Les pics de chaleur restent, à ce jour, imprévisibles

Publié le par Hervé le Treut via M.E.

Alors que la vague de chaleur persiste en France et en Europe, le climatologue Hervé Le Treut appelle à réfléchir plus largement à la gestion de territoires sous contraintes.

Chaque fois qu'un épisode de canicule touche la France ou une autre région sensible et emblématique à la surface de la planète, la même question revient : l'action de l'homme est-elle en cause ? Et, chaque fois, la réponse des scientifiques reste malaisée et difficile. Cette difficulté peut surprendre, parce que nous savons désormais beaucoup de choses sur l'évolution future du climat. Elle tient à la difficulté particulière des problématiques climatiques, lorsque le contexte est d'ordre local et événementiel.

Les premières alertes sérieuses sur le climat sont venues dès la fin des années 1970. Le rapport à l'Académie des sciences américaine, coordonné par le professeur Jule Charney, du Massachusetts Institute of Technology, anticipait en  1979 des changements dans la température globale de la planète pouvant atteindre plusieurs degrés si le niveau atmosphérique du CO2 (et des autres gaz à effet de serre) doublait. Ces résultats ont anticipé d'une vingtaine d'années la mise en évidence de ce réchauffement global dans l'atmosphère, qui est devenu perceptible avec un haut niveau de certitude à la fin des années 1990.

Nous savons par ailleurs que les gaz à effet de serre restent pour la plupart très longtemps dans l'atmosphère : un surplus de CO2 introduit à un instant donné n'aura disparu que de moitié après cent ans, et nous ne disposons d'aucune méthode prouvée pour accélérer le temps très long qui permet à l'atmosphère de se " nettoyer ". Nous cumulons donc des émissions de gaz à effet de serre qui, par ailleurs, ont été rapidement croissantes : 1  milliard de tonnes de carbone par an après la seconde guerre mondiale, 10  milliards aujourd'hui. Le réchauffement futur et ses conséquences les plus directes (fonte de la banquise arctique, relèvement du niveau de la mer, atteintes à la faune ou à la flore…) sont ainsi le résultat inéluctable de nos émissions passées. L'accord de Paris n'envisage aucun retour à un statu quo ante, mais " simplement " une atténuation du réchauffement, en le limitant à un niveau inférieur à 2  °C, alors que son niveau actuel est proche de 1  °C (calculé par rapport à la période préindustrielle).

Injustices climatiques

Dans le futur, les vagues de chaleur seront plus fréquentes et/ou plus intenses. Les modèles dessinent même un paysage global des zones de réchauffement futur en accord avec les évolutions que l'on peut déjà observer. Cette dimension globale du problème, commandée par le mélange rapide et constant des gaz à effet de serre par l'atmosphère, a une portée politique capitale : elle peut être responsable d'injustices climatiques majeures, parce que les régions émettrices de gaz à effet de serre et celles qui sont ou seront impactées par ces gaz ne seront pas nécessairement les mêmes.

Mais la dimension territoriale des problèmes climatiques est tout aussi importante, et elle se heurte à une difficulté majeure : nous ne saurons pas localiser les pics de chaleur dans l'espace et dans le temps avec précision avant longtemps, voire jamais. La circulation atmosphérique, qui décide quelle région est touchée à un moment donné, a un caractère trop chaotique et imprévisible pour que des prévisions fiables soient possibles au-delà d'une semaine. La communauté scientifique travaille à mieux définir les causes de chaque événement, ou à reculer les limites de la prévision, en s'appuyant sur la mémoire de l'océan et des sols par exemple. Mais le climat change déjà, et la question qui peut éclairer à court terme la prise d'action à un niveau régional n'est pas tant de savoir pour chaque événement jusqu'où l'être humain est responsable, mais de définir les critères qui permettront de se préparer, sur un territoire donné, à un futur différent. Pour cela, il faut élargir l'analyse aux différentes dimensions du rôle de ces territoires.

D'abord, les émissions de gaz à effet de serre sont dépendantes de phénomènes dont la gestion se définit à l'échelle des municipalités, des départements ou des régions : transport, logement, filières agricoles, transition vers des formes décentralisées de production d'énergie… C'est aussi à l'échelle des territoires que l'on peut donner une image concrète des conséquences du changement climatique, et définir des stratégies pour s'y adapter. Les nécessités de l'adaptation aux changements à venir imposent ainsi des contraintes parallèles à celles de l'atténuation, et cela dans tous les domaines, qu'il s'agisse de diminuer les îlots de chaleur, la pollution de l'air ou la gestion des forêts et des feux. L'échelle territoriale est donc celle où se confrontent des enjeux et des risques très différents : changement climatique, conservation de la biodiversité, pollutions à très longue échelle de temps, problèmes sociaux et politiques. Et les nécessités de décision se situent à très court terme, tout en engageant un futur plus lointain.

Les événements climatiques extrêmes impliquent d'abord une action immédiate pour secourir les personnes affectées. Mais ils sont aussi une occasion de réfléchir à la gestion d'un territoire soumis à des contraintes incomplètement prévisibles, souvent liées les unes aux autres, et en évolution rapide. Un travail récent effectué sur la région Nouvelle-Aquitaine par un conseil scientifique que j'ai présidé pour le groupe Acclimaterra montre, à partir des contributions de centaines de scientifiques, qu'il existe dans nos laboratoires une information riche permettant de mieux dessiner ce que peut être la gestion préventive d'un territoire, qui lui permette à la fois d'être prêt face à la répétition d'événements climatiques majeurs, et de participer, à son niveau à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Hervé Le Treut

Né le , Hervé le Treut est un climatologue français, spécialiste de la simulation numérique du climat, membre de l'Académie des Sciences. Il est directeur de l'Institut Pierre-Simon-Laplace.

Source : Tribune in Le Monde, 27 juillet 2018

 

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