La gratuité des transports, une fausse bonne idée
Dans les 31 communes de la métropole de Montpellier, à partir du 21 décembre, le réseau de transport public, 4 lignes de tram, 41 lignes de bus, est gratuit pour les habitants. L’idée semble généreuse, équitable, innovante.
Et pourtant, comme j’ai eu l’occasion de le rapporter sur ce blog à plusieurs reprises, en m’appuyant sur les avis des spécialistes de la mobilité et des observations dans plusieurs villes, offrir les déplacements en transport en commun aux usagers présente plus d’inconvénients que d’avantages. Parce que ça coûte cher aux finances publiques, oui. Mais pas seulement.
Voici plusieurs articles publiés ces dernières années sur ce thème, que je récapitule ci-dessous. Pour les détails, n’hésitez pas à vous reporter aux articles originaux.
1/ Une promesse facile.
Pour les candidats aux élections, la gratuité est un marqueur. « Après tout, même les électeurs qui n’ont jamais songé à monter dans un bus vont comprendre. Avec un peu de chance, ils trouveront ça généreux. » Pour le dire autrement, je veux bien d’un cadeau que je n’avais jamais songé à demander.
Dans cet article paru avant les élections municipales de 2020, je liste les principaux enjeux de la gratuité et explique notamment pourquoi un service de mobilité n’est pas comparable à l’éducation ou à la santé.
2/ Se déplacer n’est jamais gratuit,
quelque soit le sens que l’on donne au terme « gratuit ». On l’oublie souvent, mais on ne se déplace jamais sans conséquences, comme je l’indiquais ici en mars 2018.
« Se déplacer, en train, en métro, en voiture (voire à vélo ou à pied), c’est nécessairement, avec plus ou moins d’intensité, consommer de l’énergie, utiliser des infrastructures, mobiliser du personnel, occuper de l’espace, faire du bruit, polluer, etc. »
3/ Les usagers n’en veulent pas.
Une enquête d’opinion, publiée par l’Union des transports publics avant les dernières Rencontres nationales des transports publics, à Clermont-Ferrand, en octobre, s’intéresse aux raisons qui amèneraient les habitants à davantage utiliser les transports.
Comme je l’avais résumé ici, ce n’est ni la « prise de conscience écologique », ni le prix de l’abonnement qui sont susceptibles de séduire les futurs usagers, mais la qualité du réseau. « 20 % des automobilistes jugent les coûts des abonnements trop élevés. Mais ils sont plus du double, 46 %, à estimer que les transports en commun rallongeraient leur temps de trajet et 39 % que les contraintes horaires sont trop importantes. »
4/ Les usagers sont prêts à payer pour l’efficacité
Le développement du paiement par carte bancaire, inconnu à Paris, mais très simple et pratique à Lyon, Clermont-Ferrand, Bruxelles, Londres ou Milan, raconté cet automne, révèle le véritable prix du service. Je trouve que cet argument n’est pas assez utilisé par les opérateurs de transport, ni par les élus, majoritaires, qui sont opposés à la gratuité.
« Le succès de l’open payment montre que le voyageur est prêt à acheter le prix de la tranquillité d’esprit, même si cela lui coûte un peu plus cher qu’un simple trajet. »
5/ Ce n’est pas solidaire
A Lyon comme à Rennes, le « ticket suspendu », consistant à laisser un ticket en carton à l’entrée de la station de métro, était jusqu’il y a peu une pratique répandue. Certains y voient un acte de « solidarité » à l’intention de « celui qui en a besoin ».
Or, comme je l’avais indiqué en janvier, cette « solidarité » « bénéficie en l’occurrence aux usagers qui prennent le métro à ce moment-là et non à ceux qui en ont vraiment besoin. » Et c’est tout le problème de la gratuité totale: la plupart des usagers peuvent payer, mais une décision politique les en dispense, ce qui prive bêtement la collectivité de recettes. A Lyon, à la place du « ticket suspendu », il existe désormais un abonnement à zéro euro, qui s’adresse aux personnes percevant de très faibles revenus, et qui rencontre un grand succès. Mais il ne s’adresse pas à moi, qui peux me payer le ticket, ni sans doute à la plupart d’entre vous.
6/ Si c’est gratuit, c’est que c’est toi le produit.
Mais pourquoi donc la gratuité des transports rencontre-t-elle ce succès auprès de certains élus? C’est tout sauf une idée nouvelle. Les arguments « pour » et « contre » ont été échangés depuis plus de 20 ans. Mais si le thème prend de l’ampleur aujourd’hui, c’est parce que la promesse est de plus en plus facile à tenir, et les élus locaux en sont largement responsables. Le financement des transports repose en France sur trois piliers: les recettes des usagers, le versement mobilité et les subventions publiques. Or, comme les collectivités rechignent à augmenter les prix des tickets et des abonnements autant que l’exigerait l’inflation, la part des recettes des voyageurs dans le budget baisse. Et pour une collectivité, il est de plus en plus facile de se passer de cette recette. La dernière marche vers la gratuité est moins haute à passer. Si c’est gratuit, c’est que c’est toi le faire-valoir du coup politique à peu de frais de l’élu en mal de projecteurs.
7/ Lignes de bus supprimées
On pourrait ajouter que la gratuité prend davantage, en proportion, de « clients » au vélo et à la marche qu’à la voiture, comme le montre bien l’économiste des transports Frédéric Héran. Ou encore que, dans les villes concernées par la gratuité, la qualité du réseau ne progresse plus. Des lignes de bus ont ainsi été supprimées à Niort un an à peine après la mise en place de la gratuité, en 2018. Rendez-vous à Montpellier dans un an.
Source : https://www.lemonde.fr/blog/transports/2023/12/21/la-gratuite-des-transports-une-fausse-bonne-idee/