Hydrogène : la crise actuelle accélère les scénarios
Un temps perçu comme une réponse aux enjeux climatiques, l'hydrogène s'impose désormais comme un outil de sécurité énergétique. Les ambitions ont été revues à la hausse. Mais de nombreux verrous restent à lever pour qu'elles se concrétisent.
L'hydrogène se place désormais au cœur des politiques visant à répondre aux besoins énergétiques en remplacement des fossiles.
« La crise énergétique globale souligne la nécessité d'une politique visant à aligner les enjeux de sécurité énergétique sur les objectifs climatiques. L'hydrogène peut contribuer à la sécurité énergétique tout en diminuant la dépendance aux énergies fossiles. » Dans son dernier rapport sur l'hydrogène, publié en septembre 2022, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) résume le virage qu'a provoqué la guerre en Ukraine quant à la place accordée à l'hydrogène dans les stratégies nationales. Au tournant de l'année 2020, de nombreux pays ont acté un développement de l'hydrogène dans le but de décarboner leurs économies. Désormais, avec les tensions mondiales sur l'énergie, ce gaz occupe une place amplifiée, et se place au cœur des politiques visant à répondre aux besoins énergétiques en remplacement des fossiles, notamment du gaz.
La France n'échappe à cette tendance. La stratégie nationale, présentée en 2020, a posé les premiers jalons de la filière française, basée sur la production d'hydrogène bas carbone par électrolyse, afin de décarboner l'industrie et la mobilité lourde. Mais le contexte énergétique a accéléré les choses et démultiplié les ambitions.
Emmanuel Macron a réuni, le 8 novembre dernier, les cinquante plus grands émetteurs industriels français et leur a fixé un objectif : diviser par deux les émissions du secteur dans les dix prochaines années. Pour y parvenir, le président de la République a annoncé le déploiement de « hubs » hydrogène dans tous les grands bassins industriels. Il a demandé, en parallèle, aux ministres de la Transition énergétique et de l'Industrie d'actualiser la stratégie nationale d'ici à la fin du premier semestre 2023, afin de prendre en compte le nouveau contexte énergétique international.
Cette stratégie devra notamment proposer un schéma opérationnel pour les « hubs » hydrogène et une mutualisation de la production pour réduire les coûts. « Les grands électrolyseurs devront être en mesure de conclure des contrats de long terme compétitifs avec les fournisseurs d'électricité décarbonée », a indiqué le ministre délégué à l'Industrie à la filière. Des contrats de type Exeltium, signé en 2010 par les énergo-intensifs et EDF pour quinze à vingt-quatre ans afin de sécuriser les investissements industriels.
En parallèle, les réflexions sur les infrastructures nécessaires s'accélèrent, avec notamment plusieurs annonces d'interconnexions à l'échelle européenne. Dont une pour relier l'Espagne et le Portugal au nord de l'Europe. De son côté, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE, qui estimait que le réseau électrique n'aurait pas besoin de l'hydrogène avant 2035, est en train de revoir sa copie pour prendre en compte la nouvelle donne énergétique.
L'Union européenne n'est pas en reste : elle accélère également, en multipliant les projets d'intérêt commun pour lever les verrous technologiques. Une banque européenne de l'hydrogène est également annoncée.
Côté acteurs économiques, les projets liés à l'hydrogène foisonnent, tant dans la production que dans l'industrie ou la mobilité lourde… Les projets de démonstrations se multiplient, notamment sur les technologies de rupture.
« Si tous les projets actuellement annoncés étaient réalisés, d'ici à 2030, la production d'hydrogène à faibles émissions pourrait atteindre 16 à 24 millions de tonnes par an, dont 9 à 14 millions de tonnes avec l'électrolyse et 7 à 10 millions de tonnes avec des combustibles fossiles avec captage et stockage de CO2 (CCUS) », estime l'AIE.
En 2021, la demande mondiale d'hydrogène était de 94 millions de tonnes, dont un million produit de manière peu émissive. Selon l'AIE, le respect des engagements climatiques mondiaux nécessiterait une production de 34 millions de tonnes d'hydrogène bas carbone à l'horizon de 2030. Au prix actuel des énergies fossiles, cet hydrogène vert pourrait déjà être compétitif. La multiplication des projets associée à la baisse des coûts des renouvelables devrait renforcer cette tendance, malgré les incertitudes sur les prix futurs des énergies fossiles.
Cependant, si la majorité des projets annoncés sont à des stades avancés de planification, seuls 4 % sont en construction ou ont atteint la phase de décision finale d'investissement, nuance l'AIE. La plupart restent suspendus à de nombreuses incertitudes : adéquation entre offre et demande, cadre réglementaire en cours de définition, manque d'infrastructures, de régulation ou de règles de marché. Des ruptures technologiques doivent également être franchies.
L'Union européenne planche actuellement sur la mise en place d'un cadre réglementaire sur l'hydrogène. La directive Gaz devrait y consacrer un volet, ainsi que le règlement Red III, attendus durant le premier semestre 2023. Principal enjeu : la prise en compte de l'hydrogène bas carbone (et pas seulement renouvelable) dans les objectifs de décarbonation et de développement des énergies renouvelables. En France, un arrêté sur la définition de l'hydrogène bas carbone ainsi qu'un décret sur les garanties d'origine et la traçabilité sont en préparation.
À l'échelle internationale, des travaux de normalisation (ISO) ont été lancés sur l'électrolyse, les piles à combustible, l'empreinte carbone de l'hydrogène et les garanties d'origine. De premiers résultats sont attendus d'ici à 2024. Des travaux majeurs qui influenceront les choix stratégiques à venir. La France, avec son mix énergétique faiblement carboné, milite en effet pour la définition d'un hydrogène bas carbone produit localement à partir de renouvelables et de nucléaire. D'autres pays, comme l'Allemagne, parient plutôt sur des imports massifs de ce gaz produit dans des pays où les renouvelables sont très compétitives. Les choix réglementaires à venir favoriseront l'une ou l'autre des stratégies, voire un mix des deux. À suivre !