Combattre "l'orage de cytokines" touchant les malades du COVID-19
En surnombre lors d’un « orage de cytokines », ces molécules médiatrices de l’immunité seraient l’une des causes de l’aggravation de l’infection au SARS-CoV-2. Plusieurs traitements à l’étude visent à réguler cet excès de zèle.
Il est suspecté d’être la cause de l’hécatombe imputable au virus de la grippe espagnole (qui emporta de 20 millions à 50 millions, voire 100 millions d’individus) ainsi que du considérable, et anormal pour une grippe, taux de mortalité chez les jeunes adultes, constaté lors de cette pandémie qui frappa le monde à la fin de la Première Guerre mondiale. Il serait aussi déclenché par le virus H5N1 de la grippe d’origine aviaire (un peu plus de cinq cents cas dans les années 2000). Et il est au cœur de toutes les attentions pour comprendre les formes sévères de l’infection au SARS-CoV-2, le virus responsable de la pandémie actuelle de COVID-19. Il s’agit de l’« orage de cytokines », ou « tempête cytokinique » ou encore « choc cytokinique ». En peu de mots, le phénomène s’apparente à une hyperinflammation, un emballement aberrant du système immunitaire. Plusieurs pistes de traitements pour lutter contre le SARS-CoV-2 s’attachent à le prévenir.
Les cytokines sont des protéines (parfois ornées de molécules de sucres) solubles fabriquées par divers types de cellules notamment immunitaires (après activation par un agent pathogène), comme les macrophages et les lymphocytes T et B, mais aussi par les cellules endothéliales et les fibroblastes. On en connaît plusieurs familles parmi lesquelles les interférons, les interleukines, les chimiokines… Ces cytokines agissent – essentiellement localement, et cette restriction a son importance – en se fixant à des récepteurs insérés dans la membrane de cellules et participent, entre autres, au contrôle de la réponse immunitaire, au maintien de l’équilibre entre les différents acteurs de l’immunité, à la maturation et au développement de certains types de cellules. Par tous ces mécanismes, elles couvrent une large gamme de fonctions et notamment, c’est ce qui nous intéresse ici, dans l’inflammation et son contrôle. Ainsi, deux cytokines, l’interleukine-1 (IL1) et le TNF-alpha, contribuent à la sortie des globules blancs des vaisseaux sanguins vers, par exemple, une blessure, pour la débarrasser de possibles intrus. Ces cytokines dites « pro-inflammatoires » sont en première ligne dans la phase aiguë de l’inflammation, avec une autre interleukine, l’IL6. D’ordinaire, l’ensemble des cytokines et de leur production sont finement régulées. Ainsi, l’action de l’IL1 est contrôlé par plusieurs de ses antagonistes, qui l’empêchent notamment d’agir loin dans l’organisme.
Dans l’infection au SARS-CoV-2, toute cette mécanique fine est déréglée. Plusieurs études ont en effet révélé chez des malades atteints d’une forme sévère du COVID-19 des quantités anormalement élevées de plusieurs cytokines dans le sang, notamment les pro-inflammatoires. Un cercle vicieux se met alors en place, de plus en plus de globules blancs sont activés, produisant encore plus de cytokines pro-inflammatoires… En un mot, le système s’emballe, c’est l’orage cytokinique. S’ensuivent une baisse de la pression artérielle, une diminution de la quantité d’oxygène dans le sang, un syndrome de détresse respiratoire aigu, une défaillance de nombreux organes… l’ensemble de ces dysfonctions pouvant conduire à la mort.
Peut-on lutter contre ? Plusieurs pistes sont actuellement suivies. D’abord, du côté des composés antagonistes des cytokines. C’est le cas du tocilizumab et du sarilumab, deux antagonistes (des anticorps) du récepteur de l’IL6 : en prenant la place de la cytokine, ils en diminuent les effets. Pour le premier, une étude menée par Wei Haiming, de l’université des sciences et des technologies de Hefei, en Chine, a obtenu des résultats encourageants, ce qui a motivé de nombreux autres essais dans divers pays (Italie, Malaisie, États-Unis, Espagne, Suisse, Chine…), soit (au 15 avril) une vingtaine d’après le site qui les recense.
De même, le sarilumab est au centre de sept protocoles de par le monde. Ainsi, l’essai Corimuno-Sari, mené dans les hôpitaux de l’AP-HP, testera sur 239 patients (aux formes de la maladie modérée, sévère et critique) l’antagoniste de l’IL6. Dans l’essai, Corimuno-Viro (AP-HP, 60 malades), le même composé sera testé seul ou en association avec l’hydroxychloroquine/azithromycine. D’autres essais s’intéressent à l’anakinra, un antagoniste cette fois de l’IL1.
L’AP-HP, dans l’essai Stroma-Cov2, coordonné par Antoine Monsel, de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, à Paris, s’intéresse à d’autres régulateurs de l’inflammation, les cellules du cordon ombilical dites « stromales mésenchymateuses ». Quelque soixante malades ayant une forme grave du COVID-19 (avec un syndrome respiratoire aigu sévère), recevront à trois reprises de telles cellules. Dans le cordon, elles constituent un tissu gélatineux autour des vaisseaux sanguins. Leurs propriétés anti-inflammatoires, déjà exploitées dans des traitements contre des maladies auto-immunes, l’insuffisance cardiaque, des pathologies hépatiques… sont notamment liées aux nombreuses molécules qu’elles fabriquent, comme la prostaglandine E2 et l’oxyde nitrique.
Également dotée de propriétés anti-inflammatoires, la colchicine (un alcaloïde particulièrement toxique tiré de la colchique) a récemment montré son intérêt chez les victimes d’un infarctus du myocarde en en freinant les complications.
C’est ce qu’avaient montré Jean-Claude Tardif, de l’Institut de cardiologie, à Montréal, au Canada, et ses collègues, en décembre 2019. La même équipe a lancé l’essai Colcorona sur 6 000 patients pour tester l’efficacité de la colchicine contre le SARS-CoV-2.
Enfin, le 10 avril 2020, la FDA a autorisé, via une procédure d’urgence, l’emploi d’un dispositif (commercialisé par l’entreprise américaine Terumo BCT en association avec Marker Therapeutics AG) filtrant le sang pour aider des malades du COVID-19 en situation critique à lutter contre l’orage cytokinique.
L’idée est d’installer une circulation extracorporelle et d’éliminer (on parle d’« aphérèse ») les cytokines délétères du sang avant de le réinjecter une fois « nettoyé ». Contenir l’orage de cytokines n’élimine pas le SARS-CoV-2, mais il en réfrénerait les manifestations les plus violentes et permettrait aux malades de supporter l’infection et de recouvrir leur santé. C’est une des voies les plus prometteuses pour lutter contre le COVID-19 et d’en réduire la mortalité.