Des résidus de pesticides cancérogènes dans l’eau du robinet

Publié le par Le Monde via M.E.

L’association Générations futures rend public, mercredi, un rapport sur la toxicité des substances phytosanitaires décelées lors des contrôles des agences sanitaires.

Le ministère de la santé l’affirme sur son site : « L’eau du robinet est en France l’aliment le plus contrôlé ». Depuis son captage dans le milieu naturel jusqu’au consommateur, elle fait l’objet de multiples analyses, bactériologiques, radiologiques et vis-à-vis des pesticides.

Mais cette vigilance ne la met pas pour autant à l’abri de toute contamination. La ressource hydrique pâtit de l’augmentation constante des quantités de substances phytosanitaires disséminées dans l’environnement, dans les rivières et les lacs en surface et dans nombre de captages, jusqu’à apparaître dans les réseaux de distribution.

Générations futures a fait appel à un ingénieur spécialiste du traitement des données pour se plonger dans les douze millions d’analyses de laboratoires menées en 2019 à partir de plus de 273 000 prélèvements à la demande des autorités chargées du contrôle sanitaire.

De cette masse de résultats depuis peu mise en ligne par le gouvernement de façon accessible pour le public, l’association tire un rapport, rendu public mercredi 17 juin, au titre sobre et inquiétant : Des pesticides perturbateurs endocriniens cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques, dans l’eau du robinet en France en 2019.

Les herbicides surreprésentés

Sur la totalité des prélèvements, les rapporteurs ont retenu les 9,3 % qui comportent la recherche d’au moins un pesticide et ils se sont concentrés sur ceux − plus d’un tiers −, qui en ont effectivement trouvé à un niveau décelable. Dès lors, l’objectif de l’enquête était « d’établir un état des lieux en fonction de l’occurrence et de la toxicité » des 185 substances phytosanitaires décelées au moins une fois.

Simazine, atrazine : les herbicides y sont surreprésentés. Champion toutes catégories, le métolachlore, suspecté d’agir comme perturbateur endocrinien (PE), interdit en France depuis 2003, est repéré au moins 4 250 fois avec ses métabolites. Les rapporteurs ont utilisé la liste de l’Union européenne (UE) sur les pesticides pour déterminer ceux considérés comme cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), et ont eu recours à la base de données TEDX qui regroupe plus de 1 700 substances soupçonnées d’être des PE.

Les résidus de pesticides multipliés par leur occurrence donnent un total de 15 990 quantifications. Selon ce rapport, 6 151 d’entre elles sont considérées comme CMR par l’UE (soit 38,5 %) ; 9 088 (soit 56,8 %) sont suspectées d’être des PE ; et 12 551 ont l’une ou l’autre propriété ou les deux à la fois (78,5 %). Ainsi, 47 molécules entrant dans la composition de ces phytosanitaires et décelées au moins une fois se classent comme CMR (25,4 %), 91 molécules sont suspectées de pouvoir interférer avec notre système hormonal (49,2 %), et 105 entrent dans l’une ou l’autre catégorie, voire les deux (56,8 %).

Pas de seuil de dangerosité

« Cela vaudrait la peine de connaître les quantités de pesticides, mais cela relève de la responsabilité des fournisseurs d’eau et des autorités sanitaires. Dans l’ensemble, ce travail est excellent et fait un petit peu peur, observe la célèbre endocrinologue Barbara Demeneix (Muséum national d’histoire naturelle). J’ai été surprise par le nombre d’herbicides interdits depuis des années que l’on retrouve encore. Le métolachlore en particulier a été remplacé par une substance proche, le S-métolachlore qui est aussi un potentiel PE. L’Europe devrait imposer que les utilisations de pesticides soient déclarées afin de permettre aux chercheurs de travailler sur leurs effets. C’est comme cela qu’en Californie a été établi l’impact de certains organosphosphorés sur la baisse du quotient intellectuel. »

En France, les concentrations maximales de résidus de produits phytosanitaires dans l’eau du robinet admises par la réglementation sont nettement plus basses que celles des fruits et légumes. Cependant, comme « les effets à long terme sur la santé d’une exposition à de faibles doses de pesticides sont difficiles à évaluer », selon le site du ministère de la santé, il n’existe pas de seuil de dangerosité défini pour chacun d’eux, mais une limite de qualité établie par précaution pour l’ensemble. Celle-ci est fixée à 0,1 microgramme par litre (µg/L) pour la quasi-totalité de ces substances et à 0,5 µg/L pour le total des pesticides quantifiés.

« Ces limites ne sont pas fondées sur une approche toxicologique (à l’exception de quatre substances) et n’ont donc pas de signification sanitaire ; elles ont pour objectif de réduire la présence de ces composés au plus bas niveau de concentration possible », précise le ministère. Dans son dernier bilan annuel, il rapporte que la proportion de personnes alimentées par une eau respectant en permanence les limites de qualité pour les pesticides s’élevait à 90,6 % en 2018, en baisse par rapport à 2017 (93,4 %).

Urgence d’obtenir une harmonisation

Faut-il dès lors se ruer sur les eaux en bouteilles ? « Ce ne serait pas une solution, répond François Veillerette, directeur de Générations futures. Cela entraînerait plus de plastique qui peut migrer dans l’eau , plus de transport… De toute façon, d’ici à quelques années, les pesticides devraient atteindre les nappes souterraines à leur tour. Il est urgent en revanche d’obtenir une harmonisation du choix des molécules ciblées lors des contrôles et des méthodes d’analyse utilisées dans les laboratoires agréés. »

En effet, compte tenu du grand nombre de pesticides autorisés ou de ceux l’ayant été mais qui persistent dans l’environnement et du coût des analyses, chaque agence régionale de santé établit sa propre liste des substances à traquer, en fonction des contextes locaux plus ou moins marqués par l’agriculture intensive, des quantités de pesticides vendues sur place, du nombre de foyers desservis et d’autres critères « sans réelle transparence », selon Générations futures. 

Ainsi l’Aisne fait procéder à l’analyse de 10,5 pesticides en moyenne par prélèvement, quand le Var en demande 590 ! Et si ce même département picard trouve neuf résidus quantifiés tandis que son voisin l’Oise en détecte 252, alors que tous deux se caractérisent par des grandes cultures intensives, c’est probablement que leurs ciblages de molécules diffèrent radicalement. Dans ces conditions, le risque est grand d’obtenir des « résultats faussement rassurants pour certains départements », souligne le rapport. « Cela pose un problème d’égalité entre les territoires, », estime François Veillerette.

Cependant, la demande la plus urgente de son association est sans surprise qu’une « politique efficace de réduction des pesticides soit enfin appliquée ».

 

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