En mer, l'invasion des méduses

Les méduses pullulent de plus en plus et transforment les mers en "jelly". Rien ne semble enrayer l’essor de ces animaux pourtant si fragiles et rudimentaires, en apparence. Leur secret ? Une étonnante faculté d’adaptation… et le soutien involontaire des humains.

Personne ne l’a vu s’approcher. En quelques minutes, le banc de petits organismes gélatineux a colmaté les immenses filtres du circuit de refroidissement d’un réacteur de la centrale nucléaire de Gravelines, près de Dunkerque, provoquant son arrêt immédiat. Inutile de calculer le coût de revient d’une telle invasion, ni d’épiloguer sur le ridicule de la situation : la plus haute technologie humaine à la merci d’une boule de gélatine. C’était, il y a vingt ans, la première manifestation spectaculaire de la gélification des océans. Connu sous le doux nom de groseille des mers, le coupable, un animal marin carnivore et translucide de quelques centimètres, prolifère tant par endroits que la mer ressemble à… une gelée de groseilles décolorée. Mais les plus redoutés des contributeurs à la gélification des océans sont ses cousines, les méduses.
En quelques années, par leur pullulation, les méduses se sont imposées non pas comme sujet d’étude pour les chercheurs, mais comme une grave préoccupation des professionnels de la mer à cause des nuisances qu’elles provoquent. Ainsi, c’est un peu par la force des choses que les scientifiques se sont penchés sur le sujet, mais depuis, leur cri d’alarme est unanime : la conquête des océans par les méduses ne fait que commencer, et l’homme est leur plus précieux allié…
Les méduses sont des animaux très simples constitués de deux feuillets, l’ectoderme et l’endoderme, limitant une masse gélatineuse où sont insérés leurs deux uniques organes : l’estomac et les gonades . Cela résume assez bien la vie d’une méduse : manger pour se reproduire. Et jusqu’au début des années 2000, la prolifération des méduses Pelagia noctiluca sur les côtes méditerranéennes était tout aussi simple : cyclique et bien réglée. Depuis les premières pullulations décrites dans la région, en 1775, il y avait des années à méduses et des années sans, selon une périodicité de 12 ans. Et cette périodicité était corrélée aux fluctuations climatiques, en particulier au recul des glaciers alpins. On avait même déduit de l’analyse des conditions climatiques que les années à Pelagia étaient toujours précédées de trois années chaudes peu pluvieuses. Mais depuis, les méduses Pelagia noctiluca ont brouillé les pistes.
Désormais, elles sont là tous les ans, été comme hiver, et il faudra apprendre à nager entre ces masses de gelée et en évitant soigneusement leurs tentacules pour ne pas être piqué (c’est l’espèce la plus urticante de la Méditerranée). Comment ces animaux que tous les naturalistes des XVIIe et XVIIIe siècles surnommaient gelée de mer ou eau coagulée, ces organismes composés à 98 % d’eau – presque des gouttes d’eau dispersées dans la mer – ont-ils pu en si peu de temps contrarier tous les modèles de fluctuations hydroclimatiques établis jusqu’alors et qui avaient fonctionné pendant deux siècles ?
Puisque, comme tous les animaux, les méduses mangent pour se reproduire, il est vraisemblable que l’étude de leur physiologie apportera des réponses. Que mangent-elles et quand se reproduisent-elles ? C’est l’un des axes des programmes de l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer animés par Gabriel Gorsky ou encore Fabien Lombard.