Ursula von der Leyen présente son Green Deal
Comme annoncé, la Commission européenne a présenté, ce mercredi 11 décembre, son projet de pacte vert (Green Deal). Ce vaste programme entend faire bouger les lignes des politiques énergétiques, de transports, du logement et même de la PAC. Tout en protégeant la biodiversité ! Reste à régler les questions de calendrier et de financement pour en faire la prochaine NDC européenne, qui doit être publiée avant la COP 26. Ce qui n'est pas gagné.
Les députés européens n’étaient pas très nombreux, ce mercredi 11 décembre, à la présentation du projet de Pacte vert de la Commission européenne. Sa présidente, Ursula von der Leyen, leur avait pourtant réservé la primeur de la publication de ce qui s’annonce déjà comme le grand projet de sa mandature. «Les peuples d’Europe nous ont appelé à mener une action décisive contre le changement climatique. C’est pour eux que nous avons conçu cet ambitieux pacte vert», a lancé, d’emblée, la présidente de l’exécutif communautaire.
De fait, le pacte est loin d’être complet. Sur une trentaine de pages, le texte présenté à Strasbourg égrène quantités d’objectifs et de principes qui pourraient encadrer un grand nombre de politiques communautaires dans les prochaines années. Pourrait, car rien n’est encore acquis. Ursula von der Leyen devra d’abord faire avaliser sa copie par le Conseil européen des 12 et 13 décembre. Le Parlement européen devrait ensuite donner sa position dans une résolution qui sera discutée lors de la session de janvier 2020. Restera ensuite à la Commission à déployer sa feuille de route.
Première étape annoncée: la présentation, en mars 2020, d’une «législation européenne sur le climat». D’une portée encore inconnue, ce texte gravera dans le marbre juridique l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 et imposera «que toutes les politiques de l’UE contribueront à l’objectif de neutralité climatique et que tous les secteurs joueront leur rôle.»
D’ici l’été prochain, Bruxelles proposera un plan, «assorti d’une analyse d’impact» pour réduire de 50% à 55% les émissions européennes de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030. Aujourd’hui, l’UE doit réduire d’au moins 40% ses rejets pour cette même période. Dans la foulée, la Commission révisera, si besoin, tous les instruments juridiques concernés. Dans les deux cas, rappelle le dernier rapport de l'ONU Environnement, c'est insuffisant pour stabiliser le réchauffement à 1,5 °C.
La directive ETS devrait être ainsi revue pour y renforcer la présence de l’aviation commerciale et y intégrer les transports maritime et terrestre. Et éventuellement le bâtiment, si les efforts nationaux en faveur de l’amélioration des performances thermiques des logements des précaires énergétiques se révélaient insuffisants.
En utilisant les dispositions des traités qui permettent de légiférer sur la fiscalité à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité, Ursula von der Leyen veut aussi retoucher, dès juin 2021, la directive sur la taxation des produits énergétiques, afin notamment de supprimer (si possible) les exemptions dont bénéficient certains secteurs, à commencer par le transport aérien et le fret maritime. Sensible aux arguments des compagnies gazières (repris d’ailleurs par de nombreux députés européens !), la Commission présentera, dans ce cadre, des mesures en faveur de la décarbonation du gaz et de la lutte contre les fuites de méthane.
A plus long terme, l’Europe ne conclura plus d’accords commerciaux avec des pays ne respectant pas l’Accord de Paris. Disposition qui sera renforcée par la mise en œuvre d’un mécanisme d’ajustement aux frontières «pour certains secteurs». Cette taxe carbone sera conforme aux règles de l’organisation mondiale du commerce, a précisé la présidente de la Commission. Ce qui pourrait laisser supposer que les pays dotés, par exemple, d'un marché du carbone n'y seront pas soumis. Une façon de ne pas se fâcher à mort avec la Chine.
Au printemps prochain, la Commission adoptera aussi une stratégie industrielle. Au menu : économie circulaire[1], soutien à la décarbonation des industries lourdes. Des soutiens sont prévus pour financer ces adaptations industrielles, via le fonds pour l’innovation de l’ETS. Ils seront notamment ciblés sur la création d’une économie circulaire des batteries.
Plus floue est l’initiative en faveur de la lutte contre la précarité énergétique, situation qui touche une cinquantaine de millions d’Européens. La Commission envisage la mise en œuvre de financements innovants destinés à faciliter le financement des travaux dans les copropriétés.
Pour le transports, en plus de l’inclusion de certains secteurs dans l’ETS, Bruxelles entend réviser, d’ici à 2021, une nouvelle fois la directive sur les transports combinés pour accroître la part du rail et de la voie d’eau dans les transports de marchandises. Comme annoncée, de nouvelles normes d’émission des véhicules individuels et utilitaires légers seront proposées. Objectif: tendre «vers une mobilité à émission nulle dès 2025».
C’était l’une des incertitudes du pacte vert. Toucherait-il ou non à la politique agricole commune (PAC)? C’est probable. D’ores et déjà, la publication de la prochaine mouture de la PAC est reportée au début de l’année 2022. On y trouvera, veut croire la présidente de la Commission, de nombreux plans sectoriels afin d’accroître l’agriculture de précision, le bio, l’agroécologie, des normes «plus strictes» en faveur du bien-être animal. Ces plans ambitionnent «une diminution significative de l’utilisation des pesticides chimiques et des risques qui y sont associés».
Comme le JDLE l’indiquait mardi 10 décembre, la Commission prépare aussi un vaste plan de reboisement, de boisement et de restauration des forêts dégradées «pour accroître l’absorption du CO2, tout en améliorant la résilience des forêts et en promouvant la bioéconomie circulaire.» Ce programme devrait être insérer dans la prochaine PAC.
Comment financer pareil programme? Pas de réponse précise à cette question, pour le moment. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’Europe devra consacrer l’équivalent de 1,5 % de son PIB annuel au financement de ses efforts, énergétiques notamment, pour abattre de 40 % ses émissions de GES entre 1990 et 2030. «Il faudra donc mettre sur la table au moins 2 % du PIB», estime l’eurodéputé (social-démocrate) Pierre Larrouturou. A l’évidence, l’exécutif combinera financements publics et privés. Sa stratégie en la matière devrait être présentée à l’automne 2020. Pour les premiers, Bruxelles prévoit de faire bouger les lignes des règles encadrant les aides d’Etat: de nouvelles lignes directrices sont attendues d’ici à 2021.
Dans l’hypothèse où ce vaste projet serait adopté dans les temps prévus par la Commission, le Pacte vert d’Ursula von der Leyen peut-il servir de base à la rédaction de la prochaine NDC européenne, qui doit être publiée avant la prochaine COP climat, de novembre 2020 ?
Interrogée par Le JDLE, la ministre française de la transition écologique et solidaire n’y croît pas trop. «Il faudrait pour cela que tout soit adopté d’ici le mois de septembre 2020, ce qui est très ambitieux», souligne Elisabeth Borne. Si tel n’était pas le cas, la situation deviendrait diplomatiquement difficile pour le vieux monde. D’un côté, l’Union européenne ambitionnerait de réduire de 50 à 55 % ses émissions entre 1990 et 2030. De l’autre, ses Etats membres seraient tenus de se conformer à l’objectif en vigueur : -40 %. Intenable !
[1] Des mesures sont notamment prévues pour réduire la consommation de ressources naturelles des secteurs du textile, de la construction, de l’électronique et des matières plastiques.