscience. Le reconfinement et avec lui une deuxième catastrophe économique et sociale nous pendent au nez.

l fallait entendre les responsables sanitaires ce matin. « Il y a eu la perception depuis quelques mois que, soit la deuxième vague n'existait pas, soit que c'était une vaguelette. La situation est l'inverse : il est possible que la deuxième vague soit pire que la première » (Martin Hirsch, patron de l'AP-HP sur RTL). « Le virus circule plus qu'au printemps (…) On fait tout pour éviter un confinement général, local çà fait partie des options » (Arnaud Fontanet, chef épidémiologiste de l'Institut Pasteur, sur RMC).

Ce que nous avons sous les yeux n'est pas réjouissant, avec plus de 40.000 contaminations à la Covid-19 déclarées hier jeudi, un nouveau record. Santé Publique France a de son côté annoncé ce vendredi matin 764 décès sur la seule semaine dernière, et le nombre d'entrées en réanimation a été multiplié par cinq dans la catégorie des 65 ans et plus sur la même période. « Nous sommes proches de la situation de la mi-mars », résument ces experts publics qui n'ont jamais pêché par excès d'alarmisme depuis l'été.

Qui est responsable de cette situation ? Au-delà du facteur déterminant du refroidissement, disons-le tout net : c'est aujourd'hui une facilité d'accuser les autorités sanitaires et le gouvernement de la reprise d'une épidémie qui touche toute l'Europe. Oui, au printemps, ils ont failli (et peut-être sciemment menti, mais ce n'est pas sûr) sur les masques. Oui, il y a peut-être eu, au creux de l'été et au sommet de l'Etat, l'espoir vain que le pire était passé. Oui, il y a eu de la pagaille sur les tests. Oui, mi-septembre, il y a eu un retard à l'allumage de dix jours dans la réaction.

Mais enfin ! Les principaux coupables, ce sont tous ceux qui, sur les réseaux sociaux, devant les micros, sous l'oeil des caméras et sur les plateaux des chaînes d'infos en continu, ont passé tout le mois de septembre à minimiser le risque de deuxième vague. « Le virus est moins sérieux » ; « C'est une maladie sans malades » ; « Il suffit d'augmenter le nombre de lits de réanimation » ; « Aucune leçon n'a été tirée de la première vague ». Certains médecins et commentateurs ont perdu de bonnes occasions de se taire.

A-t-on oublié le signal d'alerte de la Mayenne, qui a montré que le nombre de contaminations pouvait vite s'emballer ? A-t-on oublié les discours inquiets de Jean Castex et Olivier Véran au coeur du mois d'août à Montpellier, quand ils ont annoncé l'extension du port du masque ? Les coupables, ce sont aussi tous ces élus locaux qui ont passé leur temps à réclamer un pouvoir décisionnaire, mais qui dès qu'ils l'ont eu, ont minimisé les risques pour ne pas déplaire à leurs électeurs au plus près du terrain.

Les coupables, ce sont tous ceux qui accusent les pouvoirs publics d'être en retard sur l'épidémie, mais qui n'ont eu de cesse de contester les décisions prises dès qu'elles le sont. L'exemple le plus frappant concerne les restaurateurs : la France entière s'est transformée en avocate de cette profession qui vit certes un drame -c'est indubitable-, mais il faut savoir ce que l'on veut. Si les contraintes qui leur sont imposées sont le prix à payer pour éviter un nouvel arrêt total de l'économie, il n'y a pas à hésiter.

Les coupables, ce sont ceux qui vantent des modèles qui sont contestables. « A Stockholm, l'épidémie est plus forte que lors de la première vague. L'immunité collective acquise par l'infection n'existe donc pas outre que ce modèle a entrainé une mortalité 5 à 10 fois supérieure à celle des voisins », explique le Dr Gilbert Deray, courbe à l'appui.

Les coupables, ce sont enfin tous ceux, dans toutes les classes d'âge, qui pensent toujours et encore que le virus est moyennement grave : c'est évidemment exact dans la grande majorité des cas, mais ce qui compte avec les lois des grands nombres, c'est l'importance de la minorité et la façon dont elle peut -ou pas- être prise en charge. En réanimation en Ile-de-France, pour ne prendre que cette illustration, l'âge médian est de 62 ans : cela veut dire qu'on y trouve autant de patients qui ont moins de 62 ans qu'il y en a qui ont plus.

Nous avons maintenant, chacun d'entre nous, les moyens de nous protéger et de protéger les autres. 1,63 million de tests ont été réalisés entre les 12 et 18 octobre, avec des résultats arrivés en moins de 24 heures dans 52,4% des cas - et en moins de 48 heures dans 89% des cas. D'ici peu, les tests antigéniques compléteront par millions cet outil de diagnostic. Que faire de plus ? Mais encore faut-il s'isoler. Et il est encore préférable d'éviter les risques de contamination - et là, l'Etat n'y peut pas grand-chose.

Car le choix collectif fait jusqu'à maintenant, à l'inverse de l'Asie ou du contrôle social de certains pays européens, a été de laisser à chaque Français sa liberté et sa responsabilité : la CNAM, quand elle appelle les personnes malades, donne des conseils, elle n'impose strictement rien. Les croisements de fichiers restent limités pour identifier et tracer les malades - ce qui ne facilite pas la tâche des professionnels. Peu de sanctions sont finalement appliquées. Faudra-t-il le regretter si un reconfinement revient ?

Et faudra-t-il se poser cette question redoutable : trop de libertés aujourd'hui ne risque-t-il finalement pas de tuer la liberté ?

Source : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/coup-de-colere-sur-le-virus-1258649

L'auteur : Dominique Seux est journaliste économique, directeur délégué de la rédaction du journal Les Échos. Il est également, depuis 2008, chroniqueur puis éditorialiste économique dans Le 7/9, l'émission matinale d'information de France Inter, participant aussi à un débat hebdomadaire entre et .

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