Tabagisme et COVID-19 : que montrent les publications scientifiques ?
Le tabagisme est-il un facteur de risque de développer le COVID-19 ? La nicotine pourrait-elle avoir des effets protecteurs ? Si ces questions font l’objet de nombreux articles de presse, le lien entre la maladie et le fait de fumer est loin d’être clair.
Les conclusions des publications scientifiques sur le sujet s’appuient sur des données limitées comme l’indique une revue de littérature publiée dans le journal Tobacco Induced Diseases. Globalement, ces résultats sont en faveur d’un risque de développer une forme grave de COVID-19 augmenté chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs, mais quelques travaux contradictoires ont été rapportés.
Depuis le début de l’épidémie, plusieurs études décrivant le profil clinique et épidémiologique de patients positifs au COVID-19, en s’intéressant notamment à leur statut de fumeur, ont été publiées. Les conclusions de ces travaux, qui portent souvent sur un nombre restreint d’individus, sont dans l’ensemble affaiblies par l’absence de définition claire, bien contrôlée et homogène d’une publication à l’autre sur ce qui définit un « fumeur ». À partir de quelle consommation entre-t-on dans cette catégorie ? Et quid des anciens fumeurs ? Ces distinctions sont rarement faites, et compliquent donc l’analyse des résultats présentés dans ces études. De plus, celles-ci ne s’intéressent pas toujours aux mêmes « issues » pour les patients : certaines se penchent plutôt sur les facteurs associés au décès, d’autres sur ceux associés à une forme sévère de la maladie ou à une réanimation lourde. Cela les rend difficilement comparables.
L’argument selon lequel fumer ne serait pas un facteur de risque de développer une forme grave de COVID-19, et aurait même des vertus protectrices, s’appuie principalement sur des études qui constatent un taux particulièrement bas de fumeurs chez les patients en réanimation atteints du COVID-19. Un exemple parmi d’autres : une méta-analyse en preprint a été particulièrement diffusée pour soutenir cet argument. Elle s’appuie sur 13 études menées sur des patients hospitalisés en Chine. En prenant en compte les données qui en sont issues, les auteurs constatent qu’entre 1,4 % et 12,6 % des patients en réanimation sont « fumeurs », pour une prévalence tabagique de près de 27 % en Chine dans la population générale.
De tels chiffres sont à manier avec précaution. Pour pouvoir donner un sens à la comparaison, tout le problème repose sur le choix du groupe auquel on compare la proportion de fumeurs. Ici, la prévalence du nombre de fumeurs au sein de la population générale et la prévalence de fumeurs dans l’étude sont établies à partir de méthodologies et de définitions de la consommation de tabac différentes. Ces deux groupes peuvent donc difficilement être comparés. Par ailleurs, cette prévalence plus faible de fumeurs chez les patients en réanimation doit être analysée à la lumière d’autres facteurs sociodémographiques, et notamment en fonction de l’âge des patients. Ainsi, chez les personnes âgées, la prévalence de fumeurs tend à être inférieure à la prévalence de fumeurs dans la population générale. Or, la plupart des patients hospitalisés pour formes graves de COVID-19 sont des personnes âgées, principalement des hommes. Il est donc difficile de conclure de cette faible proportion de fumeurs en réanimation que fumer pourrait conférer une protection contre la maladie à l’ensemble de la population.
D’autres études mettent au contraire en évidence que fumer pourrait être associé à un risque plus élevé de développer une forme grave de la maladie. Ainsi, dans une étude publiée dans le New England Journal of Medicine portant sur des patients chinois hospitalisés, le pourcentage de fumeurs et d’anciens fumeurs était plus élevé parmi les cas sévères de COVID-19 (respectivement 17 % et 5 %) que parmi les cas non sévères (respectivement 12 % et 1 %). De plus, lorsqu’on s’intéresse à un critère de gravité qui combine prise en charge en soins intensifs, ventilation assistée ou décès, le pourcentage de fumeurs dans cette catégorie est de 25,8 %, alors qu’il n’est que de 11,8 % chez ceux qui ne présentent pas ce critère de gravité. Si là encore un travail pour mieux contrôler les définitions utilisées est nécessaire, ces résultats indiquent bien que l’association entre tabagisme et Covid-19 n’est pas si simple à démêler. À noter que les chiffres concernant le tabagisme sont d’ailleurs donnés dans cette étude dans un tableau sans être commentés, ni discutés par les auteurs eux-mêmes.
Une étude française publiée en preprint le 21 avril a tenté de mieux prendre en compte les facteurs confondants identifiés dans les publications antérieures. Suggérant que les fumeurs actifs pourraient, dans une certaine mesure, être protégés contre l’infection par SARS-CoV-2, l’étude a ouvert des pistes de réflexion sur les mécanismes biologiques en jeu, en particulier l’hypothèse que l’infection ferait intervenir le récepteur nicotinique de l’acétylcholine. Des études cliniques pour évaluer l’impact thérapeutique d’agents modulateurs du récepteur nicotinique sur l’infection par SARS-CoV-2 ont été lancées. Néanmoins, ces résultats doivent avant tout être encore approfondis, les populations étudiées mieux définies, et l’étude soumise à une relecture par les pairs.
Enfin, il est important de souligner que les facteurs de risques établis de sévérité du Covid-19, tels que l’obésité, les maladies cardiovasculaires, les pathologies respiratoires chroniques ou le diabète sont plus fréquents chez les fumeurs, comme le rappelle une récente revue de littérature publiée dans Nicotine and Tobacco Research. Les patients ayant des maladies inflammatoires chroniques des bronches comme la bronchopneumopathie chronique obstructive (dont le tabagisme est la principale cause) sont très vulnérables au COVID-19. Se tourner vers la cigarette pour prévenir le développement de la maladie n’est donc pas indiqué et l’arrêt du tabac chez les patients présentant des comorbidités est une priorité.
Texte réalisé avec les chercheurs INSERM Raphaëlle Varraso et Alexis Elbaz (unité INSERM 1018, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations)
Source : https://presse.inserm.fr/tabagisme-et-covid-19-que-montrent-les-publications-scientifiques-2/39249/