Maladies et accidents professionnels : la négligence des entreprises françaises
Alors que les accidents du travail et les maladies professionnelles continuent à atteindre des niveaux très élevés, les entreprises françaises restent en retard en matière de prévention. En ce 1er mai, zoom sur cette hécatombe invisible dénoncée par les salariés, les syndicats et les experts.
“Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la sinistralité actuelle en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles en France.” C’est ainsi que plusieurs syndicats alertaient fin avril le Ministère du Travail dans une lettre ouverte. Les chiffres sont en effet accablants. En France, deux personnes meurent chaque jour sur leur lieu de travail, comme l’a rappelé la mort il y a quelques jours d’un ouvrier sur l’un des chantiers des Jeux Olympiques.
Près de 600 000 personnes sont victimes chaque année d’un accident du travail, ou sont reconnus en situation de maladie d’origine professionnelle. Avec de tels chiffres, la France fait plutôt figure de mauvais élève en Europe. Face à cette hécatombe, les employeurs ont l’obligation juridique de prendre “les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs”. Pourtant, un grand nombre d’entreprises françaises sont encore très en retard en matière de prévention santé au travail.
Dernièrement, une étude menée par la DARES, rattachée au Ministère du Travail, montrait par exemple que moins d’une entreprise sur deux en France dispose d’une version à jour de leur Document Unique d’Evaluation des Risques (DUER), un document légalement obligatoire, supposé lister l’ensemble des risques physiques ou psychosociaux auxquels sont soumis les salariés de l’entreprise. A peine deux entreprises sur trois ont mis en place au moins une action de prévention des risques de sécurité ou de santé au sein de leurs effectifs durant les 12 derniers mois. Et seulement “43 % des dirigeants indiquent avoir mis en place au sein de leur entreprise une politique globale de prévention en matière de santé au travail,” selon l’Observatoire de la santé au travail. Un rapport de l’Assurance Maladie notait même de la part de certains employeurs “des comportements de dissimulation des accidents du travail et des maladies professionnelles, voire des phénomènes de pression sur certaines victimes afin qu’elles ne déclarent pas leur pathologie.”
En France, l’ampleur du problème en matière de santé et de sécurité est aujourd’hui telle que les salariés souffrent plus que leurs voisins européens de troubles musculo-squelettiques, de pathologies psychiques, et sont plus exposés aux risques. “Ce qui est frappant, c’est que les Français rapportent davantage d’exposition à la plupart des risques, mais ils disposent aussi de moins de ressources pour y faire face,” commente Agnès Parent-Thirion, directrice de recherche à la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound).
En matière d’accidents mortels liés au travail, la France affiche ainsi “un niveau deux fois supérieur à la moyenne européenne (1,7 accident mortel pour 100 000 personnes en emploi) et plus de quatre fois supérieur à celui de l’Allemagne (0,8) ou des Pays-Bas (0,5)” rappelle ainsi le baromètre annuel de l’Observatoire de la Santé au Travail. Et la situation ne s’améliore pas : ces deux dernières décennies, le nombre de maladies professionnelles reconnues par l’Assurance Maladie a plus que doublé, malgré les difficultés des procédures.
Pour les sociologues Corinne Gaudart et Serge Volkoff l’organisation du travail et le management sont souvent à la source du retard français sur le sujet. Ils décrivent ainsi l’émergence d’une culture de la “hâte” dans le travail soit “la multiplication des urgences plus ou moins légitimes, le cumul de contraintes de temps de divers types, les interruptions incessantes, voire l’obligation de réaliser plusieurs tâches à la fois ; les journées et semaines, avec notamment les horaires décalés, morcelés…” Encouragée par un management qui priorise la productivité à court terme, la hâte devient le quotidien des salariés, au point qu’en France, un travailleur sur deux déclare travailler dans l’urgence selon les études Eurofound sur les conditions de travail. Ainsi mis sous tension et sous pression, les salariés sont plus exposés au risque d’accident, de négligence ou d’usure physique et psychologique. Or, à peine 8% des entreprises françaises incluent l’organisation du travail dans leurs politiques de prévention, selon la Dares.
La dégradation du dialogue social en France explique aussi en partie les mauvais résultats du pays. Les différents baromètres sur le sujet, à l’image du rapport publié par le CESE en 2023 sur le monde du travail, montrent que les employeurs français sont moins enclins que leurs voisins à accorder à leurs salariés des ressources et de l’attention pour renforcer le dialogue social. Or, l’écoute et la concertation sont deux leviers essentiels pour identifier et prévenir les risques professionnels.
En outre, les réglementations successives ces dernières années ont largement contribué à affaiblir les instances représentatives du personnel, qui sont donc moins à même de constituer un relais de la prévention santé sur le terrain. C’est d’ailleurs l’une des revendications des syndicats, qui ont invité le gouvernement à “s’interroger urgemment sur les limites d’une politique diminuant les pouvoirs des représentant.es du personnel, particulièrement sur cette question de la santé, sécurité et des conditions de travail.” A l’heure où Gabriel Attal entendait lancer une “grande initiative” sur la sécurité au travail, reste à savoir si ces demandes seront entendues.