Biodiversité: l’état d’urgence
L’IPBES, le "GIEC de la biodiversité", vient de rendre publics ses cinq rapports lors de sa 6e session plénière qui s’est achevée le 24 mars à Medellín, en Colombie. À travers cette synthèse des connaissances scientifiques actuelles sur la biodiversité, les experts dressent un panorama alarmant de l’état du vivant et de la détérioration des sols, tout en proposant des pistes de solutions politiques.
"La dégradation des terres, l’érosion de la biodiversité et le changement climatique sont les trois aspects d’un même problème majeur : l’impact dangereusement croissant de nos modes de vie sur la santé de la nature et des écosystèmes. Nous ne pouvons plus nous permettre de lutter isolément contre ces trois menaces", a déclaré Robert Watson, président de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), en marge de la 6e session plénière, du 17 au 24 mars à Medellín. Et d’appeler à une réponse politique et citoyenne, locale et globale. Pendant trois ans, près de 550 scientifiques d’une centaine d’États1 ont mené un travail de longue haleine à partir de plusieurs milliers d’articles scientifiques, de sources gouvernementales ou encore de savoirs locaux et indigènes. Leur constat est sans appel : la biodiversité est menacée sur tous les continents et dans tous les pays. D’ici à 2050, 38 % à 46 % des espèces animales et végétales pourraient disparaître de la planète. En première ligne, le Centre et le Sud des Amériques, l’Afrique subsaharienne et l’Asie, plus vulnérables face à l’appauvrissement des sols. Dans 30 ans, les populations vivant dans des régions arides pourraient passer de 2,7 à 4 milliards de personnes, renforçant le risque de crises migratoires. La dégradation des terres et le changement climatique, provoquant la baisse des rendements agricoles et l’instabilité socio-économique, pourraient en effet pousser entre 50 et 700 millions de personnes à migrer d’ici le milieu du siècle.
« L’un de nos principaux objectifs est de montrer que les enjeux de développements sociaux, économiques et culturels sont extrêmement dépendants de la qualité de l’environnement en général et de la qualité de la biodiversité en particulier : pour se nourrir, pour produire de l’énergie, pour le développement économique ou encore le transport de marchandises », explique Joachim Claudet, chercheur au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe)2, qui a participé à la rédaction de deux rapports régionaux (Europe et Asie centrale, Asie et Pacifique).
Un bilan exhaustif région par région
Créée en 2012 sous la tutelle des Nations Unies, l’IPBES est un organisme intergouvernemental qui a pour mission d’analyser, de synthétiser et de restituer l’ensemble des données scientifiques afin de fournir une évaluation exhaustive de la biodiversité, son état, son devenir, et les moyens à mettre en œuvre pour la préserver. Sur ses cinq rapports, quatre dressent pour la première fois un bilan de la biodiversité et des services écosystémiques dans quatre aires géographiques : l’Afrique, les Amériques, l’Asie et le Pacifique, l’Europe et l’Asie centrale. Dans cette dernière partie du monde, près de 42 % des animaux terrestres et des plantes ont disparu ces dix dernières années. En Asie-Pacifique, les experts estiment que 90 % des coraux connaîtront de sévères dégradations d’ici à 2050, y compris dans le cas de scénarios optimistes en matière de changement climatique. De son côté, le continent africain pourrait voir la moitié de ses populations d’oiseaux et de mammifères s’éteindre d’ici la fin du siècle. Et pour les Amériques, le rapport prévoit une perte de la biodiversité originelle de la région atteignant 40 % en 2050, dans le cadre d’un scénario du « laisser-faire » quant au changement climatique. Et ce ne sont là que quelques éléments de ce bilan…
« Ces évaluations régionales sont nécessaires et attendues. Elles permettent notamment d’évaluer l’état de la biodiversité régionale par grand type d’écosystèmes, terrestre, aquatique et marin, de haute montagne ou cavernicole. Et également d’identifier sur de larges territoires les lacunes de connaissances, tant thématiques que géographiques », explique Jean-François Silvain3, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). La 6e session plénière a été l’aboutissement de ces travaux de synthèse. L’objectif est de mettre en lumière les priorités en matière de préservation de la biodiversité et de sauvegarde des services écosystémiques et d’établir une palette de leviers d’actions possibles pour les décideurs publics ou privés. « Ces rapports constituent un socle commun de connaissances et de résultats sur lesquels toutes les parties se seront accordées, ligne à ligne, insiste Hélène Soubelet, directrice de la FRB. Dès lors, toute régression ou toute mesure qui ne serait pas en accord avec ces messages clés deviendra difficile à justifier… »
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