Comment la Commission Européenne a tenté de torpiller la législation sur les perturbateurs endocriniens

Les responsables de la santé à la Commission Européenne (CE) ont tout fait pour empêcher l’interdiction d’une trentaine de pesticides suspectés d’être des perturbateurs endocriniens. C’est ce que révèlent des documents internes de la CE rendus publics ce jeudi par le Pesticide Action Network Europe (PAN).
Pourquoi c’est important. Depuis 2009, la législation européenne impose de facto l’interdiction de tous les pesticides qui ont des effets sur le système hormonal. Restait alors à poser les critères permettant de qualifier ces perturbateurs endocriniens. Ce qui semble avoir été fait dans des conditions extrêmement tendues.
De quoi on parle. Les perturbateurs endocriniens sont des substances capables d’interagir avec le système hormonal humain ou animal (système de reproduction, nerveux, métabolisme, etc). C’est un enjeu majeur de santé publique.
Le fond du débat. Tôt, les positions au sein de la Commission se sont cristallisées quant aux effets sur la santé des perturbateurs endocriniens.
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D’un côté, la Société Endocrine, une société savante, estime que les perturbateurs endocriniens ne sont pas des produits chimiques comme les autres, et qu’ils peuvent avoir des effets délétères quelle que soit la dose. De plus, ces impacts peuvent se combiner (effet cocktail). C’est là aussi la ligne adoptée par la Direction Générale (DG) Environnement de la Commission européenne, qui préconisait d’interdire ces pesticides, indépendamment des impacts pour l’industrie et l’agriculture.
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De l’autre côté, des toxicologues, pharmacologues et experts de l’Agence européenne pour la sécurité alimentaire (EFSA) considèrent qu’on peut — comme pour les autres substances— définir des seuils pour protéger la population et les utilisateurs de ces substances.
La DG Santé s’appuie sur cet argument pour défendre sa position, que l’on peut résumer ainsi: puisque des seuils de dangerosité existent, on peut les appliquer sans bannir de produits, tout en protégeant la population et en ménageant les agriculteurs.
La DG Santé met aussi en avant certains bénéfices — bien avérés — de l’utilisation des pesticides: ils contribuent par exemple à éliminer des micro-organismes néfastes, susceptibles de contaminer les produits alimentaires. Elle défend alors ardemment le souci de ne pas trop perturber le marché, l’industrie et les pratiques agricoles dans l’UE.
Où il y a un problème. L’organisation écologiste PAN s’insurge contre l’utilisation de ces critères non scientifiques dans l’évaluation des perturbateurs endocriniens. Le communiqué de PAN conteste les conclusions de l’analyse d’impact réalisée par la Commission :
«Ses étranges constatations initiales ont minimisé les effets sur la santé, affirmé que plus il reste de pesticides en usage, moins il y aura d’effets sur l’environnement et la santé, et que moins on identifiera de perturbateurs endocriniens, mieux cela sera.»
Où le malaise grandit. Ce n’est qu’au terme d’une procédure de deux ans devant la Cour de Justice européenne de Luxembourg, que PAN a obtenu communication de 600 documents internes de la Commission sur le processus d’élaboration des critères de définition des perturbateurs endocriniens.
Hans Muilerman, qui a coordonné ce dossier au sein de PAN :
«La Commission prétendait ne pas pouvoir communiquer ces documents parce qu’ils concernaient un processus en cours.»
Interrogé par Heidi.news, il y a quelques jours, sur le contenu de ces notes et emails, un porte-parole de la Commission a alors répondu :
«Nous ne commentons pas les discussions internes relatives au processus décisionnel et notons que l’analyse d’impact des perturbateurs endocriniens publiée en juin 2016 a été approuvée par le Collège [des commissaires européens] et reflète la position officielle de la Commission.»
Autrement dit: communiquer pendant le processus c’est trop tôt, et une fois qu’il est achevé, c’est trop tard!
Ce que révèlent les documents. Heidi.news a soigneusement étudié une vingtaine de documents qui nous ont été communiqués par PAN, et courent sur la période janvier 2014-avril 2016, au terme de laquelle l’Analyse d’impact a été achevée avant d’être rendu publique en juin de la même année. PAN ne nous a hélas pas transmis la totalité des notes dont elle a eu connaissance.
Attention: l’ensemble est un peu technique (comme beaucoup de dossiers bruxellois), mais le sujet mérite qu’on s’y attache!
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C’est la DG Santé (et Protection du Consommateur) qui a piloté ce travail.
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Un front commun s’est rapidement formé, associant les DG Santé, Agriculture, Marché Intérieur, Industrie et le Secrétariat général de la Commission.
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La DG Environnement semble avoir bataillé seule face à ce front.
Voici un schéma récapitulatif :

Si vous souhaitez en rester là, voici ce qu’il faut retenir : pendant plus de deux ans, ces différentes entités au sein de la CE se sont affrontées, pour décider de la manière d’évaluer les perturbateurs endocriniens. Et c’est la DG Santé qui a emporté la main sur le document final, en préférant paradoxalement s’inquiéter de l’impact économique qu’aurait une politique trop sévère d’interdiction de tout perturbateur endocrinien !
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