Quatre ONG attaquent l’Etat français pour son inaction climatique / Signez la pétition de soutien

"Notre affaire à tous" (NAAT), la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), Greenpeace et Oxfam ont adressé, le 17 décembre, un courriel à une dizaine de ministères français pour demander réparation de leurs préjudices liés à l’inaction climatique. Sans réponse de leur part dans deux mois, elles saisiront le tribunal administratif de Paris. Une pétition de soutien est en ligne et a déjà recueilli plus d'un million et demi de signatures.
Après une première démarche infructueuse lancée en décembre 2015, à l’occasion de la COP 21, l’association NAAT a changé sa stratégie d’attaque. Cette fois-ci, elle a peaufiné, pendant une année entière, son recours contre l’Etat avec l’aide d’une vingtaine de juristes de 4 cabinets et s’est associée à trois ONG de renom, Greenpeace, FNH et Oxfam, pour le porter au niveau national. La demande préalable a été officiellement envoyée le 17 décembre à 12 ministères, dont ceux de la transition écologique et solidaire, des transports, de l’agriculture, et de la cohésion des territoires.
«Les ONG agissent aux côtés de nombreux citoyens, au nom de l’intérêt général. Sur notre territoire, nous sommes vraiment touchés. On a fait beaucoup de plaidoyers er de marches pour le climat mais on voit que rien ne bouge. C’est pourquoi on fait appel aujourd’hui à la justice», affirme Marie Toussaint, présidente fondatrice de NAAT lors d’une conférence de presse organisée ce 18 décembre à Paris.
Un recours pour carence fautive
Un recours gracieux pour inaction climatique a déjà été enclenché le 20 novembre dernier par le maire de Grande-Synthe, mais cette procédure compte faire date dans l’histoire judiciaire. Pour les associations, il s’agit de «l’affaire du siècle». Elle vise en effet à faire reconnaître les carences fautives de l’Etat pour réduire les émissions de gaz à effet de serre nationales, en particulier celles du transport, de l’agriculture et des bâtiments. Les associations s’appuient notamment sur le dépassement du budget carbone national en 2016 et en 2017[1] et le non-respect des directives sur les énergies renouvelables et sur l’efficacité énergétique.
Au plan juridique, elles veulent aussi faire évoluer la jurisprudence administrative pour que le juge reconnaisse l’existence, en droit français, d’une «obligation générale de lutte contre le changement climatique».
Préjudice moral et écologique
Enfin, elles demandent réparation du préjudice moral et du préjudice écologique causés par l’Etat pour son inaction climatique. «Lorsque le chef de l’Etat dit que la transition énergétique coûte cher, il se trompe. Ce qui coûte cher, c’est de ne pas investir dans la rénovation énergétique, dans les énergies renouvelables, dans le changement des modes de vie», affirme Audrey Pulvar, présidente de FNH. Un volet ardu dans la mesure où le préjudice écologique, récemment reconnu par la loi sur la biodiversité, devra être démontré.
Toute la difficulté sera de prouver le lien de causalité existant entre les carences fautives de l’Etat (les émissions de GES nationales sont reparties à la hausse en 2016) et l’aggravation continue du changement climatique au niveau national, alors qu’il s’agit d’un phénomène mondial. Un défi qu’ont su relever les avocats de l’ONG néerlandaise Urgenda.
Un laboratoire pour le juge
«Le corpus normatif actuel sur le changement climatique, basé sur la hard law et la soft law, est très important. L’idée est de l’imposer aussi à l’Etat, dans le cadre d’une obligation positive de lutte contre le changement climatique. C’est à partir de là qu’on a déroulé la pelote de cette action», décrypte pour le JDLE l’avocat des ONG Emmanuel Daoud, du cabinet Vigo. Le juriste reconnaît que l’insertion de la lutte contre le réchauffement dans la Constitution, y compris à l’article 34 selon le projet actuel, représenterait une grande avancée. «Tous les recours subséquents seraient facilités. Il n’y aurait tout simplement plus de débat puisque la Constitution reconnaîtrait la nécessité de l’action», tranche-t-il.
Derrière ce recours, l’idée est de faire du tribunal un laboratoire de nouveaux recours judiciaires. «On veut dire au juge qu’il a le devoir de veiller au respect par l’Etat de ses obligations climatiques et qu’il a les outils, dans le corpus normatif, sur lesquels s’appuyer. Le juge est prêt à être courageux», estime Emmanuel Daoud. A l’appui de leur recours, les associations se fondent sur de nombreux textes, dont la charte de l’environnement française, la convention européenne des droits de l’homme, la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et le rapport spécial du GIEC [2] sur les conséquences d'un réchauffement à 1,5°C. Plus largement, elles aspirent à ériger l’obligation de lutte contre le changement climatique au rang de principe général du droit. «Ce n’est pas une action symbolique. On compte la gagner», rappelle Emmanuel Daoud. «En juillet 2017, l’Etat a été condamné pour carence en matière de lutte contre la pollution atmosphérique. Le Conseil d’Etat a donné raison à l’association Les Amis de la Terre», complète l’avocate Clémentine Baldon.
Contexte favorable
Le gouvernement répondra-t-il à leurs attentes? «Dans le contexte actuel, avec les annonces faites lors de la COP 24, il y aura peut-être un début de réponse», estime Emmanuel Daoud. Les associations espèrent aussi que leur action sera rejointe par de nombreux citoyens. «Peut-être que demain des agriculteurs, des éleveurs, des associations de consommateurs ou de patients voudront nous rejoindre pour faire reconnaître leur préjudice personnel lié à l’inaction climatique», espère l’avocat. Une pétition, mise en ligne ce matin à 10 heures, recueille les soutiens. Cinq heures plus tard, plus de 100.000 personnes l’avaient signée.
[1] Défini dans le décret du 18 novembre 201
[2] GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.