Concerts, boîtes de nuit : gare aux sons de basse fréquence

Publié le par Sciences & Avenir via M.E.

Ils peuvent causer une perte d'audition. Une nuit en boîte de nuit ou une soirée de concert excèdent en quelques minutes notre capital auditif quotidien. En cause, un engouement croissant pour les sons de basse fréquence, aux propriétés particulièrement euphorisantes.

Oreilles qui bourdonnent, acouphènes et perte d'audition ne sont pas rares en sortant d'un concert ou d'une boîte de nuit, où le niveau sonore trop intense fait la part belle aux sons de basse fréquence. Les dégâts peuvent être immédiats et irréversibles, d'après les experts invités lors de la Semaine du Son de l'Unesco, dont les conférences et ateliers sont ouverts au public jusqu'au dimanche 2 février 2020 dans toute la France.

Les sons de basse fréquence, le fléau des salles de concert et boîtes de nuit

"A 100 décibels, la dose maximale quotidienne que notre appareil auditif peut absorber sans risque est atteinte en quelques dizaines de secondes", révèle le Pr Paul Avan, spécialiste en biophysique neurosensorielle à Clermont-Ferrand. Pour se faire une idée de ce que cela représente, il faut garder en tête que le bruit d'un aspirateur tourne autour de 40 dB, celui d'une moto qui passe à 90 dB, et qu'en concert ou en boîte de nuit on atteint très facilement les 110 dB.

Dans ces derniers environnements, outre le volume global, c'est un engouement croissant pour les sons de basse fréquence qui est en cause, décrypte auprès de Sciences et Avenir Christian Hugonnet, acousticien et président fondateur de la Semaine du Son. Là où les sons audibles s'étendent de 20 à 20.000 Hertz, les basses fréquences vont jusqu'à 600 Hertz. S'ils ne sont pas par essence plus dangereux que les haute et moyenne fréquences, notre exposition croissante à ces sons et quelques propriétés particulières en font une source de nocivité croissante pour notre audition.

Une envie de danser et une agréable impression d'immersion

"Les sons de basse fréquence ont des longueurs d'onde de plusieurs mètres, là où celle des hautes fréquences font plutôt la taille d'une main. Résultat, on se sent enveloppés dedans, on a le sentiment d'être immergés ensemble à l'intérieur", explique-t-il. De plus, ils font vibrer la peau et les organes (le système vibrotactile) ainsi que le système vestibulaire (partie de l'oreille interne en charge de l'équilibre et du déplacement). "C'est probablement ce qui est à l'origine de cette envie de danser", avance le Pr Avan.

Ces effets agréables des sons de basse fréquence expliquent qu'ils soient particulièrement poussés par les artistes en concert et les boîtes de nuit… Et également pourquoi il leur est difficile de respecter le décret du 7 août 2017, qui limite le niveau sonore acceptable à 102 décibels en tout point d'une salle d'au moins 300 personnes. Car selon des étudiants interviewés pour la Semaine du Son, enlever trop de basses fréquences, c'est aussi enlever du plaisir dans l'écoute. Et si le son ne dépasse pas 102 décibels devant les amplis, le fond de la salle sera loin de profiter autant du moment. Le volet technique est également un problème, la mesure de ces basses fréquences étant rendus complexe par leur comportement imprévisible lorsqu'elles rencontrent les parois des salles, et par le budget élevé que nécessiterait la mise en place de suffisamment de capteurs.

Les bouchons d'oreilles inefficaces

Mauvaise nouvelle : pour s'en protéger, "les bouchons d'oreilles sont inefficaces", révèle Christian Hugonnet, en raison de la taille des ondes sonores. Reste l'évitement des zones à risque, afin de protéger notre capital auditif. "Une nuit près d'un ampli peut suffire à perdre définitivement l'audition", avertit l'acousticien. Le matériel est aussi en cause. "A Woodstock il fallait des tonnes de matériel pour atteindre un niveau sonore aujourd'hui délivré par un seul appareil", relève-t-il. Cette course à la puissance n'a soulevé que très récemment, il y a trois ou quatre ans d'après Christian Hugonnet, la question des sons de basse fréquence et de leur nocivité pour nos oreilles. Parfois irréversibles, les conséquences auditives de l'exposition à ces forts niveaux de sons de basse fréquence sont progressives et indolores... Et potentiellement immédiates.

Les sons de basse fréquence affectent l'ensemble de la cochlée

Dans notre oreille, c'est un petit organe en forme d'escargot, la cochlée, qui perçoit les différentes fréquences et les codent sous forme d'impulsion électrique vers le cerveau. Les sons de basse fréquence ont la particularité de parcourir la cochlée tout du long, jusqu'à son extrémité où elles sont codées, là où les hautes fréquences s'arrêtent à la base et les moyennes au milieu. C'est ce qui donne aux basses fréquences la capacité de masquer en partie les autres fréquences, et d'affecter l'ensemble des cellules de la cochlée. Chez le primate non humain, des études post-mortem ont même montré qu'une exposition à 110 décibels pendant deux heures suffisait à détruire des connexions entre l'oreille interne et les neurones. "La susceptibilité aux sons et la capacité de récupération diffèrent d'un individu à l'autre selon son patrimoine génétique", explique le Pr Avan. Ainsi, même en respectant les normes de sécurité, de rares individus plus sensibles que les autres pourraient ne pas être protégés.

Pour Christian Hugonnet, le problème de l'exposition au son ne s'arrête pas aux salles de concert. Le trop plein de bruit en ville font du silence un bien rare, dont une des conséquences est une trop grande compression du son passé à la radio ou dans les écouteurs. "Un son compressé, c'est un son avec peu de nuances, peu de pauses et de respiration", explique-t-il, une sorte de saturation à laquelle notre oreille finit par s'habituer. "On se dit tous je t'aime à 80 décibels, ce n'est pas normal", déplore l'acousticien.

Source : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/orl/concerts-boites-de-nuit-gare-aux-sons-de-basse-frequence-qui-peuvent-causer-des-pertes-d-audition_140820
 

Publié dans Pollution sonore, Santé

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