Coronavirus : tirer les leçons de l’exemple allemand (réactualisé au 27 avril 2020)

Entre la France et l’Allemagne, la gestion de la crise et ses répercussions sur les populations révèlent un abîme.
C’est une habitude facilement explicable par la proximité et l’histoire : les Français ont coutume d’apprécier les performances de leur pays à l’aune de celles de l’Allemagne. La gestion comparée de la pandémie de COVID-19 et les répercussions de la crise sur les deux populations n’échappent pas à cette propension. Or le rapprochement des données enregistrées des deux côtés du Rhin révèle un abîme. Sanitaire d’abord : le coronavirus a causé la mort de près de 20 000 personnes en France contre 4 500 en Allemagne, pays pourtant plus peuplé (83 millions d’habitants contre 65). Fossé politique ensuite : 60 % des Allemands font confiance à leur exécutif, contre 34 % des Français, selon le baromètre OpinionWay-CEVIPOF.
La brutalité des chiffres masque des réalités complexes, tant du point de vue des institutions que du moment politique. Tandis que la chancelière Angela Merkel a abordé la crise sanitaire en position de force (majorité d’opinions favorables confortée par quinze années au pouvoir), le président Macron, lui, la subit, affaibli par le mouvement des « gilets jaunes » et la contestation de sa réforme des retraites. Mais le mode de gestion des deux dirigeants peut aussi expliquer le différentiel de confiance. A la rhétorique martiale et au confinement autoritaire choisis par Emmanuel Macron répond le style plus pragmatique et moins grandiloquent d’une Angela Merkel qui sait jouer de ses intonations maternelles comme de l’autorité que lui donne sa formation scientifique.
Annonce présidentielle à 20 heures dont les ministres apprennent en partie la teneur en même temps que les Français d’un côté, conférence de presse tenue après quatre heures de concertation avec les dirigeants des Länder allemands de l’autre. La différence réside peu dans la nature des mesures annoncées, finalement assez proches, et elle ne se limite pas au style personnel. La pratique des institutions suppose le consensus en Allemagne ; elle incite plutôt à la confrontation en France.
Le bilan plus lourd du COVID-19 en France pèse aussi probablement dans la défiance persistante à l’égard d’Emmanuel Macron. L’Allemagne partait pourtant avec des handicaps quand le virus a commencé à frapper l’Europe : une population âgée et des contacts intenses avec la Chine. A l’inverse, le fait d’être frappée plus tard que ses voisins, la jeunesse et la bonne santé des premières personnes contaminées, skieurs de retour d’Italie ou fêtards de carnaval, pesaient favorablement. Mais le pays a surtout su déployer très rapidement des tests qui ont permis de détecter et d’isoler les personnes contagieuses y compris asymptomatiques. Avec des dépenses de santé comparables à la France, mais deux fois plus de lits de réanimation et une souplesse liée aux structures fédérales, l’exemple allemand pose aussi des questions sur la bureaucratie et la centralisation du système français.
Moins touchée que ses voisins, l’Allemagne se trouve en position de redémarrer son économie plus rapidement. Alors que Paris prévoit une récession de 8 % en 2020, le repli anticipé par Berlin se limite à 4,2 %. Par la force de son service public, l’exemple allemand contredit les discours ultralibéraux. Par la puissance de son excédent budgétaire, l’Allemagne fait une leçon de rigueur. A l’évidence, les responsables politiques français ont maintes leçons à tirer de la résistance allemande au Covid-19. Mais leurs homologues allemands feraient fausse route s’ils abusaient de leur bonne performance pour mégoter sur leur solidarité à leurs partenaires de l’UE, en imaginant pouvoir se sortir de cette crise sanitaire planétaire au milieu d’une Europe à bout de souffle.

Pour la présentation hebdomadaire de l’évolution du COVID-19 en Allemagne, Jens Spahn a tenu à faire le déplacement. Le jeune et ambitieux ministre de la santé d’Angela Merkel voulait annoncer lui-même le tournant atteint par le pays dans l’évolution de la pandémie : au 17 avril, l’évolution du virus est « sous contrôle », a-t-il annoncé. La courbe des nouvelles infections confirme sa trajectoire déclinante. Désormais, le taux de reproduction du virus est de 0,7, ce qui signifie qu’un porteur du virus infecte moins d’une personne. Mercredi, Angela Merkel avait expliqué que l’objectif était de faire descendre ce chiffre sous la barre de 1.
Jens Spahn s’est félicité, vendredi matin, de l’« efficacité » de la stratégie adoptée par le gouvernement et de la « solidité » du système de santé allemand. « Les hôpitaux n’ont été saturés à aucun moment », a-t-il précisé. Bien plus : une grande partie du dispositif hospitalier d’urgence supplémentaire prévu pour faire face à la pandémie n’a pas été utilisée ; 10 000 lits de soins intensifs sont encore inoccupés, sur les 40 000 disponibles actuellement. Outre-Rhin, les hôpitaux n’ont pas connu de scène de surcharge dramatique des urgences : ce sont les médecins de ville et de campagne qui ont pris en charge le gros de l’épidémie. « Six patients sur sept atteints du Covid-19 ont été traités et accompagnés en ambulatoire, a précisé Jens Spahn. Les hôpitaux ont pu se concentrer sur les cas les plus difficiles. » Ce chiffre suggère que l’Allemagne a connu beaucoup moins de cas graves que d’autres pays. Au 17 avril, 4 103 personnes étaient décédées du Covid-19 outre-Rhin.
Le ministre a ouvert la voie à une réorganisation des hôpitaux, qui avaient repoussé leurs opérations non urgentes pour faire face à l’épidémie. Entre 25 % et 35 % des lits de soins intensifs devront être réservés aux cas de COVID-19. Cela répond aussi à un impératif de santé : beaucoup de patients se sont abstenus de se rendre à l’hôpital de peur d’être infectés par le virus. Le ministre a ainsi soulevé la question des victimes d’accidents cardiovasculaires, dont le nombre a fortement baissé depuis le début des mesures exceptionnelles. « Où sont-ils passés ? », s’est demandé M. Spahn, laissant ouverte la question des potentiels effets secondaires des mesures de confinement sur la santé de la population, hors coronavirus.
Malgré le net reflux de nouveaux cas, le gouvernement et les Länder excluent pour l’instant toute accélération du calendrier de déconfinement et de rétablissement des libertés. Le « desserrement » des mesures, annoncé mercredi par Angela Merkel, maintient jusqu’au 4 mai au moins – et parfois jusqu’à l’été – de fortes limitations de circulation et de réunion, notamment culturelles et religieuses. La réouverture des écoles et des crèches doit se faire très progressivement, selon les âges et les Länder, sans précision de date pour les plus jeunes, malgré une pression extrême sur les parents et les risques scolaires et psychosociaux pour les enfants.
« Il n’y a aucune garantie que la courbe des infections continue de s’aplanir, il reste des risques », a insisté le porte-parole du gouvernement, vendredi matin. Tant qu’aucun vaccin ou médicament n’est disponible, la lutte contre le virus reste la priorité politique. Le « retour à la normale » n’est même plus évoqué, et tous les membres du gouvernement parlent désormais de « nouvelle normalité », sans que ses contours et sa durée soient précisément définis. La majorité de la population semble approuver cette politique. Selon un sondage publié vendredi, les conservateurs de la CDU-CSU (Union chrétienne démocrate-Union chrétienne sociale) enregistrent 38 % d’opinions positives. Leur meilleur score depuis l’été 2017.
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