La prochaine pandémie est prévisible, rompons avec le déni de la crise écologique

Pour les scientifiques, d’autres épidémies se développeront à l'avenir. C’est une quasi-certitude si un changement radical des politiques en lien avec la biosphère n’a pas lieu.
Tribune. La pandémie du COVID-19 était inimaginable pour beaucoup. Elle a suscité les pires théories complotistes. Pour les chercheurs, elle était prévisible. Des études scientifiques, et même des livres disponibles dans les librairies de nos villes la laissaient prévoir. De nombreux laboratoires dans le monde consacrent leurs efforts à comprendre les dynamiques épidémiologiques des nouvelles maladies infectieuses dont le COVID-19. Seuls le moment du passage de la vague et son intensité restaient inconnus. Des pandémies ont déjà eu lieu. D’autres sont à prévoir. C’est une quasi-certitude.
L’épidémie actuelle appartient au groupe des zoonoses, maladies qui lient espèces sauvages, animaux domestiques et humains. Depuis plusieurs décennies, la destruction alarmante des milieux naturels provoque des zoonoses plus nombreuses et virulentes. L’humanité rencontre des espèces virales, microbiennes et parasitaires contre lesquelles elle est désarmée.
On estime que les 5 400 espèces de mammifères hébergent quelque 460 000 espèces de virus, dont l’immense majorité reste à décrire. Comme les autres agents pathogènes, ils participent du fonctionnement écologique en contrôlant l’accroissement de leurs espèces hôtes selon un principe d’équilibre écologique décrit par le grand naturaliste suédois Linné dans son Economie de la nature (1749) qui préfigurait l’étude des écosystèmes par l'«écologie».
L’immense majorité de ces espèces virales sont inoffensives pour l’homme. Mais même un faible pourcentage constitue déjà une réserve d’agresseurs phénoménale : depuis des années, nous avons affronté le VIH, Ebola, la dengue, Zika, le chikungunya, la fièvre de Lassa, le Sars, le H5N1, le H1N1, et beaucoup d’autres maladies émergentes qui, étant moins spectaculaires, ne font pas la une de l’actualité. Mais leur nombre est en constante augmentation depuis un demi-siècle et les épisodes épidémiques se font de plus en plus fréquents.
Les mammifères sauvages ne représentent plus aujourd’hui que 4% de la biomasse des mammifères terrestres, les humains et leurs animaux domestiques représentant les 96% restants. On pourrait croire que la menace diminue avec leur régression. Le contraire se produit du fait de l’artificialisation de plus de 80% des terres cultivables et de l’extension de l’agriculture, de l’élevage industriel, et de l’empreinte humaine sur l’entièreté de la planète : fragmentation des paysages, développement de monocultures intensives s’étendant à perte du vue en lieu et place des forêts tropicales. Le mal-développement et l’absence d’investissement en infrastructures de santé décentes dans les pays riches en biodiversité ne font qu’aggraver la crise sanitaire. Les virus bénéficient de l’immense réseau de diffusion que leur ouvrent les interconnexions entre leurs hôtes potentiels.
Aujourd’hui, ceux qui nous menacent tirent avantage de l’expansion des activités humaines et des animaux d’élevage partout dans le monde, facilitant les contacts avec la faune sauvage, provoquant des changements d’hôtes et leur ouvrant une immense niche écologique : les humains et leurs animaux. Ainsi un virus qui effectuait encore son cycle biologique dans une population de chauve-souris quelque part en Asie à l’automne 2019, émerge sur un marché chinois en décembre 2019 pour s’étendre à la terre entière en mars. Les pandémies qui nous frappent ne sont qu’une facette du changement planétaire. Celui-ci inclut aussi les perturbations climatiques provoquées par l’émission de gaz à effet de serre et l’extinction massive d’espèces.
L’humanité est confrontée aux conséquences de ses destructions, résultant de ses choix économiques et politiques. D’autres choix sont nécessaires pour la survie de notre espèce autant que pour la préservation des milieux naturels. Les réponses sont connues. Un organisme international, l’IPBES (plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques), propose aux gouvernements un bilan de nos connaissances scientifiques et empiriques sur les défis posés par la préservation de la biodiversité et sur les moyens d’y répondre. Il convient aux acteurs politiques de s’en saisir afin d’engager des politiques nationales et supranationales à la hauteur des enjeux. Elles doivent intégrer les conclusions du GIEC sur le dérèglement climatique.
Cette nécessité d’action politique et ses échecs passés posent immanquablement la question des verrous à lever dans la gouvernance de nos interactions avec la biosphère et la prise en compte de ses limites. Il est urgent de rompre avec le déni des menaces planétaires créées par les activités humaines et d’utiliser ce que nous savons pour mettre enfin en place les politiques de changement radical qui s’imposent.
Les premiers signataires : Michel Veuille (EPHE), Serge Morand (CNRS), Jean-Louis Martin (CEFE-NRS), Jean-Francois Guegan (INRAE), Adele Mennerat (Université de Bergen), Jean-François Silvain (FRB), Jean-Dominique Lebreton (CNRS), François Sarrazin (Sorbonne université), Patricia Gibert (INEE-CNRS), Marc-André Selosse (Muséum).
Voir La déclaration des écologues (chercheurs scientifiques en écologie) et tous les signataires
N.B. Cette pandémie COVID-19 est l'occasion ou jamais de discerner à quel point notre mode de vie destructeur de la nature, des écosystèmes et induisant pandémies, migrations climatiques, territoires invivables, famines et guerres n'est pas soutenable. Tout doit être remis à plat ! M.E.