L’alimentation, coupable et victime du réchauffement

Une planète de plus en plus obèse, un climat toujours plus déréglé: le système agro-alimentaire fait résolument fausse route, dénoncent 130 académies des sciences et de médecine, réunies dans l’InterAcademy Partnership (IAP), dans un rapport publié mercredi 28 novembre.
Plusieurs études l’ont démontré: en termes d’alimentation, ce qui est mauvais pour la santé l’est généralement pour le climat. Ainsi le trop-plein de calories, un régime trop gras ou trop riche en viande sont certes facteurs d’obésité, de maladies cardiovasculaires et de cancers, mais ils constituent aussi une source importante de gaz à effet de serre.
Un quart des émissions
A elle seule, l’agriculture, sans compter le transport et la transformation, est responsable de 20% à 25% des émissions de gaz à effet de serre. Du dioxyde de carbone (CO2), bien sûr, mais aussi du méthane (CH4), issu de l’intestin des ruminants, et du protoxyde d’azote (N2O), qui résulte des engrais azotés.
Mauvais pour le climat, le régime alimentaire occidental pourrait par la même occasion causer sa propre perte. Le réchauffement climatique constitue en effet une menace de première ordre pour la production agricole mondiale, du fait de la hausse thermique, des sécheresses, des inondations et autres catastrophes climatiques. Conséquences du changement climatique, non seulement la quantité d’alimentation, mais aussi sa qualité nutritionnelle, pourraient être affectées.
Atténuation, adaptation
Comment réduire l’impact de l’agriculture sur le climat? Dans son rapport, l’IAP[i] propose plusieurs pistes: d’une part favoriser une «climate-smart agriculture» (agriculture intelligente face au climat), plus adaptée aux changements en cours. Notion un peu fourre-tout, elle inclut de nombreuses techniques, allant de l’agroécologie aux OGM adaptés à la sécheresse –ce qui lui vaut la méfiance de nombreuses associations.
Autre piste évidente, un décarbonation du régime alimentaire. Dans les pays industrialisés, cela consisterait en une moindre consommation de viande, en particulier la viande rouge, aliment le plus émetteur de gaz à effet de serre. Le rapport évoque aussi la question de nouveaux aliments, notamment pour les apports en protéine, tels que les insectes ou la viande synthétique, fabriquée en laboratoire.
L’IAP pour une politique ambitieuse
En termes de recherche, le rapport appelle à une meilleure coordination des différentes disciplines, dont les sciences fondamentales et biologiques avec les sciences sociales et les sciences politiques, afin de définir une nutrition, une alimentation et une agriculture plus adaptées aux nouveaux défis. Enfin, les experts proposent la mise en place d’un comité international consultatif sur la sécurité nutritionnelle et alimentaire.
Pour Joachim von Braun, coprésident du projet agriculture et sécurité alimentaire à l’IAP, c’est là un point crucial à aborder lors de la COP24. «Nos systèmes alimentaires sont en train d’échouer. La semaine prochaine à la COP24, les décideurs politiques doivent agir sur le réchauffement, et aller au-delà des simples déclarations. Ce n’est pas seulement l’environnement qui est en danger, mais aussi la santé, la nutrition, le commerce, les emplois et l’économie. L’agriculture et l’alimentation sont des facteurs majeurs du désastre climatique en cours. Et ce sujet nécessite une réponse politique forte et ambitieuse», estime-t-il.
[i] Côté français, l’IAP compte en son sein l’Académie nationale de médecine, l’Académie des sciences et l’Académie des technologies.