Covid-19 : « Les parents ont été la source de l'infection de leurs enfants dans de nombreux cas »

Publié le par Le Point via M.E.

De nouvelles données de l'Institut Pasteur suggèrent que les enfants transmettent très peu le virus. Les explications d'Arnaud Fontanet, coordinateur de l'étude.

Depuis le lundi 22 juin, les enfants sont retournés « de manière obligatoire » dans les écoles et les collèges, comme l'a annoncé le président de la République, Emmanuel Macron. Dans les établissements scolaires, le protocole sanitaire a été allégé avec des règles de distanciation physique « moins contraignantes », a, d'emblée, précisé le ministre de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer. C'est dans ce contexte que l'lnstitut Pasteur rend publique sa première étude sur les risques de transmission du COVID-19 dans les écoles primaires (publiée sur le site de préprint MedRxiv et non encore validée par les pairs).

Réalisée dans la ville de Crépy-en-Valois dans l'Oise, siège de l'un des premiers foyers épidémiques de COVID-19 identifiés en France, elle se conclut sur des notes plutôt rassurantes qui méritent d'être scrutées à la loupe. Alors que parents et enseignants sont tous censés reprendre le chemin de l'école avant la coupure des grandes vacances et la grande rentrée de septembre, revue de détail sur les premiers enseignements, mais aussi les limites de cette étude, avec celui qui l'a coordonnée, le professeur Arnaud Fontanet, directeur de l'unité d'épidémiologie des maladies émergentes (Institut Pasteur et CNAM) et membre du conseil scientifique.

Le Point : Quelles sont les principales conclusions de votre étude portant sur plus de 1 300 adultes et enfants ayant fréquenté six écoles primaires de Crépy-en-Valois ?

Pr Arnaud Fontanet : À la fin du mois d'avril, au moment où nous avons effectué les tests sérologiques, 10,4 % de la population étudiée avaient été infectées par le virus SARS-Cov2, soit 139 personnes sur les 1 340 adultes et enfants inclus dans l'étude. La proportion de cas d'infection était de 8,8 % pour les élèves de 6 à 11 ans. Les enseignants ont également été peu touchés, puisqu'il n'y a eu que trois cas positifs parmi les 42 testés (7,1 %). Pour les personnels non enseignants, la proportion d'infection n'a été que d'un cas sur 28 (3,6 %).

Ces taux d'infections sont bien inférieurs à ceux que vous avez observés dans le lycée de Crépy-en-Valois, où travaillait un enseignant décédé fin février révélant l'épisode épidémique passé inaperçu jusqu'alors…

Oui, c'est à la fois très net et très surprenant. Dans une étude précédente, nous avons en effet montré qu'à la même période le virus avait circulé beaucoup plus intensément dans le lycée, où 38 % des lycéens, 43 % des enseignants et 59 % du personnel non enseignant étaient infectés. L'épidémie y a donc flambé, avec une courbe ascendante du nombre des cas qui s'est nettement cassée après la fermeture de l'établissement pour les vacances scolaires le 14 février. À l'inverse, dans les écoles primaires, nous constatons, avec cette nouvelle étude, que les occasions d'introduction du virus – avec le passage en classe d'enfants malades – n'ont pas été suivies d'effet. La très grande majorité des infections chez les enfants se sont produites après le 14 février lorsqu'ils étaient confinés avec leurs familles. Globalement, dans notre étude, les parents des élèves infectés sont largement plus souvent touchés par le COVID-19 que les autres. Ils sont 61 % dans les familles où un enfant a eu le COVID, contre moins de 7 % dans les autres foyers. Ce qui nous permet de penser que les parents ont été la source de l'infection de leurs enfants dans de nombreux cas.

Comment, dans votre enquête, parvenez-vous à exclure les écoles du processus de transmission de l'infection ?

Dans notre étude, nous avons repéré trois épisodes intéressants d'introduction probable du COVID-19, dans trois écoles différentes, autour desquelles nous avons mené une investigation épidémiologique plus poussée. Nous nous sommes particulièrement intéressés à trois enfants sérologiquement positifs, qui ont présenté des symptômes du COVID-19 avant la fermeture des établissements le 14 février. Dans les trois cas, un ou plusieurs membres de leurs familles, positifs au test, avaient également souffert, au même moment, de symptômes très caractéristiques de la maladie, comme la perte de l'odorat. Il ne nous manque qu'une seule indication, c'est la période pendant laquelle ces enfants symptomatiques ont fréquenté les établissements avant que leurs parents ne décident de les garder à la maison. C'est une limite pour nos observations, mais comme on sait qu'il existe une possibilité de transmission en moyenne dans les deux jours précédant les premiers signes de la maladie, ces trois élèves ont donc dû passer quelques journées au milieu de leurs camarades et du personnel, alors qu'ils étaient déjà contagieux. Résultat de ces occasions de transmission ? Aucun cas secondaire n'a été relevé dans les établissements fréquentés par les trois élèves. Nos résultats suggèrent donc que les enfants âgés de 6 à 11 ans ne transmettent pas l'infection ni à leurs camarades ni aux enseignants ou aux autres membres du personnel des écoles.

"Vraisemblablement, plus de la moitié des enfants infectés sont asymptomatiques"

Vos résultats convergent-ils avec ceux d'autres études déjà réalisées sur les enfants ?

Ils sont cohérents avec les données obtenues par une équipe australienne qui a passé une quinzaine d'écoles primaires au crible et où la seule transmission secondaire observée est celle d'un enseignant vers un élève. Cela correspond également à la situation observée lors du premier foyer épidémique dans les Alpes françaises, aux Contamines-Montjoie, où un enfant de 9 ans, avec des symptômes, a fréquenté trois écoles différentes sans y infecter personne. Évidemment, ces études restent encore rares, et toutes ces observations, y compris les nôtres, devront être confirmées par d'autres avant de pouvoir véritablement conclure.

Le nombre d'enfants ne présentant aucun symptôme est-il important ?

Il est d'au moins 41 % parmi les jeunes participants à notre étude. C'est une estimation basse. Vraisemblablement, plus de la moitié des enfants infectés sont asymptomatiques. Ce qu'il faut également retenir de nos travaux, c'est la confirmation que les enfants présentent des formes mineures de la maladie. Je dirais même qu'il s'agit de formes très « bâtardes », car elles se manifestent par des symptômes peu spécifiques. Quand nous avons comparé l'état de santé des enfants dont on sait désormais qu'ils ont eu le Covid-19 en février avec celui des autres enfants qui ont eu des symptômes provoqués par une autre infection saisonnière, les seuls signes un peu spécifiques ont été la diarrhée et la fatigue.

"L'essentiel, c'est aussi de renforcer davantage la surveillance épidémiologique pour être capable de détecter et de suivre les cas très vite dans et autour des écoles. "

Donc si tous les enfants rentrent à l'école, il n'y a pas de problème ?

Je le redis, les enfants de moins de dix ans sont moins à risque que les adultes, mais le risque n'est pas nul. De mon point de vue, il faut donc garder au moins une des deux options : soit la distance physique, soit le port du masque, les deux étant complexes à maintenir chez les plus jeunes. L'autre souci, ce sont les espaces où l'air n'est pas souvent renouvelé. On sait que l'espace confiné est un point commun à tous les foyers épidémiques, comme ceux des abattoirs ou des foyers de travailleurs. Pour l'instant, avec les beaux jours, ce n'est pas un problème, on peut toujours ouvrir les fenêtres des classes. Le problème sera plus prégnant à la rentrée quand il faudra trouver une solution pour aérer très souvent les lieux. L'essentiel, c'est aussi de renforcer davantage la surveillance épidémiologique pour être capable de détecter et de suivre les cas très vite dans et autour des écoles. Mais encore une fois, ce ne sont pas les plus jeunes qui sont les plus à risque.

Avez-vous subi des pressions pour rendre vos résultats publics au plus vite, avant la réouverture des écoles lundi prochain ?

Non. Évidemment, dans le contexte actuel, on ne peut pas rester « assis » sur ce genre de données pendant très longtemps. La question de la réouverture totale ou partielle des écoles est brûlante, mais il n'y a pas eu de pressions extérieures. Nous avons dû travailler dans l'urgence, et la pression était celle que nous, chercheurs, nous nous appliquions à nous-mêmes. C'est d'ailleurs le cas dans tous les domaines de recherche qui tournent autour du Covid-19. Donc, nous avons choisi de mettre nos données à disposition des autres équipes sur un site spécialisé en prépublication médicale, en attendant que notre article soit validé par un comité de lecture composé d'experts et publié dans un journal scientifique. Ce qui est la voie classique de validation des recherches.

Source : https://www.lepoint.fr/sante/covid-19-les-parents-ont-ete-la-source-de-l-infection-de-leurs-enfants-dans-de-nombreux-cas-23-06-2020-2381265_40.php