Derrière les températures extrêmes, le spectre du “confinement climatique”
Le “confinement climatique” est-il une expression pertinente pour évoquer la privation des libertés individuelles due à la crise climatique ? Alors que l’Inde puis le Pakistan viennent de fermer une partie de leurs écoles en raison des canicules mortifères et que plusieurs pays ont annoncé une limitation des déplacements, le concept questionne les experts du climat et les activistes.
47,8°C. Voilà la température qu’il faisait à Dehli, capitale de l’Inde, lundi 20 mai. Le lendemain, les autorités ont pris une mesure drastique et annoncé la fermeture anticipée des écoles pour les vacances d’été avec “effet immédiat”.
Selon Indian Today, plusieurs Etats dans le Nord et le Centre, parmi lesquels le Punjab et le Rajasthan, ont également ordonné la fermeture des écoles. Quelques jours plus tard, le Pakistan prenait une mesure similaire. La moitié des enfants scolarisés au Pakistan, soit 26 millions d’enfants, n’iront pas à l’école pendant une semaine en prévision d’une canicule avec des températures dépassant “de six à huit degrés” les normales saisonnières, indiquait la semaine dernière l’ONG Save the Children.
Ce type de décision parait de moins en moins rare à mesure que les impacts du changement climatique se font ressentir. Début mai, face aux températures extrêmes en Asie du Sud et du Sud-Est, plusieurs pays ont décidé de se barricader. A Manille, capitale des Philippines, le mercure est monté si haut que les cours en présentiel ont été suspendus. Le Bangladesh a également ordonné la fermeture des écoles pour quelques jours. Même chose en Thaïlande, où les autorités avaient également conseillé à la population de rester chez elle.
La crise climatique a de plus en plus d’effets sur les libertés individuelles notamment le droit à l’éducation. Dans notre article publié le 2 mai, nous avions employé une expression qui ne figure pas dans le corpus scientifique actuel mais qui paraissait faire sens, celle de confinement climatique. Ce terme est-il pertinent ? “C’est assez nouveau mais on voit ce que ça recouvre”, juge François Gemenne, politologue et membre du GIEC, interrogé par Novethic. “Jusqu’ici on a été très peu habitué à ce type de politique, on n’a pas d’étude sur les effets de ces “confinements”. Mais ce sont des réponses d’urgence, pas de long terme”, prévient l’expert.
D’autres pays ont déjà subi des limitations de déplacement pour raisons climatiques. Le 19 avril dernier a ainsi été décrété “jour chômé” en Colombie en raison de la sécheresse historique. En août dernier le gouvernement iranien avait également instauré deux jours fériés pour limiter l’impact des températures extrêmes. “Le changement climatique limite déjà et va à l’avenir encore plus restreindre nos libertés, c’est évident, avance Thibault Laconde, spécialiste des risques climatiques et fondateur de Callendar. A court terme, on est plutôt sur une perspective de chômage climatique”. Selon les informations de FranceInfo, le gouvernement français envisagerait ainsi une loi pour adapter le code du travail au réchauffement climatique.
En attendant, dans le monde des ONG, “ce n’est pas un terme beaucoup employé”, confirme à Novethic Anne Bringault, coordinatrice des programmes au Réseau action climat (RAC). “On n’utilise pas directement ce concept mais il est intéressant car il interpelle ceux qui mettent en avant le changement climatique comme source de privation de liberté”, explique-t-elle. Avec des limites, car le terme “confinement” n’englobe pas la question des déplacés climatiques, qui est pourtant une atteinte aux droits humains.
Reste que le malaise est palpable chez les activistes du climat. L’un d’eux, préférant resté anonyme, explique : “On sait que des confinements climatiques vont arriver. C’est une réalité mais l’opinion publique n’est pas prête et on (les écologistes, NDR) ne veut pas mettre en avant un désastre à venir, même si on doit le dénoncer”. Comprendre : les écologistes sont déjà assez annonciateurs de mauvaises nouvelles comme cela.
D’autant que l’imaginaire convoqué par les termes “confinement climatique” est compliqué à assumer. La première occurrence de cette expression semble apparaître au sein des réseaux complotistes. “Les complotistes pensent que les confinements liés au Covid-19 étaient un test pour les “élites” afin de mesurer leur pouvoir sur la plus basse population et que les confinements climatiques seraient les prochaines restrictions”, décrivait Le Figaro en novembre 2023. La complosphère s’appuie sur une vidéo de juin 2020 de Nicole Schwab, la fille de Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial. Dans cette vidéo elle évoque un “Great reset”.
Elle dit ainsi que la pandémie est “une formidable occasion de procéder à un Great reset” plaçant la “nature au cœur de notre économie”. Et de fait, pendant les confinements liés au COVID-19, les émissions de gaz à effet de serre ont considérablement baissé. Et sans les voitures ni les avions, certaines personnes se sont émerveillées du chant des oiseaux. Mais les complotistes ont détourné ses propos. “Le terme de confinement climatique a une connotation trop polémique”, avance une membre d’ONG préférant elle aussi rester anonyme.
Confinement climatique ou pas, les mesures de restriction de liberté sont amenées à se répéter. “C’est symptomatique du fait qu’un changement de paradigme doit avoir lieu, l’écologie plus tard, c’est l’écologie trop tard”, réagit l’activiste Romain Thurel. “Pendant les 50 dernières années on a dit qu’il fallait agir rapidement pour réduire les impacts du changement climatique, mais maintenant on est dans une situation où on doit essayer de limiter les causes du changement climatique et en même temps agir sur ses conséquences”.