Comment les sociétés s'adaptent aux bouleversements
Le nouvel ouvrage de l'anthropologue américain et auteur à succès Jared Diamond se penche sur la résilience des sociétés en période de crise. Et s'interroge sur la capacité d'adaptation à l'avenir de la société américaine fracturée.
C'est un ouvrage qui résonne de façon particulière avec l'actualité. Après s'être intéressé, il y a quinze ans,
aux causes de « l'effondrement » des civilisations , le biologiste et anthropologue américain Jared Diamond, chercheur reconnu et auteur à succès, s'est penché sur la façon dont les sociétés humaines vivent et s'adaptent à « un bouleversement ». Comment et pourquoi les sociétés ont-elles été résilientes par le passé à des moments précis de leur histoire, lors de tournants difficiles à aborder ? Impossible de ne pas penser au COVID-19 et à la pression que ce virus met sur notre façon de travailler, de consommer, de voyager et même de saluer l'autre et de lui sourire, bref, de vivre ensemble. Il n'en est pourtant pas question ici. Jared Diamond n'est pas éditorialiste et ne regarde que le passé . Enfin, pas tout à fait quand même parce qu'il ne peut s'empêcher d'écrire sur l'Amérique de Trump, des réseaux sociaux et de la radicalité politique. Un pays qui lui fait peur.
Comme dans son ouvrage « Effondrement » - devenu livre de chevet des « collapsologues » de tout poil, Nicolas Hulot en tête -, il prend un exemple précis par chapitre pour mieux le décortiquer. « Effondrement » étudiait l'île de Pâques, les Mayas, l'Islande ou encore les tribus indiennes du sud-ouest des Etats-Unis. Cette fois-ci, le scientifique étudie la Finlande en 1940 prise en étau entre l'URSS et l'Allemagne nazie, le Japon de l'ère Meiji face au danger que représente pour son indépendance la puissance occidentale, l'Allemagne qui se reconstruit en 1945 dans une société fracturée et quelques autres. Uniquement des pays dans lesquels l'Américain a vécu, sauf le Japon, mais il connaît bien l'archipel.
Pour lui, « le défi, pour les nations comme pour les individus qui traversent une crise, consiste à déterminer quelles parties de leur identité fonctionnent bien en l'état et ne nécessitent aucune modification, et lesquelles ne fonctionnent plus et doivent être modifiées ». Cette question du changement sélectif est essentielle, car ni un individu ni une société ne peuvent tout changer. Seules certaines caractéristiques culturelles ou d'organisation doivent l'être. Le tout, c'est de les choisir et c'est évidemment là la difficulté. Car il n'existe pas de recette universelle. C'est là, il faut l'avouer, une déception lorsqu'on lit l'ouvrage. Mais tout réfléchi, c'est certes moins confortable mais plus enrichissant.
Pas de solution miracle donc, mais une myriade de cas possibles dans lesquels Diamond essaie tout de même de nous orienter en dressant une liste d'une douzaine de caractéristiques permettant de juger de la résilience d'une société. Une sorte de grille de lecture de l'adaptation aux crises qui va de la capacité à mener une « autoévaluation nationale honnête » à « la reconnaissance qu'il est de la responsabilité de la nation d'agir » en passant par la « flexibilité nationale en fonction des situations ». C'est une logique quasi darwinienne, si l'on pense à la réflexion de l'explorateur du XIXe siècle pour qui « les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s'adaptent le mieux aux changements ». Il en est de même pour les sociétés.
Diamond met souvent l'accent sur le fait qu'une forte identité nationale est un pilier de la résilience des sociétés. Mais cette « identité nationale » ne se résume pas à une homogénéité de la population. Cela peut être un avantage, pour la Finlande quand elle résiste en 1940 à Staline, c'est aussi le cas pour le Japon à la fin du XIXe siècle qui se modernise pour garder son indépendance face aux potentiels colonisateurs occidentaux. Mais ce n'est pas vrai pour l'Australie dans les années 1960, lorsque le pays prend conscience que son avenir se joue plus dans l'Asie du Sud-Est que dans les faubourgs de Londres, qu'il est temps de couper le cordon ombilical avec la métropole et de mettre le cap sur le multiculturalisme car l'île-continent ne pourra pas rester blanche et anglaise pour toujours. Bref, l'identité nationale figée ne permet pas toujours de s'adapter et donc de survivre.
L'identité nationale à la Jared Diamond se rapproche de celle d'Ernest Renan, selon lequel « ce qui constitue une nation, ce n'est pas de parler la même langue, ou d'appartenir à un groupe ethnographique commun, c'est d'avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l'avenir ». C'est là où les Etats-Unis font peur à l'anthropologue. Les fractures sociales, économiques, culturelles, politiques de l'Oncle Sam lui font douter que les Américains veuillent « faire de grandes choses ensemble dans l'avenir ». Les Américains sont « de plus en plus polarisés et politiquement intransigeants » et « chaque parti politique devient de plus en plus homogène et extrême dans son idéologie ». Ce qui nourrit le « délitement de la culture du compromis politique », pourtant vital pour toute démocratie. « Il n'y a aucun moyen pour la Chine ou le Mexique de détruire les Etats-Unis. Nous seuls, Américains, pouvons nous détruire nous-mêmes », conclut-il. COVID ou pas COVID, en perdant de leur capacité de résilience, les Etats-Unis n'ont pas fini de hanter les nuits de Jared Diamond. Mais n'est-ce pas le cas de la plupart des sociétés occidentales aujourd'hui ?
Le livre : Ce livre est une étude comparative, narrative et exploratoire des crises et des changements sélectifs survenus au cours de nombreuses décennies dans sept nations modernes : la Finlande, le Japon, le Chili, l'Indonésie, l'Allemagne, l'Australie et les États-Unis.Les comparaisons historiques obligent, en effet, à poser des questions peu susceptibles de ressortir à l'étude d'un seul cas : pourquoi un certain type d'événement a-t-il produit un résultat singulier dans un pays et un très différent dans un autre ?L'étude s'organise en trois paires de chapitres, chacune portant sur un type différent de crise nationale. La première paire concerne des crises dans deux pays (la Finlande en 1940 et le Japon des années 1850) qui ont éclaté lors d'un bouleversement soudain provoqué par un choc extérieur au pays. La deuxième paire concerne également des crises qui ont éclaté soudainement, mais en raison d'explosions internes (le Chili en 1973 et l'Indonésie en 1965). La dernière paire décrit des crises qui n'ont pas éclaté d'un coup, mais se sont déployées progressivement (en Allemagne après 1945 et en Australie dans les années 1970), notamment en raison de tensions déclenchées par la Seconde Guerre mondiale.L'objectif exploratoire de Jared Diamond est de déterminer une douzaine de facteurs, hypothèses ou variables, destinés à être testés ultérieurement par des études quantitatives. Chemin faisant, la question est posée de savoir si les nations ont besoin de crises pour entreprendre de grands changements, et si les dirigeants produisent des effets décisifs sur l'histoire.Tout en respectant la volonté première de ne pas discuter d'une actualité trop proche qui, faute de distance et perspective, rendrait le propos rapidement obsolète, un Après-propos, propre à l'édition française, esquisse, en l'état des données au printemps 2020, une réflexion sur la pandémie du COVID-19.
Retrouver la biographie de Jared Mason Diamond ici : https://en.wikipedia.org/wiki/Jared_Diamond