3 articles parus sur le nucléaire en France : role des lobbys, sûreté de fonctionnement, EPR, etc...

Mycle Schneider est consultant international indépendant sur les questions de politique énergétique et nucléaire. Il est également l’auteur principal et l’éditeur du World Nuclear Industry Status Report 2018.
Le "Rapport sur l’état de l’industrie nucléaire dans le monde", établi par des experts internationaux indépendants, est officiellement présenté en France, ce mardi 11 septembre. Parmi ses conclusions : une filière à la traîne loin derrière les énergies renouvelables, y compris en Chine, pourtant leader mondial de l’atome. Reporterre a fait le point avec Mycle Schneider, auteur principal et éditeur de ce rapport.
Reporterre — Quel est l’objectif de ce rapport et comment avez-vous travaillé ?

Mycle Schneider — Nous établissons ce rapport tous les ans depuis plus d’une dizaine d’années. Son objectif est de proposer une base factuelle aux débats sur les politiques nucléaires. Je trouve insupportables les discussions en l’air, comme s’il n’existait pas de chiffre sur le nombre de réacteurs nucléaires actuellement en construction, comme s’il s’agissait d’une opinion. C’est quelque chose qui m’indispose chez les journalistes français : ils demandent leur avis aux uns et aux autres et rapportent telles quelles ces opinions contradictoires. Je vais reprendre à mon compte une formule que j’ai lue récemment : « Si une personne dit qu’il pleut et une autre qu’il fait beau, le boulot du journaliste ce n’est pas de citer les deux, mais de regarder par la fenêtre et de dire qui a raison. » D’où ce rapport : on y donne des définitions très précises de ce qu’est un réacteur en construction, en fonctionnement, en démantèlement ; on donne les chiffres ; et on indique les sources — le texte compte plus de 12.000 notes de bas de page.
Pour le rédiger, je fais chaque année appel au même noyau dur : mon co-auteur Antony Froggatt et notre gestionnaire de la base de données Julie Hazemann. Je compose autour une équipe qui peut changer d’année en année, et qui rassemble les spécialistes parmi les plus pointus sur les différents sujets. Ces neuf experts de cinq pays sont issus de différentes disciplines. Cette année, nous avons ainsi rajouté Christian von Hirschhausen, professeur de l’Université technique de Berlin, Andy Stirling, professeur de l’Université de Sussex en Grande-Bretagne, très connu dans le monde de l’énergie, etc.
Ce rapport est devenu une référence internationale. Il a par exemple été cité par le Department of Energy américain, par l’inspecteur général de la sûreté nucléaire d’EDF et des députés de parlements à travers le monde .
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Selon Les Echos, un rapport commandé par le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire et le Ministère de l’Économie et des Finances préconiserait la construction rapide de 6 réacteurs nucléaires EPR. Le Réseau “Sortir du nucléaire" dénonce une fuite en avant aussi dangereuse qu’irréaliste et une nouvelle preuve de l’emprise du lobby nucléaire (civil et militaire) sur le gouvernement
Rédigé suite à une mission lancée par les deux ministères, ce rapport concernant "le maintien des capacités industrielles de la filière nucléaire en vue de potentielles nouvelles constructions de réacteurs » a été confié à Yannick d’Escatha, ancien administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et actuel conseiller du président d’EDF, et Laurent Billon, ex-délégué général à l’armement.
Quelle que soit l’importance qui devrait lui être accordée, le statut des rapporteurs fournit une énième preuve de la complaisance, voire de la soumission du gouvernement au lobby nucléaire (civil et militaire). Quoi de plus simple que de laisser EDF dicter elle-même ses souhaits par la voix de son conseiller ? On comprend la gêne de Nicolas Hulot face au passage en force de ses services et à la perspective de cette énième couleuvre à avaler !
Ce rapport prônerait la construction de 6 réacteurs EPR dans la prochaine décennie, le premier chantier commençant en 2025 pour une mise en service en 2035. Comment accorder le moindre crédit à une telle proposition, au vu du fiasco de l’EPR de Flamanville, criblé de malfaçons, qui accumule les retards et a vu son coût quadrupler ? Comment EDF SA, qui est en quasi-faillite, qui peine à financer la gestion de ses déchets et le démantèlement de ses installations, et qui doit être portée à bout de bras par l’État, peut-elle sérieusement envisager ces projets de construction ?
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13 septembre 2018 / Thierry Salomon
L’entêtement d’EDF et de l’État à investir dans le nucléaire alors que les déboires de la filière se multiplient est « irrationnel », explique l’auteur de cette tribune. Qui y voit la persistance d’une croyance tenace, de l’ordre du religieux.
Thierry Salomon est énergéticien, vice-président et porte-parole de l’association négaWatt.
"Maintenant que nous avons restauré notre niveau de compétence grâce au chantier de Flamanville, il faut poursuivre la construction de centrales nucléaires en France et en Europe."

C’est ainsi que s’exprimait le 7 juin dernier le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, lors d’une audition à l’Assemblée nationale quelques semaines avant d’avouer que l’EPR [qu’EDF construit à Flamanville, dans la Manche] aurait un an supplémentaire de retard. Et que 400 millions d’euros supplémentaires s’ajouteraient au coût des travaux, portant le devis initial de 3,2 milliards d’euros annoncé lors débat public en 2005 à (pour le moment) 11,9 milliards d’euros. Une multiplication par 3,7 : dépassé le fameux « facteur pi = 3,14 », qui caractérise assez bien l’extravagante distorsion des coûts dans le domaine nucléaire (civil et militaire) entre la com’ initiale et le coût réel à l’arrivée…
Mais Jean-Bernard Lévy poursuivit juste après :
"Si je devais utiliser une image pour décrire notre situation, ce serait celle d’un cycliste qui, pour ne pas tomber, ne doit pas s’arrêter de pédaler."
Pédaler pour ne pas tomber… Alors là — tout arrive ! —, on ne peut être que d’accord avec cette pertinente analyse du patron d’EDF, lecteur sans nul doute… d’Alice aux pays des merveilles.
Alice, de Lewis Carroll ? Publié en 1865, bien avant la création d’EDF en 1946 ?
Dans la suite des Aventures d’Alice au pays des merveilles, De l’autre côté du miroir, la jeune Alice rencontre une reine toute vêtue de rouge, lancée dans une course effrénée. Alice court alors un moment avec elle, puis, étonnée, lui demande : « Mais, Reine Rouge, c’est étrange, nous courons vite et le paysage autour de nous ne change pas ? » Et la reine lui répond : « Alice, nous courons pour rester à la même place. »
Peu à peu les croyances s’effondrent
Telle Alice, nous regardons, stupéfaits, la Reine Rouge EDF courir pour rester à la même place.
Courir en Bourse avec une tonitruante introduction à 32 € par action, promesse de gains faciles pour un placement de père de famille. Après une envolée jusqu’à 85 €, l’inexorable dégringolade vers les 10 € fut sanctionnée par le déshonneur boursier suprême, l’expulsion du CAC40. Les petits porteurs demandent aujourd’hui que l’État rachète leurs actions… au prix de l’introduction en Bourse ! Toujours le vieux truc, cette assurance-vie capitaliste : privatisation des profits, nationalisation des pertes.
Courir à Flamanville, où la construction de l’EPR se révèle un chemin de croix dont les douloureuses stations s’appellent « béton défectueux », « délais explosés », « soudures à reprendre » et « budget initial bientôt quadruplé ». L’une des dernières stations se situe au fond d’une cuve fragilisée par un surplus de carbone dans la composition de l’acier. Une cuve de réacteur trop carbonée : un comble pour une énergie qui se vante, urbi et orbi, d’être décarbonée…
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