Le bisphénol B, substitut du BPA, suspecté d’être un perturbateur endocrinien
Selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire, la trentaine d’études disponibles sur le BPB devrait suffire à le classer comme substance dangereuse.

La saga des bisphénols s’achèvera-t-elle un jour ? C’est pour pouvoir répondre par l’affirmative à cette question qu’une équipe de chercheurs français, conduite par des toxicologues à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), a publié, mercredi 16 octobre, dans la revue Environmental Health Perspectives, une synthèse des connaissances disponibles sur le bisphénol B (BPB).
Celles-ci sont encore lacunaires mais elles devraient suffire, plaident en substance les auteurs, à considérer dès à présent ce substitut au célèbre bisphénol A (BPA) comme étant, lui aussi, un perturbateur endocrinien (PE).
« Le bisphénol A a été la première substance classée perturbateur endocrinien au niveau européen, mais cela a nécessité environ un millier d’études et un effort scientifique considérable, explique René Habert, chercheur au Laboratoire de développement des gonades (CEA, Inserm, université Paris-Diderot), coauteur de ces travaux. Dans le cas du BPB, on a encore peu de données, mais celles-ci sont parfaitement cohérentes avec celles obtenues sur le BPA, dont la molécule est structurellement très proche du BPB. Tout indique qu’il est inutile de perdre du temps et que la réglementation devrait commencer à raisonner en termes de famille chimique. »
Utilisé dans de nombreux plastiques rigides et résines en contact avec des boissons ou des denrées alimentaire, le BPA a été interdit en France dès 2015 dans les contenants alimentaires. Suspecté d’élever la susceptibilité de la population à une variété étourdissante de pathologies (cancers du sein, infertilité masculine, perturbation du cycle reproductif, troubles neuro-comportementaux, diabète et obésité), il a été remplacé dans certains de ses usages par de proches cousins − bisphénol S (BPS) et F (BPF), notamment −, mais les chercheurs se sont vite rendu compte que ceux-ci étaient pourvus de propriétés toxicologiques analogues.
Des chercheurs français ont même récemment montré que la biodisponibilité du BPS − c’est-à-dire sa capacité à atteindre la circulation sanguine et à y demeurer − était près de 250 fois supérieure à celle du BPA. Le classement du BPS et du BPF comme perturbateurs endocriniens, par les instances européennes, est cependant en cours.
Le BPB semble le prochain sur la liste des remplaçants. Encore peu répandu, faut-il lui laisser le temps de se développer comme les autres bisphénols ?
« A l’heure actuelle, le BPB n’est pas produit ou importé en tant que tel en Europe de manière substantielle, explique la toxicologue Cécile Michel (ANSES), coautrice de la publication. Cependant, quelques études montrent qu’on le retrouve dans certaines populations, notamment au Portugal et en Italie, ce qui suggère que celles-ci ont été exposées par le biais de produits importés, qui contiennent du BPB. » Difficile d’être sûr de la source d’exposition, mais certains pays, comme les Etats-Unis, autorisent l’utilisation de cette substance dans les résines tapissant l’intérieur des boîtes de conserve.
A l’heure actuelle, Hélène Serra (ANSES), Cécile Michel et leurs coauteurs ont identifié une trentaine d’études sur ce nouveau venu. La plupart sont des études in vitro, cherchant à caractériser les modes d’action du BPB, indiquant que celui-ci a notamment des effets œstrogéniques, à l’instar du BPA.
« Seules trois études ont été conduites sur des animaux, deux sur le rat, et une sur le poisson, détaille René Habert. Leurs résultats indiquent notamment une baisse de la production de spermatozoïdes chez les animaux exposés, ce qui correspond bien à ce que l’on sait des perturbateurs endocriniens qui agissent comme des œstrogènes. »
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Les auteurs ne font pas mystère des limites méthodologiques qui frappent au moins deux des trois études animales disponibles, mais ils estiment que la cohérence d’ensemble des données disponibles est suffisante pour proposer une action au niveau européen afin d’éviter l’augmentation de l’exposition de la population.
« Par le biais de l’ANSES, la France va prochainement déposer un dossier au niveau européen pour proposer l’identification du BPB comme perturbateur endocrinien », poursuit Mme Michel. L’interdiction au niveau européen ne peut intervenir qu’après cette classification, au terme d’un processus complexe, ou du fait d’une législation nationale.
L’agence française poursuit ainsi un travail engagé voilà près d’une décennie avec le BPA. En 2011, l’ANSES avait en effet été la première agence sanitaire à emboîter le pas à une majorité des spécialistes du monde académique en rendant, en 2011, une expertise considérant que le BPA engendrait des risques sanitaires pour la population générale, en dépit de faibles taux d’exposition.
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L’ANSES avait ainsi manifesté un profond désaccord avec son homologue européenne, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) − celle-ci ayant toujours rendu des rapports considérant le BPA sans risque.
Mais l’accumulation de nouvelles études a finalement donné raison à l’agence tricolore. En juin 2017, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) inscrivait en effet le BPA sur sa liste des « substances extrêmement préoccupantes » (« substance of very high concern », dans le jargon réglementaire) pour ses propriétés de perturbation endocrinienne, c’est-à-dire « à l’origine probable d’effets graves sur la santé humaine, soulevant un niveau équivalent de préoccupation aux substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques ».