Réflexion sur la ville résiliente face à la pandémie et au changement climatique (1ère partie)
Comment le coronavirus va changer le visage des grandes villes : La crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 pourrait bousculer notre conception de l'urbanisme. Elle interroge sur la densité urbaine, le partage de l'espace, la place de la nature. La révolution du télétravail induite par le confinement pourrait aussi favoriser l'activité hors des grandes métropoles.
La crise sanitaire que nous traversons actuellement va-t-elle bousculer notre conception de l'urbanisme, mettre à mal l'ultra-domination de nos grandes métropoles et nous amener à repenser la ville ? L'expérience inédite du confinement prolongé que sont en train de vivre les Français laissera en tout cas des traces, estiment plusieurs experts. Elle a remis en avant l'importance du cadre de vie et de l'espace dont chacun dispose dans son foyer. « La vague de départs des Franciliens [pour vivre leur confinement en province, NDLR] en est une parfaite illustration », estime François Rieussec, le président de l'Union nationale des aménageurs (UNAM). Il ajoute que cette crise a « fait resurgir la question de notre relation à la nature. Nous avons besoin de la présence de verdure, d'arbres, c'est presque une question de biologie humaine ! » estime-t-il.
La pandémie due au coronavirus interroge encore sur la densité urbaine, puisque « clairement, l'hyperdensité est un vecteur de contamination », poursuit le président de l'UNAM. « C'est une maladie des grandes villes, des zones urbaines », faisait d'ailleurs récemment remarquer Jean-François Delfraissy, le président du conseil scientifique COVID-19. « La réponse la plus simple consiste à dire que c'est dans les grandes villes qu'il y a le plus de monde et donc le plus de contacts. […] Mais il y a peut-être autre chose », nuançait-il cependant.
« Le débat sur la densité, qui avait déjà surgi avant les élections municipales, certains habitants des grandes métropoles dénonçant la bétonisation dans leur commune, se renforce avec la crise sanitaire », estime également Jean-Claude Driant, professeur à l'Ecole d'urbanisme de Paris. A rebours du discours montant, ces dernières années, d'une nécessité de densifier les villes pour répondre à la crise du logement et lutter contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols . « Ce dogme est en train de se retourner. On prend conscience que la ville dense n'est pas forcément souhaitable pour tout le monde », poursuit-il.
« Cela ne signifie pas qu'il ne faut plus construire de logements, ou construire des maisons isolées, étalées dans la campagne. Il faut un urbanisme compact mieux maîtrisé, qui respecte la forme urbaine. Avec des espaces verts, des trottoirs confortables, sur lesquels on puisse passer avec une poussette, un fauteuil roulant ou un chariot de courses, des places agréablement aménagées. Et aussi des équipements - écoles, commerces, offre culturelle - qui fassent qu'on ait envie d'habiter là », poursuit-il. Il souligne cependant que « la ville existante ne va pas se transformer d'un coup de baguette magique. Les changements engagés seront très lents à mettre en place ».
« Dans l'Histoire, d'autres crises sanitaires ont déjà conduit à modifier la forme urbaine, rappelle Yannick Hascoët, géographe et Maître de Conférences à l'Université d'Avignon. Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, la question de la désinfection est posée et se traduit par le pavage des rues, puis par la création de trottoirs. Au XIXe, des travaux comme ceux du baron Haussmann se font au nom du développement de l'hygiénisme, poursuit-il. La crise du coronavirus n'entraînera sans doute pas de changements aussi radicaux, estime-t-il. Mais elle révèle les fragilités urbaines contemporaines. »
Cette crise « va, bien sûr, entraîner des changements, mais ils concerneront davantage la façon dont nous utilisons les villes que leur conception », considère pour sa part Carlo Ratti, architecte et ingénieur, chercheur au MIT (Massachusetts Institute of Technology) . Il note que « la dernière grande pandémie, la grippe espagnole de 1918, a été immédiatement suivie dans les années 1920, les Années folles, par le triomphe de la vie urbaine partout dans le monde. Les villes ont toujours montré qu'elles étaient assez résilientes ».
Selon Yannick Hascoët, cet épisode souligne également que « la ville dans laquelle nous évoluons est peut-être encore trop faite pour la voiture. Et que la place accordée aux modes de mobilité doux apparaît trop faible ». Certaines villes développent aujourd'hui des pistes cyclables éphémères , sur le principe de « l'urbanisme tactique ». Il s'agit aussi de répondre aux contraintes de distanciation sociale, complexes à mettre en oeuvre dans les transports en commun.
Yannick Hascoët anticipe encore une « demande de nature très forte dans nos villes. Nous faisons en ce moment l'expérience de villes plus douces, plus respirables, plus calmes. Cela va travailler nos attentes », estime-t-il. Il pense notamment que cette crise, qui « nourrit des angoisses autour de la mondialisation de nos économies et de nos systèmes agricoles », pourrait donner un « nouveau souffle » à l'agriculture urbaine. Accentuant la tendance déjà à l'oeuvre visant à rétablir des circuits courts dans l'approvisionnement alimentaire. Les toits des immeubles pourraient être investis.
« Nous avons besoin dans les métropoles de construire des bâtiments qui soient résilients, bas carbone, offrent une bonne qualité de l'air, proposent des terrasses ou des jardins partagés… et soient financièrement accessibles », expose de son côté Alexandra François-Cuxac, la présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers, qui plaide pour des mécanismes incitatifs. Avec peut-être, dans les logements, de nouveaux espaces dédiés au télétravail.
Pour François Rieussec, la révolution du télétravail induite par l'épidémie du COVID-19 pourrait en outre contribuer à développer l'idée qu'il n'est plus forcément indispensable de vivre dans une grande ville surpeuplée et à proximité immédiate de son entreprise pour parvenir à faire son travail. « Le télétravail imposé par le confinement a fait pleinement prendre conscience que l'on pouvait profiter d'un cadre de vie agréable, tout en étant connecté et efficace », estime-t-il. « L'exode urbain » lié au confinement offre l'occasion aux citadins « d'expérimenter d'autres manières de vivre », observe aussi Yannick Hascoët. Il pourrait « amplifier chez certains ménages des attentes déjà en germe ».
Cependant, nombre d'emplois imposent une présence physique dans l'entreprise. Et le télétravail, lorsqu'il est possible, peut être socialement discriminant. « Il y a des inégalités sociales entre ceux qui peuvent télétravailler de manière confortable et ceux qui, par manque d'espace, n'en ont pas la possibilité », note Jean-Claude Driant. Ces dernières ne peuvent être ignorées.
Le président de l'UNAM estime encore que la crise sanitaire pourrait pousser à « relocaliser la production industrielle dans des zones aujourd'hui délaissées ». « Il apparaît actuellement anormal que nous n'ayons pas en France suffisamment de production de gants, de masques, ou de tout ce qui est médical, par exemple », note-t-il. Il veut croire que les villes moyennes auront « une carte à jouer, puisqu'elles proposent des logements à des prix abordables et sont capables de répondre aux besoins de ces industries ». Cela reste encore très théorique.