Production d'hydrogène : une stratégie française pas très claire
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Paris s’apprête à investir plus de 7 milliards dans la production d’hydrogène décarboné. Ce projet industriel devrait surtout profiter aux raffineurs français. Explications.
Barbara Pompili l’avait annoncé, la semaine passée. Elle a tenu parole. Ce mardi 8 septembre, la ministre de la transition écologique et son collègue Bruno Le Maire (économie, industrie et relance) ont publié les grandes lignes de la stratégie française «pour le développement de l’hydrogène décarboné». Le pendant tricolore du plan allemand, présenté en juin, par Berlin.
Les grands chiffres étaient connus depuis quelques jours: la France consacrera 7,2 milliards d’euros au développement d’une filiale hydrogène bas carbone d’ici à 2030. Mieux: la moitié de ce budget pourrait être décaissée d’ici à 2024, se félicite Philippe Boucly, président de l’Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (Afhypac). à quoi servira tout cet argent? «à créer l’Airbus de l’hydrogène», s’enthousiasme Barbara Pompili. «à décarboner de grands secteurs industriels et à construire des filières d’avenir qui nous ouvrirons les chemins de la neutralité carbone», complète Bruno Le Maire. Plus concrètement?
Fruit d’une intense consultation des industriels, le programme tricolore n’est pas totalement écrit. Mais les grandes esquisses sont là. Pour ne pas se faire distancer par Berlin, Paris veut rapidement lancer un programme de Gigafactories d’électrolyseurs. Car, c’est bien sur cette technologie que mise Paris, au grand dam d’industriels ayant fait d’autres choix, à l’instar de Haffner Energy.
Le gouvernement de Jean Castex souhaite monter, avec l’administration d’Angela Merkel un projet important d’intérêt européen commun (PIEC), portant sur la réalisation en France, en Allemagne et dans d’autres pays de l’UE d’usines de production d’électrolyseurs de quelques centaines de MW de capacité chacune. Pour se faire, le gouvernement se dit prêt à aligner 1,5 milliard d’euros. Ce budget pourra soutenir d’autres «briques technologiques», telle la production de réservoirs ou de systèmes de transport et de distribution, concède toutefois Karine Vernier, directrice du programme énergie et économie circulaire du secrétariat général pour l’investissement (SGI). La clarté se dissipe.
Pour Guillaume Boudy, c’est pourtant clair. Les 2,9 milliards issus du plan de relance et du quatrième plan d’investissement d’avenir (PIA4) seront fléchés vers l’hydrogène lors de l’adoption du projet de loi de finances 2021, dans les prochaines semaines, précise le secrétaire général pour l’investissement. Le reste du budget sera alloué au cours des années suivantes, sans plus de précision.
A côté de cela, l’ADEME doit prochainement lancer deux appels à projets. L’un destiné à faire émerger des techniques de transports d’hydrogène et des technologies applicables aux transports et à la production d’énergie. Autre idée: constituer des consortiums réunissant collectivités et entreprises pour favoriser l’usage de l’hydrogène en circuit court. Ces deux appels à projets disposent de 625 millions de budget pour la période 2020-2023. Parallèlement, l’agence nationale pour la recherche (ANR) doit initier, dans les prochaines semaines, un programme prioritaire de recherche, doté de 65 M€. Les bénéficiaires de ces crédits devront faire progresser les technologies de piles à combustible, de réservoirs et développer de nouveaux matériaux pour les … électrolyseurs.
L’objectif visé par le gouvernement est mettre en service une flotte d’électrolyseurs dont la puissance cumulée pourrait atteindre 6,5 GW en 2030. Pour quoi faire? A entendre les conseillers de plusieurs ministres, il s’agit de décarboner une partie de la production tricolore d’hydrogène.
Dans les faits, la stratégie française est surtout un formidable cadeau fait aux pétroliers. Les raffineurs produisent 900.000 tonnes d’hydrogène à partir du vaporéformage du gaz naturel, ce qui contribue au relâchement de 9 millions de tonnes de CO2 par an. D’ici 10 ans, le gouvernement et les industriels estiment possible de «verdir» la production d’environ 600.000 tonnes d’hydrogène. Ce qui réduirait le bilan carbone français de 6 Mt CO2 par an. Est-ce rentable ?
Sans subvention, la production d’hydrogène bas carbone ou décarboné n’est pas compétitive. En sortie de raffinerie, le kilo d’hydrogène vaut de 1 à 2 euros, contre 4 à 9 euros par kg d’hydrogène décarboné. Raison pour laquelle Paris fourbit déjà son arsenal de subventions. La direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) met la dernière main à un système de garanties d’origine pour la production d’hydrogène renouvelable, bas carbone, ainsi que pour l’hydrogène coproduit en raffinerie.
Les services de Laurent Michel (DGEC) élaborent aussi un mécanisme de soutien à la production, dont on peut imaginer qu’il s’approchera de celui compensant les surcoûts (par rapport au prix du marché) de la production d’électricité éolienne. Régime de l’aide d’Etat oblige, ces deux mécanismes devraient être notifiés, l’an prochain, à la Commission. «Et en général, il faut bien attendre un an la décision de la Commission», rappelle le directeur général de l’énergie et du climat. Il est donc peu probable que ces subventions soient appliquées avant 2023. Ce qui n’est pas pour réjouir les industriels. «En terme de délai, le gouvernement est à côté de la plaque», s’irrite un responsable de McPhy, l’un des rares producteurs français d’électrolyseurs.
Qu’à cela ne tienne, l’Hôtel de Roquelaure s’apprête à interpréter la directive énergies renouvelable n°2 en cours de transcription en droit français. Ce texte impose un objectif contraignant de 14% de carburants renouvelables aux fournisseurs. Or, la substitution de l’hydrogène gris, utilisé dans les raffineries pour désulfurer les supercarburants et autres gazoles, par de l’hydrogène décarboné (produit par les électrolyseurs donc) est considérée comme une utilisation d’énergies renouvelables. Ce qui est un chouia tendancieux puisque les énergies renouvelables ne produisent, en moyenne, «que» le quart du courant produit dans l’Hexagone. Mieux: la directive «RED II» pourrait aussi favoriser la production de méthanol de synthèse, à partir d’hydrogène décarboné et de … carburants pétroliers.
Dit autrement, Paris veut utiliser de l’argent public (en provenance à 40% du Green Deal européen) pour produire de faux biocarburants à partir d’hydrogène essentiellement généré par de l’électricité nucléaire. Si le climat y gagnera, peut-être, quelques millions de tonnes de carbone, la confiance en les concepteurs de ce Meccano industriel y perdra sûrement.