Cliquer, consommer, polluer : briser le cercle vicieux
Cliquer est politique, et pas qu’en période électorale… Toujours plus, toujours plus vite, toujours moins cher ; le clic est la boîte à rythme de la guerre économique. Pense-ton à l’empreinte écologique, sanitaire, et sociale lorsque l’on achète un produit en ligne ? L’impact du transport de marchandises sur la congestion et la pollution atmosphérique n’est pas neutre. À Paris, 10% des habitants sont déjà clients du e-commerce.
Le constat de l’Atelier Parisien d’Urbanisme (l’APUR) est sans appel : la livraison de colis, le fameux "dernier kilomètre", représente près de 60% des mouvements hebdomadaires de marchandises à Paris. Le développement fulgurant du e-commerce se traduit par une fragmentation de la logistique et, finalement, par un véritable tsunami de petits trajets urbains. La Poste livre ainsi plus de 50 000 colis quotidiennement dans Paris intramuros. La livraison gratuite s’est généralisée et accentue cette fragmentation de la logistique.
On connait l’impact environnemental du commerce en ligne. Les data centers représentent déjà près de 20 % de la consommation énergétique globale. Le trafic routier est lui-même responsable d’environ 50 % des émissions de polluants atmosphériques à Paris, et les émissions du transport routier de marchandises en ville représentent le quart des émissions de CO2 liées à la mobilité urbaine. La situation devient préoccupante malgré la baisse constante du nombre de voitures individuelles dans Paris intramuros depuis 2001, alors même qu’un tiers des Parisiens possèdent une voiture et que moins de 10% s’en servent en semaine. Les motorisations récentes sont censées avoir diminué les émissions de polluants, mais depuis le "Dieselgate" on sait que ce n’est pas toujours le cas.
Et c’est là que se pose la « problématique du clic ». Moins de voitures individuelles, disparition progressive des hypermarchés en périphérie des villes, redynamisation du commerce de proximité ; tout cela, c’est positif. Mais qu’en serait-il si, dans le sillage du remodelage de nos modes de consommation, le clic consumériste finissait par submerger tout le monde ? Au lendemain du Black Friday cette année, on a compté 4 000 fourgonnettes en plus dans les rues de la capitale.
Plus de clics, c’est beaucoup plus de diesel en ville car la quasi-totalité des utilitaires fonctionne selon cette motorisation. Plus de diesel en ville, c’est davantage de pollution aux micro-particules, donc accroissement des fréquentations des urgences médicales, qui sont déjà surchargées.
Si de nombreuses villes portent une politique volontariste qui encourage les modalités de transport douces – autopartage, free-floating et tout ce qui peut permettre aux citadins de retrouver une ville « apaisée » –, la pollution intramuros aux PM2.5 est mécaniquement repartie à la hausse, générée notamment par nos clics consuméristes.
L’Agence de Santé publique estime que 6 600 décès sont liés à la pollution atmosphérique sur le périmètre de la Métropole du Grand Paris.
Les solutions de livraisons non polluantes sont pourtant nombreuses et accessibles : véhicules électriques et engins ultralégers tels les vélos-cargo et autres triporteurs capables de gagner un temps considérable sur la durée moyenne de livraison. La conversion des transporteurs de nos colis vers des flottes non polluantes est un impératif qui doit devenir un critère d’achat.
D’autres solutions, allant du point relais aux espaces de logistique urbaine de proximité et aux consignes automatiques locales, se développent également à grande vitesse. Les opérateurs l’ont compris : ce « je clic donc je pollue » n’est pas soutenable, la révolution en cours des modalités douces doit se traduire par une amélioration substantielle, rapide et documentée de la qualité de l’air. La mobilité partagée ne doit pas concerner que les passagers mais aussi les marchandises.
Note d’espoir ? Selon l’étude Stuart et YouGov (La Poste) de février 2019, près de six Français sur dix déclarent être sensibles à l’impact écologique de leurs livraisons e-commerce, et ce quel que soit leur âge. Un clic responsable, c’est aussi préférer une livraison qui arrivera en quelques jours plutôt que le lendemain, car cela permet aux transporteurs d’optimiser leurs flux et déplacements. Un achat responsable, c’est préférer acheter dans sa librairie de quartier ou dans ses commerces de proximité.
L’enjeu d’une livraison durable est de concilier le développement économique de sa ville avec le respect de la qualité de l’air et la réduction des nuisances – embouteillées et sonores – et déchets issus des emballages qui sont toujours plus volumineux.Il faudra payer le juste prix des produits de cette consommation mobile. L’impact social des métiers de la livraison rapide doit vraiment être amélioré. Nous ne pouvons pas ignorer et laisser persister les conditions déplorables et inadmissibles qui existent dans ce secteur.
A Paris, dès 2024, les véhicules utilitaires Diesel n’auront plus droit de cité. Nous n’éviterons pas pour autant le regard aussi interrogatif que sévère des générations futures : Comment avons-nous pu attendre si longtemps pour (ré)agir ?
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